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Mobilité - Transports franciliens : la Cour des comptes tire le signal d'alarme

Réseau devenu inadapté, qualité de service dégradée, affirmation insuffisante de l'autorité organisatrice, retards d'investissements, déséquilibres financiers difficiles à résorber : dans un rapport rendu public ce 17 novembre, la Cour des comptes dresse un état des lieux préoccupant des transports en Ile-de-France au moment où se déroulent les débats publics sur les projets de transports du Grand Paris. Fruit d'un travail mené par une formation commune à la 7e chambre de la cour, qui suit les transports, et à la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France, le rapport passe en revue les maux dont souffrent les transports franciliens qui assurent aujourd'hui 7,4 millions de voyages quotidiens sur près de 1.700 kilomètres de lignes. Tout d'abord, "le réseau, proche de la saturation  sur certains tronçons, a de plus en plus de difficultés à répondre à la demande de transport des habitants", a souligné Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, en présentant le rapport.  "Entre 2001 et 2009, le trafic sur les réseaux du transport régional a augmenté de près de 20% sans que les infrastructures évoluent en conséquence", a-t-il regretté, ajoutant que "les réseaux ferrés peinent à s'adapter à l'étalement urbain". "Alors que près des trois quarts des déplacements sont aujourd'hui réalisés de banlieue à banlieue, le réseau reste encore largement conçu pour des liaisons dans Paris intra-muros ou entre Paris et la couronne parisienne", a-t-il poursuivi.

Un service aux voyageurs dégradé

Autre constat : les infrastructures ont vieilli et souffrent d'un manque d'investissements. "Les investissements de la RATP ont crû sur la période récente, mais le rapport de la cour souligne que la SNCF et RFF [Réseau ferré de France, ndlr] ont négligé la rénovation du réseau francilien", a relevé Didier Migaud. "Nous sortons des années TGV, et dans les années TGV, on a fait des TGV et les trains de banlieue en ont pâti, on n'avait pas d'argent pour investir de tous les côtés", a ajouté Christian Descheemaeker, président de la 7e chambre.
Par voie de conséquence, a déploré Didier Migaud, "la qualité du service aux voyageurs se dégrade", notamment en termes de ponctualité sur les RER A et B et sur le Transilien, le service de trains de banlieue de la SNCF. Les records d'irrégularité sont détenus par la partie du RER B exploitée par la SNCF, la ligne de Paris-Nord-Crépy et le RER D. La cour juge nécessaire dans ces conditions de réviser les contrats liant la RATP et la SNCF à l'autorité organisatrice, le Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif). "Alors que la régularité et la ponctualité des lignes se sont globalement dégradées, le bilan financier du bonus/malus a été constamment positif pour les exploitants", a relevé Didier Migaud. Le rapport recommande donc de mieux prendre en compte dans la grille d'évaluation des opérateurs les critères de régularité et de ponctualité, en particulier aux heures de pointe, et d'élargir le dispositif à RFF, gestionnaire du réseau exploité par la SNCF.

Le Stif tiraillé

La cour estime aussi que l'autorité des transports régionaux doit "encore s'affirmer". Didier Migaud a salué les effets positifs de la réforme de 2005. "La décentralisation complète de l'autorité organisatrice des transports régionaux, le Stif, a donné à la région et aux huit départements franciliens la compétence de droit commun en la matière", a-t-il rappelé, mais l'autorité régionale des transports n'a pas réussi selon lui à "faire prévaloir une stratégie commune avec l'Etat" comme en a témoigné récemment la loi du 3 juin 2010 créant un établissement public national chargé de concevoir et réaliser le nouveau réseau de transport du Grand Paris. "La relation contractuelle entre le Stif et les opérateurs de transport n'apparaît pas davantage satisfaisante", a encore souligné Didier Migaud, l'autorité organisatrice n'ayant pas été en mesure de "maîtriser la croissance de la rémunération de la RATP et de la SNCF". Il a égratigné les comptes des deux opérateurs publics, jugés trop opaques, s'étonnant notamment de ce que le Transilien n'ait pas de comptes indépendants et certifiés, et de ce que le Stif ne puisse pas savoir combien ses trains emploient de cheminots.
Dans une réponse à la Cour des comptes où il conteste plusieurs points du rapport, le président du Stif, Jean-Paul Huchon, a fait remarquer que "le poids du critère de régularité a été très sensiblement augmenté" dans le dernier contrat de gestion. "Durcir davantage les indicateurs et accroître très fortement le montant de malus risque d'introduire dans le système un effet pervers, incitant la RATP et la SNCF à provisionner ex-ante ces risques financiers en les incluant dans les charges couvertes contractuellement par le Stif", écrit-il, reconnaissant par ailleurs que RATP et SNCF "continuent de refuser de communiquer au Stif" des comptes d'exploitation détaillés.

Priorité à la modernisation de l'existant

Dans ces circonstances, "l'importance des besoins justifie qu'une priorité soit donnée aux projets de modernisation des lignes existantes et à des extensions limitées du réseau", a estimé Didier Migaud. Les sages de la cour ne remettent pas pour autant en cause la nécessité de construire un nouveau métro circulaire dans le Grand Paris. Mais "on a tout à fait le temps de réfléchir", a noté Christian Descheemaeker, ajoutant que "tout est une question de phasage dans le temps".
Concernant les investissements, le premier président de la Cour des comptes a pointé "des lacunes dans la sélection des projets", dont "les bilans surestiment les gains de temps pour les usagers et sous-estiment le montant des investissements".
"La maîtrise des coûts est insuffisante. En moyenne, le coût final des projets du contrat de plan Etat-région 2000-2006 a augmenté de 92% par rapport aux évaluations initiales", a-t-il ajouté. La conduite des projets peut par ailleurs être améliorée, estime la cour. Les délais de réalisation (neuf ans et demi pour les projets de métro et près de treize ans pour les projets de tramway) peuvent s'expliquer par les contraintes techniques en zone urbaine dense, "mais la multiplicité des acteurs constitue également un facteur d'explication", a reconnu Didier Migaud.
Enfin, le rapport évoque trois sources possibles de recettes supplémentaires pour remédier au déséquilibre financier actuel du système de transport francilien. "L'augmentation des tarifs ne saurait être exclue", a prévenu Didier Migaud, surtout "si les pouvoirs publics font le choix d'un rattrapage rapide du niveau des investissements". Les gains de productivité réalisés par les entreprises de transport constituent un deuxième levier possible, à condition de négocier "une clef de répartition claire entre ce que les entreprises conservent pour financer leur endettement et leur croissance, et la part des gains dont elles font profiter l'autorité organisatrice pour moderniser et étendre les réseaux", a-t-il expliqué. Selon l'ampleur et le rythme des investissements, "le recours à des recettes fiscales peut être envisagé pour boucler leur plan de financement", a conclu Didier Migaud, évoquant notamment une revalorisation du niveau de l'amende forfaitaire de stationnement et la taxe sur les plus-values foncières engendrées par la modernisation du réseau de transport créée par la loi du 3 juin 2010.

 

Anne Lenormand

 

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