Une commission d'enquête de l'Assemblée étrille l'"impuissance publique" à réduire les pesticides

La commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les pesticides a adopté ce 14 décembre 2023, son rapport intitulé "2013-2023 : une décennie (presque) perdue, les conditions de la réussite pour 2030". Lors d'une présentation à la presse, son rapporteur a dénoncé "un échec collectif" à réduire l'usage des pesticides, avec une "forme d'impuissance publique" malgré de graves répercussions sur la qualité de l'eau et la biodiversité.

Le rapport complet de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les pesticides n'a pas encore été publié mais le rapporteur, le député socialiste de Meurthe-et Moselle Dominique Potier, en a présenté une synthèse à la presse ce 14 décembre. Le document adopté ce même jour constate "un échec collectif à réduire notre empreinte chimique" alors qu'il y a "urgence à agir". La commission d'enquête, à l'initiative du groupe Socialistes et apparentés, avait commencé ses travaux en juillet. Seuls les députés RN ont voté contre le rapport, tandis que des LFI et deux Renaissance se sont abstenus, a indiqué Dominique Potier.

"Sur au moins un tiers du territoire national, les pesticides et leurs métabolites [composants issus de leur dégradation, NDLR] constituent une menace majeure pour la ressource en eau potable", est-il souligné dans la synthèse du rapport. Dans le même temps, "l'imprégnation générale de l'ensemble des milieux [affecte] la biodiversité" et met en péril les services rendus par la nature, comme la pollinisation. Quant aux effets sur la santé humaine, la recherche n'en est "qu'aux balbutiements" mais des liens ou présomptions de liens ont été établis entre certaines affections et l'exposition aux pesticides.

Menaces sur les captages d'eau potable

Le rapport fait vingt-sept recommandations, dont celle de renforcer la réglementation visant à prévenir la pollution de l'eau potable. La synthèse relève qu'"entre 1980 et 2019, 4.300 captages ont dû être fermés pour cause de pollution, principalement aux nitrates et aux pesticides". Elle cite une instruction du gouvernement de 2020 selon laquelle "du fait de ces pollutions, le coût estimé du traitement pour rendre l'eau potable est compris entre 500 millions et un milliard d'euros par an".

Les moyens dévolus à la prévention de la pollution et le pilotage politique sont jugés insuffisants "au regard du coût phénoménal de la réparation des impacts sur la santé environnementale et la fertilité des sols". "C'est un archétype d'un échec des politiques publiques faute de cohérence". Et "d'injonctions économiques contradictoires", a déploré Dominique Potier, alors que le modèle agricole s'est largement structuré autour du recours aux herbicides, insecticides et fongicides de synthèse pour accroître la production et s'assurer un certain niveau de rendement.

Volonté de contribuer au nouveau plan Ecophyto 2030

Le document de la commission se veut "une contribution utile au débat public" au moment où un plan "Ecophyto 2030" est soumis à la concertation. Le premier plan Ecophyto, lancé en 2008, ambitionnait de baisser de moitié en dix ans l'utilisation des pesticides (herbicides, insecticides, fongicides), un objectif sans cesse repoussé.

"Globalement, nous observons que les indicateurs [d'usages des pesticides] sont au même niveau qu'en 2009. Les seules avancées observées sont liées au retrait des molécules les plus dangereuses" - des retraits qui ne sont "pas dus à la dynamique Ecophyto", selon la synthèse.

La commission d'enquête se dit "frappée par le sentiment d'une forme d'impuissance publique". "Ecophyto est comme un véhicule qui roulerait sur une route sans radar, avec un tableau de bord défectueux. Un véhicule sans pilote dont les passagers feraient de la destination même un sujet de controverse."

Avec Ecophyto 2030, "le plan de la Première ministre est mieux" mais "insuffisant par les moyens mis en oeuvre", estime Dominique Potier. Ecophyto 2030 fait l'objet d'un intense lobbying par les organisations agricoles et environnementales. Le syndicat majoritaire FNSEA conteste l'objectif de baisser de 50% l'usage des pesticides d'ici à 2030, ragaillardi par l'échec au Parlement européen d'une législation fixant cet objectif.

La synthèse observe que "la révolution culturelle qui semblait s'être opérée quant à la nécessité de s'affranchir de notre dépendance aux produits phytosanitaires est remise en cause dans le contexte des tensions consécutives à la guerre en Ukraine et des concurrences déloyales sur le marché mondial" - tous les pays n'étant pas soumis aux mêmes contraintes.

Générations futures salue les conclusions du rapport

L'association Générations futures a salué dans un communiqué les principales conclusions de la synthèse du rapport. Elle y voit "un état des lieux objectif et sans concession de l'échec des plans Ecophyto successifs et des causes de ces échecs". "La réalité des impacts des pesticides sur les milieux, la biodiversité et la santé est aussi rappelée très clairement", estime-t-elle. La synthèse "fait également le constat de certaines failles du système d’évaluation et d’autorisation des pesticides que Générations futures a mis en avant par ailleurs ces dernières années dans plusieurs rapports comme la mauvaise prise en compte de littérature scientifique, la déficience de certaines lignes directrices ou encore l’absence de méthodologies pour évaluer les mélanges, tout en demandant leur réforme", souligne l'association. "Générations futures souhaite que ce rapport Potier redonne enfin de l’ambition au gouvernement actuel en matière de transition agroécologique et de réduction forte de l’usage des pesticides en lui rappelant que d’autres voies sont possibles que l’actuelle soumission systématique aux différents oukases de la FNSEA, opposée à toute politique agricole ambitieuse en matière de réduction des pesticides et d'agroécologie", a déclaré François Veillerette, porte-parole de l'association.