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Suite au verdict de la Cour des comptes, cap sur le "redressement des comptes publics"

Le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques remis ce 29 juin au gouvernement juge que des "mesures fortes de redressement" s'imposent pour contenir le déficit public. L'exécutif prévoit une série de décisions, dont le gel du point d'indice des fonctionnaires. Si les collectivités ont réduit leurs dépenses, il est jugé probable que celles-ci repartent à la hausse. D'où une série de recommandations de la Cour en termes, notamment, de suivi de ces dépenses et de clarification des compétences.

Le gouvernement s'est engagé ce jeudi 29 juin à "contenir le déficit à 3%" du PIB en 2017, quelques heures après la publication d'un audit de la Cour des comptes plutôt alarmiste sur l'état des finances publiques hérité du précédent quinquennat.
Selon la Haute Juridiction, en l'absence de "mesures fortes de redressement", le déficit public devrait s'établir cette année à 3,2% du PIB. Soit un dérapage d'environ 8 milliards d'euros par rapport aux prévisions officielles du précédent gouvernement.
"C'est inacceptable", a d'emblée commenté le Premier ministre Edouard Philippe, jugeant les conclusions de la Cour "sévères" et "sans appel".
La France s'était engagée en avril à ramener son déficit public à 2,8% du PIB cette année et 2,3% en 2018, après 3,4% en 2016, afin de repasser, pour la première fois depuis dix ans, sous la barre des 3% exigée par les traités européens. Mais le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, a estimé en présentant ce rapport que "des risques forts pèsent" sur ces objectifs.
Pour les magistrats financiers, les derniers textes budgétaires du quinquennat Hollande - la loi de finances initiale pour 2017 et le programme de stabilité adressé à Bruxelles - ont été marqués par des "biais de construction" et entachés "d'insincérités".
Le risque de dérapage en 2017 résulte "quasi exclusivement d'une sous-estimation des dépenses de l'Etat", insistent-ils. Or le gouvernement était conscient de ces problèmes "dès l'automne 2016, et de manière plus précise encore, en avril dernier". En cause notamment : une sous-budgétisation pour certains ministères, la recapitalisation d'Areva et un rendement plus faible que prévu des régularisations fiscales pour les contribuables détenant un compte caché à l'étranger. Des accusations aussitôt récusées par l'ancien ministre des Finances Michel Sapin et son secrétaire d'État au Budget, Christian Eckert, qui ont nié tout artifice comptable. "Chaque année depuis 2014, les engagements européens de la France ont été tenus", ont-ils fait valoir.
Selon la Cour, cette fois-ci, la France devra mettre en œuvre des efforts d'économies "sans précédent". Pour 2017, cela suppose de "prendre des mesures d'économies supplémentaires portant sur toutes les administrations publiques". Et en 2018, "le levier des dépenses devrait être utilisé de façon beaucoup plus marquée", a estimé Didier Migaud.

Des "décisions difficiles", entre autres pour les fonctionnaires

Donnant une première piste, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé ce jeudi soir sur France 2 qu'il n'y aurait "pas d'augmentation du point d'indice" pour les fonctionnaires. Pour être dans les clous européens, l'effort suppose "entre 4 et 5 milliards d'économies" cette année, a-t-il précisé.
L'équation budgétaire, juge la Cour, sera "d'autant plus complexe" que 2018 comporte de nombreux facteurs d'augmentation de la dépense publique, comme la croissance de la masse salariale publique promise sous François Hollande, la hausse des dépenses de défense et de sécurité ou des grands travaux d'infrastructures. Sans compter le programme de campagne d'Emmanuel Macron qui a promis une série de réformes fiscales coûteuses, comme la réforme de l'impôt sur la fortune, la suppression de la taxe d'habitation pour 80% des ménages ou la transformation du CICE en baisse de charges.
Le nouveau gouvernement avait commandé cet audit pour disposer d'une publication "transparente" et justifier des mesures d'économies et d'éventuels reports de réformes.
"Toutes les propositions faites par le président de la République pendant sa campagne seront respectées, ensuite il faut les inscrire dans un calendrier", a déclaré le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, évoquant des "décisions difficiles". "Il faut que l'Etat, les collectivités locales, les dépenses sociales, chacun fasse un effort", a-t-il ajouté.
Le Premier ministre, qui doit animer un séminaire gouvernemental ce vendredi et samedi à Nancy consacré notamment aux arbitrages budgétaires, a pour sa part écarté toute hausse d'impôts. "Dès mardi, lors de ma déclaration de politique générale, puis au cours du mois de juillet pendant le débat d'orientation des finances publiques, j'aurai l'occasion de préciser au Parlement notre stratégie de redressement des comptes publics", a-t-il indiqué.

