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Presse - Une réforme importante pour sauver les marchands de journaux

Les marchands de journaux sont confrontés à une crise profonde, avec la disparition de 700 points de vente chaque année... Les professionnels réclament une meilleure rémunération et d'avoir la main sur le choix des titres en fonction de leur clientèle. Ils comptent beaucoup sur la réforme de l'assortiment, validée par la toute nouvelle Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), qui doit entrer en vigueur cet automne. En revanche, les collectivités, qui peuvent aussi agir via le droit de préemption, ne semblent pas avoir pris la mesure de l'enjeu...

L'an dernier, 712 points de vente de journaux ont disparu. Leur nombre est ainsi passé de 29.291 en 2010 à 28.579 en 2011. Et ce phénomène est perceptible depuis plusieurs années. Au début des années 2000, on en comptait encore plus de 30.000, d'après le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP). Le chiffre est proche de certains de nos voisins européens comme l'Espagne, où le CSMP dénombre 28.300 points de vente, ou l'Italie (34.200 points de vente), mais il est bien en deçà du nombre de points de vente présents en Grande-Bretagne (55.000) et surtout en Allemagne. Nos voisins allemands disposent ainsi de 119.200 points de vente de presse, soit trois fois plus qu'en France.
La crise du secteur se traduit aussi dans la baisse des ventes. D'après le bilan de l'Office de justification de la diffusion (OJD), l'organisme qui certifie la diffusion de la presse, les résultats pour 2011 sont plutôt mauvais. Les ventes de la presse quotidienne ont encore baissé de 2,04% (-1,36% pour la presse nationale et -2,28% pour la presse régionale). La presse magazine a quant à elle chuté de 3,11% en 2011. Aucun secteur n'est épargné. Le sport (baisse de 7,59%), les titres pour adolescents (-4,65%) et les presse people et économique (-4,57%) enregistrent les reculs les plus importants.
Au-delà de la concurrence des nouveaux supports - presse en ligne et gratuits -, il semble que le problème réside dans la structure même du réseau de vente : le manque d'attractivité du métier et la gestion des invendus. "Les marchands sont livrés sur un mix-produit qu'ils ne choisissent pas", explique ainsi Jehan Coquebert de Neuville, adjoint au maire de Boulogne-Billancourt, chargé des affaires économiques, de l'emploi, des artisans et commerçants sédentaires et des marchés. A Boulogne, "les points de vente sont passés de 45 à 20 en 25 ans, or les marchands sont obligés de mettre des magazines de sexe ou dédiés au matériel agricole dans leurs rayons ! Plusieurs d'entre eux ont l'intention de jeter l'éponge", s'inquiète l'élu. Même constat pour le président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP), qui est lui-même marchand de journaux. "60% de la presse livrée repart en invendu, c'est du temps et de l'espace commercial gâchés pour rien, explique ainsi Gérard Proust. Dans le même temps, 20 à 25% des besoins des clients ne sont pas couverts, du coup un client sur quatre ne trouve pas chez le diffuseur de presse ce qu'il cherche et risque par la suite de se détourner et du produit, et du point de vente."
L'UNDP insiste sur le caractère commercial de cette activité, le marchand de journaux étant un commerçant comme les autres. Connaissant sa clientèle, il sait établir, en fonction des caractéristiques de son implantation (présence d'une école de danse, d'un hôpital ou autre), les besoins et attentes de sa clientèle. Tous les espoirs se portent aujourd'hui sur la réforme de l'assortiment qui doit entrer en vigueur cet automne. C'est la loi Bichet du 2 avril 1947 sur la liberté de la presse qui impose aux diffuseurs de presse les titres en vente. Pour l'assouplir, une norme a été mise au point par le CSMP en novembre 2010. Le but : permettre aux diffuseurs de retirer de la vente les titres qui réalisent moins de 3% de leur chiffre d'affaires. Mais de petits éditeurs, craignant de voir leurs titres déréférencés, ont bloqué la réforme.

