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Développement des territoires - Start-up de territoire : l'autre Tour de France

Un nouveau modèle de développement économique se met en place dans des territoires aussi variés que Romans, Lons-le Saunier, Figeac, Strasbourg, Marseille ou Bordeaux : les "start-up de territoire". L'originalité ? Ce sont des entrepreneurs qui eux-mêmes sont à la manoeuvre pour dénicher de nouveaux projets sur leur territoire et les accompagner. Depuis quelques mois, ils se retrouvent à intervalles réguliers pour un tour de France. Histoire d'échanger, faire émerger de nouveaux projets et approfondir ce modèle de "R&D territoriale"...

Au moment où les forçats de la route achèvent la Grande Boucle, un autre Tour de France a lieu depuis quelques mois. Celui des "start-up de territoires" qui faisait étape le 30 juin à Lons-le-Saunier dans le Jura, après Figeac (Lot) en novembre 2015 et Romans (Drôme) le 2 février 2016… Suivront ensuite Marseille, Bordeaux, Strasbourg. D'autres devraient rejoindre la caravane, comme Lille, voire Saint-Denis. A chaque étape, une région spécifique. Territoires ruraux, grandes métropoles, villes moyennes ou quartiers de la politique de la ville… Qu'est-ce qui peut bien lier des territoires si différents ? Des entrepreneurs s'y sont regroupés pour expérimenter une nouvelle méthode de développement économique. Là où, auparavant, les élus avaient tendance à créer des zones artisanales, eux préfèrent miser sur l'accompagnement de projets sur leur sol, sans tout attendre de la puissance publique. Ces "entrepreneurs de territoire" sont souvent passés par la case "pôles territoriaux de coopération économique" (les clusters de l'économie sociale et solidaire), à l'instar du Clus'Ter Jura, organisateur de la rencontre de Lons-le-Saunier. Mais ils ne se limitent pas à la notion d'ESS. Pour Emmanuel Dupont, du commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) qui soutient le projet, start-up de territoire est "un approfondissement de la logique PTCE". "On est vraiment dans une démarche d'entreprises, d'acteurs qui se mobilisent eux-mêmes avec une culture de l'entreprise, insiste-t-il. Ils se disent qu'ils ont une responsabilité à la fois sociale et territoriale à aider à l'émergence d'autres entrepreneurs."

Nouveau modèle d'ingénierie territoriale

C'est bien un nouveau modèle d'ingénierie territoriale qui est en train d'émerger, ni mécénat, ni bénévolat, ni coaching… Ces entrepreneurs n'hésitent pas à aller au contact des associations, des habitants, des chercheurs pour dénicher des idées innovantes. "Le développement économique peut se faire de manière endogène. On cherche à faire émerger des projets en partant de l'identification des besoins sur un territoire. Ce qui nécessite de l'ingénierie, de l'expertise qu'on va chercher dans la société civile", souligne Pierre-François Bernard, directeur du Clus'Ter Jura.
Forts d'une dizaine d'années d'échanges entre eux, ces entrepreneurs ont eu l'idée d'un Tour de France il y a un an. Lors de chaque étape, ils peuvent ainsi faire profiter de leur propre expérience, approfondir leur démarche. A Lons-le-Saunier, plus de 300 participants venus des quatre coins du pays ont ainsi fait le déplacement. 23 ateliers ont été organisés qui devraient déboucher sur autant de projets : ici récupérer du marc de café pour fabriquer des cosmétiques, là regrouper des offres et demandes de logements vacants, ou encore lancer une chaîne de production de remorques de vélos… "On voudrait créer des communautés autour de chaque projet", explique Pierre-François Bernard, pour qui il est préférable d'"accompagner des projets plutôt que des porteurs de projets". Chaque rassemblement est aussi l'occasion pour le territoire hôte de se structurer. C'est ainsi que le Clus'Ter Jura - qui était à l'origine un PTCE - s'est mué le 30 juin en Scic (société coopérative d'intérêt collectif). Son projet phare sera de lancer une filière de consignes de bouteilles en verre sur le vignoble du Jura. Collecter les bouteilles vides plutôt que de les recycler : un geste simple et écologique qui permettra de créer des emplois dans la consigne, le nettoyage, le tout avec un moindre coût pour les vignerons.

"Il va falloir faire autrement de l'économie territoriale"

Vis-à-vis de ces entrepreneurs qui, quelque part, empiètent sur leur champ de compétence, les élus ont deux sortes d'approche. Il y a ceux "qui réfléchissent depuis longtemps à la question de l'ESS, à l'innovation et qui, ayant du mal à renouveler leur politique, veulent s'appuyer sur ce type d'initiatives", développe Emmanuel Dupont. Mais il y aussi "des collectivités qui ne dépassent pas trop le stade de l'incrédulité, qui se montre méfiantes vis-à-vis de ce qu'elles voient comme de la concurrence". Pourtant, les start-up de territoire arrivent à un moment charnière. Après avoir été considérées pendant une trentaine d'années comme une solution moderne face à la crise de l'Etat, "les collectivités sentent aujourd'hui qu'elles perdent aussi la main sur l'innovation, l'économie, le numérique… et qu'il va falloir faire autrement de l'économie territoriale", estime Emmanuel Dupont. L'appel aux territoires se traduit aussi dans les urnes. "Les aspects de la mondialisation mal gérés, l'éloignement des centres de décision dans les grandes régions… tout cela laisse un échelon orphelin. Les territoires ont plus que jamais besoin d'ingénierie territoriale et démocratique", renchérit Pierre-François Bernard.
A Lons-le-Saunier, ville du maire emblématique Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France de 2004 à 2014, l'accueil est favorable. "Le maire a parrainé la manifestation, il est très bienveillant vis-à-vis de la démarche", assure même Pierre-François Bernard. La ville a d'ailleurs pris des parts dans la Scic. Mais attention toutefois à ne pas dénaturer ce qui fait l'originalité des start-up de territoire : leur indépendance. "On n'est pas dans une logique d'appui politique à telle ou telle collectivité, on fait très attention à préserver la logique d'entreprise. Ce sera à surveiller", prévient Emmanuel Dupont, alors que le CGET est associé au suivi du dispositif. Il s'agira pendant un an de le mesurer "pour en tirer la substantifique moelle, des éléments de preuves et d'impact", puis de stabiliser le modèle économique de cette "R&D territoriale" (avec ou sans l'aide des fonds publics), de le promouvoir, de l'essaimer. Les start-up de territoire ambitionnent de faire émerger quelque 500 idées de projets et d'en accompagner une centaine dans les dix-huit mois, dans des domaines tels que l'économie circulaire, les énergies renouvelables, la mobilité verte, la relocalisation de l'alimentation, la dépendance ou l'économie patrimoniale...

 

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