Comment réduire les dépenses ? Les recettes de la Cour

Réduire le nombre de fonctionnaires
La masse salariale des administrations publiques représente près d'un quart des dépenses publiques en France. La Cour des comptes recommande de ne remplacer qu'un départ à la retraite sur deux dans les ministères - certains d'entre eux, jugés prioritaires, pouvant toutefois être préservés - et un sur trois dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale, pour une économie de 2,4 milliards d'euros.

Limiter la hausse de leur rémunération
En dehors du gel du point d'indice, les magistrats proposent de supprimer l'indexation des primes et indemnités sur la valeur du point. En outre, ils suggèrent de recentrer l'indemnité de résidence sur les agents vivant dans les zones les plus chères, comme l'Ile-de-France, de supprimer le supplément familial de traitement, qui vient en complément des prestations familiales de droit commun, et de revoir les majorations de rémunération et d'indemnités pour les fonctionnaires en poste outre-mer, jugées largement supérieures au surcoût de la vie dans ces territoires.

Revoir les dépenses allouées à l'éducation
Le système éducatif doit s'attacher à stabiliser ses dépenses et les rendre plus efficaces, selon la Cour. Première piste : réduire le coût du lycée, supérieur à la moyenne de l'OCDE, pour réallouer ces ressources au bénéfice de l'enseignement primaire, en étalant le temps d'instruction des lycéens sur une période annuelle plus longue, et en resserrant le champ des options et des spécialités. Du côté de l'enseignement supérieur, les droits d'inscription aux diplômes nationaux pourraient être augmentés. Enfin, les dotations aux universités pourraient être versées à l'issue d'audits évaluant leurs performances.

Rationaliser la politique de sécurité
La Cour appelle à améliorer l'organisation de la police et de la gendarmerie, pour que les effectifs soient plus adaptés aux niveaux de délinquance. Elle préconise aussi de renforcer leur complémentarité, et de mutualiser leurs achats, certains recrutements et les plateformes de la police technique et scientifique.

Mieux cibler les aides au logement
Pour réduire le coût des aides publiques au logement (34,6 milliards d'euros en 2015), la Cour recommande une "plus grande sélectivité de l'accès aux logements sociaux", mais aussi une meilleure prise en compte, pour le calcul des aides personnelles au logement, du montant restant à charge au locataire pour régler son loyer. Elle propose enfin de revoir certaines aides fiscales, comme la TVA à taux réduit sur les travaux, à l'efficacité "incertaine" et source "d'importants effets d'aubaine".

Harmoniser les régimes de retraite
Pour la Cour, de nouvelles évolutions sont nécessaires pour assurer "un équilibre financier durable" des régimes de retraites et accroître l'"équité" entre retraités. Les magistrats proposent d'allonger la durée du temps de travail, de renforcer la convergence entre le public et le privé, de réduire les avantages réservés aux "régimes spéciaux", et enfin de supprimer les bonifications dont bénéficient les fonctionnaires ayant travaillé à l'étranger ou en outre-mer, qui ont selon eux "perdu toute justification".

Mieux maîtriser les dépenses de santé
La Cour juge possible "une maîtrise plus rigoureuse" des dépenses de santé sans impact sur la qualité des soins. Parmi les leviers avancés figurent le développement de la chirurgie ambulatoire et le recours à "un forfait global de rémunération des professionnels" en lieu et place du paiement à l'acte pour la prise en charge des maladies de longue durée.

Revoir les indemnités chômage
Pour réduire les dépenses en faveur de l'emploi et de la formation, qui ont augmenté de 80% entre 2006 et 2015, la Cour propose de réduire la durée des contrats aidés, par ailleurs recentrés sur le seul secteur privé, et de revoir les règles d'indemnisation de l'Assurance chômage. Plusieurs paramètres pourraient être revus, comme la durée d'indemnisation, la durée minimale d'affiliation et le montant maximum d'indemnisation.

Et les collectivités dans tout ça ?

