Sobriété énergétique : l’aventure ne fait que commencer

Les efforts conduits par les collectivités cet hiver en matière de sobriété énergétique ont été couronnés de succès, mais doivent désormais être pérennisés et démultipliés. Tel est le principal enseignement tiré par le colloque Énergie organisé par l’association Amorce ce 6 avril. Bonne nouvelle : la crise a favorisé l’acculturation des agents et des citoyens et des solutions de financement existent. Plus encore, "les économies d’énergie financent les économies d’énergie".

Dans un colloque consacré à la crise énergétique, organisé avec le concours de la Banque des Territoires, l'association Amorce s'est employée ce 6 avril à dresser le bilan d'un hiver sur fond de crise et à tracer les perspectives pour les suivants. Premier constat : la crise d'approvisionnement n'a pas eu lieu. Les craintes de "black-out" qui avaient agité l'automne semblent bien loin en ce début de printemps quasi estival. La météo clémente de l'hiver 2022 – "année la plus chaude jamais enregistrée", pointe Aodren Girard, chargé de mission à Amorce – n'y est d'ailleurs pas étrangère : "On a passé l'hiver parce que la production nucléaire est revenue, parce que l'hiver a été doux et grâce aux gros efforts de sobriété conduits", jauge ainsi l'ancienne ministre Emmanuelle Wargon, qui préside désormais la Commission de régulation de l'énergie (CRE). 

Engagement citoyen

"La leçon à retirer est que l'on a bien fait de se préparer, et donc d'envisager les délestages", retient pour sa part Christian Buchel, directeur Clients, territoires et Europe chez Enedis. Prouvant ainsi que les propos présidentiels dénonçant les "scénarios absurdes, de la peur" (voir notre article du 15 décembre 2022) sont encore dans les têtes. Il estime toutefois que "la principale bonne nouvelle" reste la réduction des consommations, qu'il attribue à un effet élasticité prix, mais "aussi clairement à des engagements citoyens" – la menace d'un black-out ayant sans doute également participé à la mobilisation, observe Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce. "En trois mois, nous avons obtenu plus de résultats sur la sobriété qu'avec toutes les lois qui sont passées ces trente dernières années sur le sujet", se félicitait d'ailleurs Agnès Pannier-Runacher le 9 février dernier, dans un entretien accordé à L'Opinion.

Une action des collectivités remarquée…

Les collectivités n'y sont pas pour rien. "Agnès Pannier-Runacher a indiqué que les collectivités étaient celles qui avaient le plus économisé cet hiver", souligne ainsi Nicolas Garnier, évoquant la réunion du 17 mars dernier du "groupe Collectivités" du plan sobriété. Un délégué général d'autant plus heureux que la ministre, confie-t-il, a également mis en avant à cette occasion "le rôle majeur du plan d'urgence sobriété" diffusé par Amorce, l'Association des maires de France et Intercommunalités de France, avec le soutien de la Banque des Territoires (voir notre article du 10 octobre 2022). 

Aux termes d'un enquête flash conduite en février auprès de ses adhérents (les résultats d'une enquête approfondie seront dévoilés début juillet), l'association note que parmi les dix actions qu'elle préconisait dans ce plan, 96% des collectivités ayant répondu ont vérifié les systèmes de régulation de leur chauffage, 91% ont régulé la température de leurs bâtiments, 74% ont réduit la saison de chauffe, 70% ont identifié et ciblé les bâtiments énergivores et interdit l'usage de certains équipements électriques (comme les chauffages d'appoint), 61% ont formé et mobilisé leurs agents, 48% ont coupé l'eau chaude ou encore 43,5% ont éteint l'éclairage public entre 23h et 5h30.

… qui n'implique pas nécessairement de "gros investissements"…

Pour rendre les choses plus palpables, les collectivités de Saint-Amand Tallende et de Strasbourg ont fait part de leur expérience – réussie – en la matière. La première s'est focalisée sur l'éclairage public et ce, "sans gros investissements" : suppression de l'éclaire esthétique, augmentation de la plage d'extinction nocturne, suppression des zones sur-éclairées, baisse de la puissance des candélabres de dernière génération… Des mesures qui se sont traduites par une baisse de 40% des consommations et qui permettront le lancement d'un plan de rénovation plus ambitieux, explique l'adjointe au maire Florence Lhermet. La seconde via toute une série de mesures reposant notamment sur les écogestes et la mobilisation des agents, des écoles et des associations – la conseillère municipale Aurélie Kosman mettant en avant "l'importance de l'acculturation à l'énergie".

