Restructurations d'entreprises : les saisines du Ciri reviennent à la normale

Le nombre de nouvelles saisines du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) a fortement diminué en deux ans passant de 67 en 2020 à 31 en 2022, d'après son rapport annuel publié le 17 juillet 2023. Le secteur industriel y est cependant de plus en plus représenté, du fait de sa forte exposition à l'augmentation du coût de l'énergie et des matières premières au premier semestre 2022, tandis que les secteurs fortement impactés par la crise Covid et soutenus par le gouvernement (tourisme, événementiel, transport) l'ont moins sollicité l'an dernier. Le comité note aussi le nouveau rôle d'"acteur-créancier" des restructurations qu'a pris l'État au fil des crises en soutenant les entreprises.

Après une très forte hausse du nombre de saisines en 2020 liée aux conséquences de la crise covid, l'activité du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) s'est normalisée en 2021 et 2022. C'est la principale conclusion de son rapport d'activité, publié le 17 juillet 2023. L'organisme, qui a fêté ses quarante ans d'existence en 2022, comptabilise ainsi 34 nouvelles saisines en 2021, 31 en 2022, qui couvraient plus de 53.000 emplois, contre 67 en 2020 en pleine crise sanitaire. "Ce chiffre en décrue par rapport aux années Covid est proche du niveau constaté avant la période sanitaire et fait écho à la résistance à l'inflation et à la guerre en Ukraine du tissu économique français", se félicitent en introduction du rapport le ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, et le ministre délégué chargé de l'industrie, Roland Lescure.

Le Ciri est chargé depuis 1982 d'accompagner les entreprises en difficulté employant plus de 400 salariés sur le territoire français qui en font la demande, en essayant de préserver l'activité économique, les emplois, sous réserve que le modèle économique des entreprises soit viable. Ses leviers : des diagnostics sur la situation des entreprises, des plans de retournement pour transformer leurs modèles économiques, et la négociation et la conclusion d'accords dans la répartition des efforts demandés pour restaurer leur pérennité.

Une part de plus en plus importante des saisines issues du secteur industriel

Au fil des années, son taux de succès reste élevé : sur les 31 dossiers traités en 2022, 23 - représentant 35.529 emplois - ont connu une issue favorable. Sept sont encore en cours de traitement et un seul dossier (2.500 emplois) s'est soldé par un échec. "Depuis 2012, environ 9 dossiers sur 10 se soldent par un succès", détaille le rapport qui indique que les résultats de 2022 suivent l'évolution positive des statistiques en matière de procédures collectives et préventives.

Ainsi, les défaillances d'entreprises (toutes tailles confondues) ont fortement chuté durant la période 2020-2022 : d'une moyenne historique autour de 50.000 procédures par an entre 2017 et 2019, voire 61.900 entre 2009 et 2015, on est passé à 28.166 en 2020 et 27.563 en 2021. "Cette chute s'explique à la fois par la politique de fort soutien financier public et par les dispositions d'assouplissements légales", précise le rapport qui mentionne les données l'Observatoire français de conjoncture économique (OFCE) selon lesquelles 110.000 faillites ont été évitées entre 2020 et 2022 grâce aux dispositifs de soutien.

Toutefois le rapport repose sur les donnes de 2022 et la tendance est à actuellement à une forte augmentation des défaillances. Des premières alertes ont été données en janvier 2023 (voir notre article du 18 janvier 2023). À fin juin, leur nombre poursuit le rattrapage entamé à l'automne 2021 avec 48.673 défaillances entre juillet 2022 et juin 2023 contre 33.570 un an plus tôt, selon les derniers chiffres de la Banque de France. Même si l'on reste en-dessous du niveau "pré-pandémique". "Ce mouvement de rattrapage touche tous les secteurs de l'économie et toutes les tailles d'entreprises, mais il est de moindre ampleur pour les microentreprises et entreprises de taille indéterminée", précise l'institution. Autre signal d'alerte pour l'industrie : en juin, les défaillances dans l'industrie ont augmenté de 55% par rapport à juin 2022 et elles sont de 4,5% supérieures au niveau de juin 2019.

D'ailleurs, le rapport du Ciri fait lui aussi apparaître un nombre de plus en plus important de saisines issues du monde de l'industrie, quasiment le double en un an. Le secteur représente ainsi 69% des saisines en 2022, contre 35% des saisines en 2021. D'après le Ciri, ces chiffres s'expliquent par l'augmentation du coût de l'énergie et des matières premières constatée au premier semestre 2022 et auquel ces entreprises industrielles sont fortement exposées, mais aussi par la crise des composants et la rupture des chaînes d'approvisionnement en cours depuis 2021. Ces dernières ont particulièrement touché l'industrie de l'électronique et les sous-traitants automobiles et aéronautiques.