Côté bilan, les choses sont assez claires : en 2016, le déficit public a été "intégralement porté" par les administrations publiques centrales, notamment l'Etat, alors que le solde des collectivités territoriales s'est sensiblement amélioré "grâce à une baisse des dépenses". Une amélioration qui "provient essentiellement des départements, dont les comptes se sont redressés (+1,4 milliard d'euros en 2016 après -0,4 milliard en 2015) et, dans une moindre mesure, des régions dont le besoin de financement se réduit (-1 milliard en 2016 après -1,9 milliard en 2015)."
La Cour relève que contrairement à l'année 2015, où le recul des dépenses des collectivités avait surtout concerné l'investissement, l'an dernier, les dépenses de fonctionnement ont elles aussi légèrement baissé (-0,3%, en sachant toutefois que l'investissement a lui aussi diminué, de 3,3%). S'agissant des recettes, la Cour assure que "la baisse des transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales a été plus que compensée par le dynamisme de la fiscalité locale, et en particulier des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui ont crû de 8,3%, et du produit de la taxe foncière (+5%), notamment du fait des hausses de taux votées par les collectivités". En termes de prévisions pour 2017, le rapport indique que les dépenses des administrations publiques locales devraient repartir légèrement à la hausse. Ceci concernera notamment le fonctionnement (+1,6%). En cause, la hausse du point d'indice, la mise en œuvre du protocole PPCR, la hausse de l'inflation (qui "renchérira le coût des achats de biens et services par les collectivités") et la "pression à la baisse des dépenses" qui sera moindre du fait d'une baisse de DGF moins drastique que lors des deux dernières années. En matière d'investissement, l'impact de cette baisse des dotations pourrait être "en partie compensé" par la montée en charge du fonds de soutien à l’investissement public. Ce fonds "a en effet à peine commencé à donner lieu à des décaissements en 2016, en raison des délais inhérents à la mise en place des projets d’investissement, mais il devrait être plus fortement sollicité en 2017", prévoit la Cour.

Diminuer les dépenses en clarifiant les compétences

Cette reprise de l’investissement local "devrait se confirmer en 2018" et jusqu'en 2020, assure-t-elle, se fondant notamment pour cela sur le cycle électoral. En revanche, "l’évolution des dépenses de fonctionnement est plus incertaine", indique-t-elle, jugeant qu'un effort "reste nécessaire"... et qu'il faut donc poursuivre "la mise sous tension financière des collectivités territoriales, sans laquelle leurs dépenses risquent de repartir à la hausse".
Autre préconisation, déjà présente dans le rapport sur les finances locales de 2016 : l'instauration d’une loi de financement des collectivités, "qui pourrait retracer l’ensemble de leurs relations financières avec l’Etat et fixer pour l’année à venir, par catégorie de collectivités, les conditions de l’équilibre global en cohérence avec la loi de programmation des finances publiques". A cette loi pourrait s'ajouter "un suivi infra-annuel" des dépenses, via un "comité de pilotage et de suivi des dépenses locales".
De même, la Cour prône la réactivation d'un "dispositif du type de la conférence nationale des finances publiques" afin, notamment, de "responsabiliser l’ensemble des acteurs".
Enfin, la Cour consacre de longs développements à la question des compétences, reprenant le credo selon lequel "les chevauchements de compétences entre collectivités territoriales sont sources de dépenses inutiles et nuisent à l’efficience des politiques publiques". Il est selon elle encore trop tôt pour évaluer les effets des lois Maptam et Notre et pour se prononcer sur les impacts de la réduction du nombre de régions. Sur cette nouvelle carte des régions, "il est à craindre néanmoins que le maintien de nombreux sites administratifs et l’alignement vers le haut des régimes indemnitaires au sein des régions fusionnées soient, au moins dans un premier temps, un facteur d’alourdissement des dépenses", écrit-elle.
Il faut, résume le rapport, "privilégier des transferts de blocs de compétences, et non des compétences fragmentées, poursuivre la rationalisation des compétences entre les départements et les intercommunalités et approfondir les efforts de mutualisation des fonctions supports entre les groupements et leurs communes membres et mieux coordonner les politiques fiscales et de solidarité sur le territoire intercommunal". De même, la Cour regrette que "le maintien de la clause de compétence générale des communes" n'ait "pas permis d’aller au bout d’une rationalisation nécessaire des rôles respectifs des collectivités".
Même verdict s'agissant des "chevauchements" entre Etat et collectivités. Là-dessus, la Cour semble plutôt au diapason de ce que n'ont pas cessé de dire les élus locaux : "Dans de trop nombreux domaines de l’action publique, l’Etat prend des décisions et laisse les collectivités territoriales en assumer la charge", souligne-t-elle, citant le RSA, la PCH et l'APA, mais aussi "la réforme des rythmes scolaires dont la mise en oeuvre a été largement financée par les communes". Or "assurer l’efficience des politiques publiques passe par une plus grande cohérence entre ceux qui décident des politiques et ceux qui en assurent le financement".

 

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