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Service public - Service public postal : un "débat inéluctable", estime la Cour des comptes

"Comme en Amérique !" Les facteurs vont-ils devoir adapter leurs pratiques comme dans le célèbre film de Jacques Tati, "Jour de fête" ? C'est en tout cas le souhait de la Cour des comptes qui, dans son rapport 2016 publié le 10 février, estime que "les incertitudes qui pèsent sur les relais de croissance" de la Poste "rendent inéluctable un débat sur les missions du service public postal". Il faut donc s'attendre à une remise en cause de ces missions inscrites dans le marbre - tarifs identiques pour tous, distribution 6 jours sur 7, objectif "J+1" pour les lettres prioritaires, etc. – afin de dégager des marges de productivité.
Les 73.000 facteurs assurent quotidiennement la distribution du courrier dans 37,8 millions de boîtes aux lettres au cours de 56.000 tournées, précise la Cour. "Les Français sont attachés au service postal qui, chaque jour ouvrable, fait passer un facteur devant chaque habitation, ce qui, surtout en milieu rural, est perçu comme un lien vital", souligne-t-elle. Mais cette activité historique de la Poste est en déclin du fait de la baisse continue du volume de courrier liée au développement d'internet, alors que les tournées, elles, restent les mêmes quelle que soit la quantité de lettres distribuées. Conséquence, "la productivité de l'activité se dégrade rapidement". "Depuis 2011, le nombre de facteurs en activité a diminué de 2% par an quand le nombre de plis à distribuer baissait de 5%." Entre 1996 et 2015, le volume a chuté de 22% ! Ce qui représente une baisse du chiffre d'affaires de 500 millions d'euros par an.

Des progrès accomplis ces dernières années

Pour autant, la Cour relève que de nombreux progrès ont été accomplis ces dernières années. Notamment la réorganisation des tournées ou la création sur tout le territoire de plateformes industrielles du courrier qui a permis d'automatiser le tri et de libérer du temps pour les facteurs. Mais cela s'est surtout traduit par une diminution de 10% des effectifs de facteurs entre 2009 et 2011.
En ce qui concerne le respect des délais, les efforts de la Poste ont porté leurs fruits, les objectifs sont presque toujours dépassés. Même si l'insécurité dans certains quartiers peut être une cause de non-respect. Dans certaines zones, l'insécurité empêche parfois la desserte pendant plus de sept jours.
Par ailleurs, le groupe a cherché depuis des années à diversifier son offre avec l'expérimentation de nouveaux services : collecte de papiers ou de cartouches d'imprimantes usagées, portage de médicaments, de courses ou de livres, relevé des consommations sur les compteurs, visites de prévention chez les personnes âgées… Mais ces activités se heurtent à de nombreux obstacles comme l'interdiction de stocker des médicaments en dehors des pharmacies… Quoi qu'il en soit, aussi intéressantes soient-elles, ces expérimentations restent marginales sur le chiffres d'affaires du groupe (6 millions d'euros en 2014 contre 1,7 en 2013) et ne pourront compenser qu'une part minime de la baisse du courrier, estime la cour.

Regroupement des boîtes aux lettres

Parmi les sources d'économies possibles, les magistrats cite l'amélioration de la desserte. La Poste estime en effet à 1,7 million, le nombre de boîtes installées à l'intérieur de propriétés privées (soit 7,5% du total), occasionnant un surcoût de 40 millions d'euros par an. Sans parler des risques d'accidents et de contentieux qui en découlent. La Cour propose une "clarification des textes" afin d'obliger à rendre les boîtes plus accessibles aux facteurs. La Cour relève également que 3,3 millions de points de distribution n'ont pas de numéro et 540.000 mériteraient un complément d'adresse. "Ces situations perdurent parfois dans les communes de plus de 2.000 habitants… Les efforts de normalisation, à la charge de l'entreprise et des exécutifs locaux, doivent s'intensifier."
La Cour a également cherché du grain à moudre dans le temps de travail effectif des facteurs, qui peuvent rentrer chez eux une fois la tournée terminée (pratique dite du "fini-parti"). "Persistent sur le terrain des situation de sous-occupation pour certains facteurs, et donc un potentiel de productivité inexploité", considère-t-elle, soulignant au passage un "absentéisme élevé". Elle remet en cause la manière dont les zones de tournées sont déterminées : priorité est donnée en fonction de l'ancienneté (principe des "ventes de quartiers"), ce qui, selon la Cour, nuit à la performance du service.

Quatre sujets à réexaminer

Mais la Cour pousse plus loin son raisonnement. "Dans l'attente d'une éventuelle réflexion au niveau européen sur les missions des marchés postaux", elle s'interroge sur les "lourdes contraintes" que font peser les modalités du service universel postal retenu en France. Quatre sujets méritent d'être réexaminés à ses yeux : la fréquence de distribution, le délai de distribution, le regroupement des boîtes aux lettres et les prestations incluses dans le service universel. Ainsi, l'objectif de distribution à "J+1" ne seraient plus aussi pertinent selon elle, du fait de la concurrence des échanges dématérialisés. Elle encourage par ailleurs les boîtes aux lettres collectives qui nécessitent un accord contractuel entre la Poste et la collectivité concernée. "Certains pays comme le Canada atteignent aujourd'hui des taux de regroupement des boîtes proches de 10%", souligne-telle. C'est trois fois plus qu'en France. La Cour des comptes recommande enfin de "recueillir les informations permettant de prévenir les destinataires de la distribution prochaine de lettres recommandées ou d'objets suivis et leur donner le choix des modalités de remise". Alors que 89% de la population de plus de 12 ans possède un téléphone portable et 82% ont accès à internet, la Poste n'est pas encore en mesure d'avertir ses clients d'une distribution prochaine, déplore-t-elle.

 

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