… mais à pérenniser

Reste désormais à "pérenniser la sobriété et à l'articuler avec l'efficacité énergétique", insiste Maxime Scheffler, chargé de mission Amorce. Et ce, d'autant plus que les perspectives dressées par Aodren Girard pour le prochain hiver – et les suivants – ne sont guère réjouissantes : impacts des sécheresses sur l'énergie hydraulique ou nucléaire (cette dernière devant en outre composer avec le grand carénage et les travaux de maintenance), nécessaire baisse du recours au gaz et au charbon, importations… le tout sur fond d'une électrification jugée "abusive" des usages, ce qui nécessite notamment un déploiement accéléré des EnR (voir encadré ci-dessous). Les solutions existent, "mais les communes manquent de moyens humains, financiers et techniques", déplore Maxime Scheffler. Des agents de la ville d'Albertville et du syndicat départemental Énergie 35 sont toutefois venus appliquer un peu de baume au cœur, en mettant plus particulièrement en avant l'Intracting, mécanisme permettant de financer les travaux grâce aux économies générées par ces derniers. 

L'Iintracting, une panacée ?

Ce dispositif ne cesse de gagner des adeptes. Prenant exemple sur la ville de Stuttgart, Albertville, lourdement endettée, le déploie sur fonds propres depuis 2019, avec la création d'un fonds dans le budget d'investissement. Concrètement, le service des finances de la ville contractualise avec les services techniques : le premier octroie aux seconds des prêts à taux zéro pour mener des actions d'économies d'énergie, qui seront remboursés par les économies ainsi générées. "Cela force à travailler différemment. C'est un outil motivant pour les équipes, qui leur offre de la souplesse, les conduit à s'interroger en continu sur leurs méthodologies et process et à tester de nouveaux moyens d'action, renforçant les démarches d'innovation et d'expérimentation", soulignent Sandrine de Ternay, responsable du service Finances, et Damien Maignan, directeur des services techniques. 

Le syndicat d'Ille-et-Vilaine fait lui appel au dispositif d'intracting mis en place par la Banque des Territoires – la convention sera signée ce 7 avril. Pour faire face aux "manques de temps, de connaissances techniques et financières et de moyens financiers" des communes pointés par David Clausse, le syndicat, dont il est le directeur général, portera pour les communes le travail d'ingénierie financière et mutualisera le financement de travaux de rénovation : via l'intracting pour ceux ayant un retour sur investissement de moins de 13 ans, via des emprunts à long terme pour le reste. Les communes le rembourseront là-encore grâce aux économies générées, en bénéficiant d'un différé des annuités.

La bonne nouvelle – il en faut – est que toutes les collectivités ayant partagé leurs expériences sont unanimes : "les économies d'énergie financent les économies d'énergie !" "C'est un cercle vertueux très puissant", estime Sandrine de Ternay. À mettre en œuvre d'autant plus rapidement que le "coût de l'inaction", rappelé par Maxime Scheffler, n'a pas les mêmes vertus. "Le climat est un usurier. Tout ce qui n'est pas fait aujourd'hui coûtera plus cher demain", avertissait naguère Christophe Béchu (voir notre article du 6 février 2023).

  • "Les EnR qui arrivent façon cow-boy, c'est fini !"

Si les débats de la matinée n'ont bien évidemment pas remis en cause l'objectif d'un déploiement accéléré des énergies renouvelables (EnR), ils ont mis en relief un changement d'attitude à l'égard de ses modalités. "Les EnR qui arrivent de façon cowboy, c'est fini et c'est plutôt une bonne nouvelle", a ainsi déclaré Emmanuelle Wargon. L'ancienne ministre a souligné que "la clé, c'est l'acceptation territoriale", estimant que le succès passait surtout "par la régionalisation – et infra – de la prise de conscience, et pas nécessairement par celle des appels d'offre" : "Si on se dit que chaque région doit faire tant d'éolien, tant de solaire… ce n'est pas sûr qu'on y arrive. Tous les territoires n'ont pas le même potentiel. Il faut trouver le point d'équilibre entre le ‘Chacun fait sa part' et les potentialités des territoires. Il faut adapter les objectifs aux spécificités et aux potentialités" de chacun d'entre eux.

De son côté, Christian Buchel a insisté sur la nécessité de ne pas fixer "d'objectifs politiques sans intégrer la réalité économique et le temporel. On ne change pas un réseau en trois semaines !". Il a en outre mis en avant "le besoin d'une planification locale, qui doit permettre la planification nationale". Évoquant la question des réseaux, Emmanuelle Wargon a attiré l'attention sur "l'importance de la cohérence des réseaux de chaleur et de gaz", recommandant de bien "coordonner les travaux de ces deux réseaux". "Aujourd'hui les réseaux électricité, gaz et chaleur sont plutôt en concurrence qu'en complément", a toutefois déploré Nicolas Garnier.