A l'inverse, les entreprises qui avaient été fortement impactées par la crise sanitaire (tourisme, événementiel, transport) et largement soutenues par l'Etat ont moins sollicité le Ciri en 2022.

L'État, "un acteur-créancier malgré lui des restructurations"

Le secteur de la distribution et du commerce d'articles textiles demeure quant à lui très présent dans les nouvelles saisines (19%). Le Covid a joué le rôle d'accélérateur des défaillances dans ce secteur et les aides massives de l'État (PGE notamment, dont le commerce est le premier secteur bénéficiaire, mais aussi le passif public et les aides coûts fixes/loyers) n'ont pas permis d'éviter le phénomène. "À l'impact du Covid et à la concurrence élevée des nouveaux modèles de consommation s'ajoute désormais l'inflation qui augmente les coûts et affecte le niveau de consommation", signale le Ciri.

Dans un focus thématique, le Ciri relève la présence croissante de l'État au sein du bilan des entreprises en difficulté, depuis la crise Covid : environ 28% du passif de celles-ci. Et au-delà de cette présence, l'État intervient aussi à travers les prêts directs qu'il a octroyés : 1,3 milliard d'euros depuis 2020, contre 200 millions entre 2016 et 2020. Ces chiffres s'ajoutent aux 26 millions d'euros consacrés aux très petites entreprises sous forme de prêts participatifs et à la présence de l'État au bilan des entreprises en tant que garant des prêts garantis par l'État (PGE), dont le capital restant dû s'élevait en avril 2023 à 93 milliards d'euros. "La crise a donc poussé l'État à l'interventionnisme économique, un volontarisme assumé qui fait de lui un acteur économique très présent et non un simple régulateur, traduit le rapport, mais ce faisant, il va devenir immanquablement un acteur-créancier 'malgré lui' des restructurations".

 

  • Le nombre de projets industriels diminue mais reste supérieur à la période d'avant-crise Covid

"Le nombre de projets industriels diminue substantiellement comparativement aux exercices précédents mais ce n'est pas l'hémorragie non plus". C'est ce qu'indique le baromètre de l'investissement pour le premier semestre 2023 d'Ancoris publié le 17 juillet 2023. Le spécialiste de la détection de projets d'implantations identifie ainsi 124 projets industriels au premier semestre 2023 sur un total de 982. C'est 17,8% de moins qu'en 2022 mais 11% de plus qu'en 2019. "Le second semestre sera à surveiller afin de voir si une relance s'amorce ou si le cycle de ralentissement se poursuit", indique le cabinet qui note toutefois un maintien du nombre de grands projets. Pour Ancoris, il va falloir faire des choix "car le soutien ne pourra être le même sur toutes les filières industrielles".

Globalement le nombre de demandes d'implantation semble revenir à la normale au premier semestre 2023, après un pic constaté en 2022 avec 1.168 projets identifiés. Avec 982 projets, le premier semestre 2023 est ainsi proche de celui de 2021 (972) et reste supérieur au premier semestre 2020 (715).

Ancoris signale que les projets de logistique et de commerce de gros poursuivent leur contraction. Les entreprises ont du mal à identifier du foncier adapté, l'acceptation par la population de ce type de projets étant de plus en plus faible. Elles cherchent d'autres solutions comme la construction en étage, la mixité des opérations de logistique ou encore l'optimisation des surfaces. 25% des projets logistiques identifiés recherchent exclusivement du foncier, soit 6% de plus qu'en 2022, une augmentation significative d'après Ancoris. "Sans foncier dédié à la logistique, il sera difficile de renforcer la supply chain sur le territoire et les impacts sur les activités industrielles ne seront pas neutres", estime le cabinet, qui estime qu'il va falloir aussi réaliser des choix dans ce domaine, privilégier par exemple le foncier pour l'industrie à celui pour le logement.

Pour les décideurs, au-delà du foncier, ce sont, à égalité, les conditions de vie et de travail des salariés et le coût d'implantation qui sont les critères les plus importants (83%) dans leur choix d'implantation. 22% des entreprises, principalement industrielles ou de logistique, recherchent uniquement du foncier pour leurs projets.