La réforme de l'assortiment en route

Le 20 juillet 2011 a ensuite été votée une loi relative à la régulation du système de distribution de la presse. Objectif : moderniser les mécanismes de régulation institués par la loi de 1947. Elle a notamment permis la création d'une Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) ayant le pouvoir de rendre exécutoires les décisions du CSMP et d'ouvrir la voie aux réformes. Justement, cette nouvelle autorité a décidé le 17 février 2012 de mettre en oeuvre la réforme de l'assortiment votée par l'assemblée du CSMP le 22 décembre 2011. Au cœur de cette réforme : le dialogue entre dépositaire (grossiste) et diffuseur de presse pour déterminer l'offre complémentaire de chaque point de vente. En clair, une partie des titres de presse seront incontournables et une autre partie sera choisie par le diffuseur, en collaboration avec le dépositaire et en fonction de l'implantation du magasin et des attentes de la clientèle. Parmi les titres qui devront être obligatoirement diffusés dans les points de vente figurent les titres d'information générale et politique, les titres les mieux vendus au niveau national et les nouveautés. Au-delà de ces titres, le diffuseur aura la main pour compléter son linéaire à sa guise. "On attend beaucoup de cette réforme de l'assortiment, explique Gérard Proust, et notamment sur l'opportunité qu'elle représente pour réaliser des diagnostics sur les points de vente. On va commencer à s'interroger sur la performance des marchands de journaux, et sur la qualité de l'organisation physique de leurs linéaires, sur le relais des opérations promotionnelles, qu'ils n'effectuent pas toujours pleinement (ils ont souvent l'affichage mais pas le produit), sur leur formation professionnelle, etc." D'après le président de l'UNDP, c'est justement ce qui fait cruellement défaut à la profession aujourd'hui : cette envie de réagir à l'évolution des attentes de la clientèle. Un test d'assortiment a déjà été initié par la société de distribution Presstalis (ex-NMPP) à Reims en 2007 auprès des 212 diffuseurs du dépôt, avant d'être étendu en 2008 à Fréjus, Champigny et plus récemment à Grenoble, en 2009. Cette expérimentation, qui sert de galop d'essai avant la généralisation à tout le territoire, a donné de bons résultats. Ainsi à Grenoble, les ventes ont augmenté jusqu'à près de 3% par rapport à des situations similaires, et parfois jusqu'à près de 4% pour les titres de faible diffusion (moins de 20.000 exemplaires fournis). Plus de la moitié des diffuseurs déclarent avoir très nettement connu une baisse de leur charge de travail. 70% considèrent que leur offre de titres est mieux mise en valeur et 87% qu'elle est mieux adaptée à leurs clients (avec entre 10 et 15% de références en moins dans les rayons). "Le problème vient aussi du fait que la profession n'a pas réussi à se moderniser contrairement à d'autres secteurs, comme par exemple celui de la boulangerie, assure Jehan Coquebert de Neuville. Les boulangers ont amélioré la qualité de leur produit et leur prix et les clients ont accepté de payer plus cher un produit de meilleure qualité. Du coup, la boulangerie est un marché qui se porte très bien !"

"Redonner envie aux entrepreneurs"

Mais l'assortiment n'est pas le seul problème auquel les marchands de journaux sont confrontés. La question de leur rémunération devrait être, d'après Gérard Proust, le prochain dossier à mettre sur la table. "Il faut redonner envie à des entrepreneurs d'investir dans ce secteur", assure ainsi le président de l'UNDP. Or, pour le moment, l'activité n'est pas très rémunératrice. Dans le cadre des Etats généraux de la presse, des mesures ont été prises en 2009 pour apporter des réponses aux difficultés rencontrées par ce secteur. Parmi ces mesures : le soutien aux diffuseurs de presse avec une augmentation de l'aide à la modernisation des lieux de vente et une aide exceptionnelle de 4.000 euros, le report d'un an de l'augmentation des tarifs postaux, et un abonnement gratuit pour les jeunes à un quotidien de leur choix, un jour par semaine pendant un an. Par ailleurs, Presstalis a mis au point un plan en 2010 visant à dynamiser le réseau et à aboutir notamment à une augmentation de la rémunération des spécialistes (kiosques, enseignes "Maison de la presse" et "Mag presse"…) à 25% du prix des ventes contre une moyenne de 17% aujourd'hui. Mais ces efforts peinent à encourager les marchands de journaux. Et certains abandonnent, soit en se concentrant sur une activité de libraire, soit en vendant leur pas de porte.
Les collectivités locales peuvent aussi infléchir cette tendance grâce à un dispositif de périmètres de sauvegarde. Grâce au droit de préemption pour les municipalités, institué avec la loi du 2 août 2005 en faveur des PME, dite loi Dutreil, les conseils municipaux peuvent ainsi délimiter un "périmètre de sauvegarde du commerce d'artisanat de proximité" au sein duquel tout vendeur de fonds de commerce doit faire une déclaration préalable à la mairie. La commune a ensuite deux mois pour préempter et se porter acquéreuse du fonds de commerce. Elle doit dans un délai d'un an rétrocéder le fonds ou le bail à une entreprise, avec pour objectif d'assurer la diversité commerciale ou artisanale du périmètre concerné. Seul problème : les élus semblent parfois frileux à utiliser ce droit. "Ils auraient une marge de manœuvre s'ils décidaient d'utiliser la préemption mais cela leur fait peur car ils doivent retrouver rapidement un repreneur, donc ils ne s'en servent pas", explique Gérard Proust, qui a entamé des discussions avec l'Assemblée française des chambres de commerce et d'industrie sur le sujet, et doit prochainement rencontrer l'Association des maires de France (AMF) sur le sujet.
Dans les territoires ruraux où le vendeur de journaux joue un rôle essentiel dans la vie de certains villages, la solution peut passer par l'installation ou le maintien de commerces multiopérationnels, capables d'assurer la vente de tabac, le dépôt de colis, les services administratifs dématérialisés et la distribution de la presse... Le maillage territorial de La Poste avec ses 17.000 points de contacts pourraient lui aussi servir à relayer la diffusion de la presse. A l'heure actuelle, la vente de quotidiens et de magazines est testée dans quelques-uns de ces points. "Il faut que les collectivités réfléchissent à la manière de préserver ces points de vente particuliers pour les territoires ruraux", souligne Gérard Proust. Sans quoi, le paysage des marchands de journaux risque de se transformer en "kiosques low cost et magasins de supermarchés", craint l'élu de Boulogne, Jehan Coquebert de Neuville. Actuellement, sur les 28.579 points de vente, pas moins de 3.141 sont en réalité des rayons de presse intégrés à des supermarchés, hypermarchés ou supérettes ! Et l'évolution se fait à grande vitesse. Le nombre de ces rayons d'hypermarchés a ainsi augmenté de 84% l'an dernier.

 

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