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Un "bonus-malus" pour convertir la PAC à l'agro-écologie ?

Dans un rapport publié le 23 octobre, France Stratégie propose de remplacer les aides à l'hectare de la Politique agricole commune (PAC) par des aides à l'emploi et d'instaurer un système de bonus-malus : les bonnes pratiques agroécologiques seraient financées par des taxes sur les pesticides, les engrais et les gaz à effet de serre. Au-delà de la fracture habituelle entre les syndicats agricoles, ces derniers se retrouvent pour dénoncer le mutisme du rapport concernant les accords de libre-échange...

Un pavé dans la PAC (Politique agricole commune). Le récent rapport de France Stratégie proposant de faire de la PAC "un levier de la transition agroécologique" n’a pas manqué de faire réagir les syndicats agricoles. Un rapport lu "avec intérêt" par la Confédération paysanne qui y voit la consécration de ses propres préconisations. Alors que la Coordination rurale rue dans les brancards et dénonce une "vision punitive et dangereuse".

Ce rapport publié le 23 octobre propose de renverser complètement le mécanisme actuel en substituant les aides à l’hectare (premier pilier) par des aides à l’emploi. Deuxième axe : instaurer un système de "bonus-malus". Les pratiques agroécologiques seraient encouragées par un bonus lui-même financé par des taxes sur les pratiques polluantes (pesticides, gaz à effet de serre).

Carotte et bâton

Le contexte se prête à ce programme ambitieux avec la définition de cadre national de la PAC pour la prochaine programmation 2021-2027 (une concertation vient d’être engagée avec les régions). Mais cette "re-nationalisation" de la PAC, comme le disent ses détracteurs, risque toutefois de raviver les tensions intra-communautaires, au moment où l’agriculture conventionnelle se fait tailler des croupières à l’international et où les accords de libre-échange se multiplient. Ce qui fait dire à la Coordination rurale que "pendant que les agriculteurs français se retrouveraient menés au bâton et à la carotte, les agriculteurs des autres États membres pourraient bénéficier d’un régime plus clément".

A moins d’instaurer une réelle incitation à la conversion. A l’heure actuelle, les aides directes sont essentiellement liées à la taille des exploitations et à des "références historiques de production" (aujourd’hui déconnectées de la réalité), malgré l’introduction d’un léger verdissement (paiement vert).  Dans l’idée de France Stratégie - organisme rattaché au Premier ministre -, ce premier pilier serait transformé en pilier "emploi agricole" qui permettrait d’assurer un paiement minimal déconnecté de la surface agricole mais dépendant du nombre d’emplois mobilisés. Un mode de calcul qui privilégierait le passage à l’agroécologie, les exploitations arboricoles et maraîchères nécessitant plus de main d’œuvre, au détriment des grandes cultures. A budget constant (soit, 5,7 milliards d’euros en 2018), le paiement de base par unité de travail annuel (UTA) serait de 8.000 euros équivalent temps plein.

Cinq bonus

Le second pilier de la PAC (qui comprend aujourd’hui notamment les mesures agro-environnementales et climatiques du Feader) serait donc transformé en "pilier transformation vers l’agroécologie", avec l’objectif de récompenser les "services environnementaux" apportés à la société et d’encourager à la conversion. Cinq bonus seraient créés : maintien des prairies permanentes, diversification des cultures, surfaces d’intérêt écologique (SIE), Natura 2000 et Espaces agricoles à haute valeur naturelle (au titre de la trame verte et bleue). De l’autre côté, les intrants (produits phytosanitaires, antibiotiques et engrais) et les effets de gaz à effet de serre seraient taxés. Le produit de ces taxes irait intégralement au financement de "contrats  longs agro-écologiques". Selon les calculs de France Stratégie, il pourrait s’élever à 3,9 milliards d’euros par an, bien plus que le 1,7 milliard d’euros de l’actuel Feader. Le taux minimum pour enclencher un changement de pratique serait de 20% pour les engrais et les pesticides et de 15% pour les antibiotiques. France Stratégie propose d’introduire des seuils progressifs pour "se donner le temps de suivre les indicateurs environnementaux" et "permettre aux agriculteurs d’adapter leurs pratiques". L’application de ces taux progressifs permettrait de financer les 2,4 milliards d’euros prévus pour le bonus diversification des cultures.

Bien sûr de telles mesures feraient des gagnants et des perdants, d’où la position acerbe de la Coordination rurale. Mais France Stratégie assure que pour ne pas y perdre, les grandes cultures auraient à réduire leurs engrais et pesticides de 20%. Pourtant, la Coordination rurale et France Grandes Cultures "enjoignent le gouvernement de ne surtout pas suivre des recommandations aussi dangereuses", au risque de "littéralement saborder ce qu’il reste d’agriculture française". Le rapport "ne propose rien en termes de régulation" et "le cadre reste libéral et totalement ouvert à la mondialisation", s’insurgent-ils. Seul point sur lequel ils rejoignent la Confédération paysanne. "Il est nécessaire et vital pour l'emploi paysan de les réactiver comme de mettre fin aux accords de libre-échange", estime le syndicat. Accords qui "ne font qu'entretenir une course aux prix bas mondialisée".

PAC : les parlementaires français dénoncent un "dialogue de sourds"

Les parlementaires français ont dénoncé le 29 octobre, dans un communiqué diffusé par trois commissions, un "dialogue de sourds" avec la Commission européenne au sujet de l'agriculture .
"Malgré les oppositions continuellement exprimées, la Commission européenne n'a pas modifié d'un iota son projet depuis juin 2018", affirme le député La République en Marche (LREM) Jean-Baptiste Moreau, cité dans le communiqué signé par la Commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale, celle des Affaires économiques du Sénat et celle des Affaires européennes du Sénat. Les parlementaires appellent la Commission européenne à "modifier sa programmation budgétaire pour la période 2021-2027, pour sanctuariser les moyens alloués à la politique agricole commune".
Alors que les représentants des parlements nationaux "ont exprimé de nombreuses critiques sur les projets de réforme de la PAC et de budget de l'Union européenne de la Commission", lors de la réunion organisée entre les institutions européennes et les parlements nationaux des États membres le 26 octobre à Helsinki, il n'y a pas eu de "réels échanges", soulignent les auteurs du communiqué.
Le président de la Commission des Affaires européennes du Sénat, Jean Bizet (LR), qui faisait partie des intervenants, estime que "la réforme proposée conduira mécaniquement à une 'renationalisation' de la PAC".  "Nous devons refuser que la politique agricole devienne de moins en moins commune, ce qui favorisera des distorsions de concurrence très préjudiciables aux agriculteurs français" affirme Jean Bizet dans le communiqué. "Comment parler de convergence des aides si on n'a pas, en parallèle, une convergence sociale, fiscale et environnementale ?", ajoute Jean-Baptiste Moreau, au nom de la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale.
La présidente de la commission des Affaires économiques du Sénat, Sophie Primas (LR), s'inquiète quant à elle "de la contradiction croissante entre les exigences de plus en plus fortes imposées aux producteurs européens et celles, moindres, imposées aux produits importés". Les parlementaires jugent "qu'il serait inconcevable de demander aux agriculteurs européens de faire beaucoup plus avec beaucoup moins. À l'heure où les autres grandes puissances augmentent leur budget agricole, cela serait une erreur stratégique historique". "Nous avons constaté une unanimité des points de vue des représentants nationaux des citoyens européens sur le budget de la PAC. Les jeux ne sont pas faits", assure Sophie Primas.
AFP