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Administration territoriale - Une réforme peut en cacher une autre

Le gouvernement tient le rythme de la réforme de l'administration territoriale : d'ici 2010, la nouvelle architecture sera en place autour du préfet, amené à jouer un rôle déterminant. Les sous-préfectures, elles, se concentreront sur le développement local et l'assistance aux collectivités.

La réforme territoriale et les vives réactions qu'elle vient de susciter devant le Congrès des maires en aurait presque fait oublier une autre : la réforme de l'administration territoriale de l'Etat qui, elle, avance lentement mais sûrement. L'objectif - réduire par trois le nombre des services de l'Etat dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) - devrait être atteint en 2010. Lundi 16 novembre, le Premier ministre a brossé à grands traits les enjeux de ce vaste chantier qui vise à rendre "l'Etat local plus souple, plus lisible, plus modulable, y compris dans sa relation avec les collectivités territoriales" alors que le partage des compétences est rendu plus confus avec la décentralisation. A commencer par l'échelon régional : les conseils régionaux sont les premiers à dénoncer les doublons qui subsistent entre leurs services et ceux de l'Etat.

"Le pilotage des politiques publiques est désormais régional. Et sa mise en œuvre se fait à l'échelon départemental", a souligné François Fillon, devant les artisans de cette réforme, notamment les préfets, réunis à La Défense. Les 25 directions régionales actuelles fusionneront au sein de huit grands pôles : Drac (culture), Dirm (mer), Dreal (environnement), Draaf (agriculture), DRJSCS (jeunesse et sports), Direccte (concurrence, travail et emploi), ARS (santé), DRFIP (services fiscaux). Les Direccte (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) constituent le nouveau bras armé de l'Etat en matière économique, né de la fusion de neuf services actuels dont les directions régionales et départementales de l'emploi, du travail et de la formation professionnelle (DDTEFP et DRTEFP), les services développement industriel des Drire et la mission concurrence des directions régionales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. L'objectif est de fournir aux entreprises, salariés et consommateurs un interlocuteur unique. Les Direccte sont déjà à l'oeuvre dans cinq régions : Aquitaine, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, Paca et Rhône-Alpes. Les autres seront opérationnelles avant le 1er juillet 2010, a indiqué le ministère du Travail après la parution du décret du 10 novembre 2009 qui fixe leur organisation et leurs missions. Selon ce texte, chaque Direccte est chargée de trois missions : la politique du travail, les actions de développement des entreprises et de l'emploi ; le bon fonctionnement des marchés et des relations commerciales entre entreprises ; la protection des consommateurs.

En matière d'urbanisme, la nouvelle direction compétente est la Dreal (direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement), fruit de la fusion entre la DRE (équipement), la Drire (industrie et recherche) et la Diren (environnement). C'est également elle qui sera chargée de mettre en oeuvre les engagements du Grenelle. Onze Dreal ont été créées en 2009 (Corse, Paca, Picardie, Nord-Pas-de-Calais, Pays-de-la-Loire, Haute-Normandie, Midi-Pyrénées, Champagne-Ardenne, Rhône-Alpes), les autres devront l'être courant 2010-2011.

Le maillage territorial des Dirrecte, des Dreal et des Drac est assuré au niveau des départements par des "unités territoriales".
 

Une réorganisation à "géométrie variable"

Au niveau départemental, la réforme devrait rompre avec une logique de portefeuilles ministériels pour épouser une approche transversale : cohésion sociale, protection des populations, développement durable et équilibre des territoires... Innovation majeure, les préfets seront à la tête d'un nombre réduit de deux ou trois directions interministérielles (DDI) : les directions départementales des territoires (DDT) ou, le cas échéant, de la mer (DDTM), qui incorporeront notamment les célèbres DDE (directions départementales de l'équipement), les directions departementales de la protection des populations (DDPP) et les directions départementales de la cohésion sociale (DDCS) si la taille du département le justifie. Le gouvernement a souhaité mettre place un principe de "modularité", avec une organisation censée coller aux besoins locaux.
Illustration de cette volonté en matière sociale. Les directions sociales départementales - et tout particulièrement les Ddass - ont longtemps été les acteurs clés de l'action sociale, au point d'imprégner profondément la mémoire collective. Plus de 25 ans après la décentralisation - qui a notamment transféré aux départements l'intégralité de l'aide sociale à l'enfance -, il est toujours fréquent de lire ou d'entendre qu'un enfant a été confié à la Ddass. Dans la réalité, les Ddass sont en difficulté, sinon en déshérence, depuis de nombreuses années. Dépossédées d'une bonne part de leurs attributions par la décentralisation, puis par la montée en charge des Drass et, enfin, par la création des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) et, aujourd'hui, des agences régionales de santé (ARS), les Ddass ne sont plus aujourd'hui que l'ombre d'elles-mêmes, en particulier dans les petits départements. Conséquence de cet affaiblissement continu : la réorganisation de l'Etat au niveau départemental dans le secteur social est plutôt mieux vécue que dans d'autres domaines. La réforme passe en revanche moins bien dans les Drass, dont les compétences sont sérieusement écornées par la mise en place des ARS (voir notre article ci-contre du 20 octobre 2009).

Dans son discours du 16 novembre 2009, François Fillon a réaffirmé que "le niveau départemental [...] doit contribuer à l'équilibre des territoires, [...] fédérer les actions concourant à la cohésion sociale [et] garantir la sécurité sanitaire et économique". Le Premier ministre aurait pu ajouter que la réorganisation au niveau départemental rompt, pour la première fois, avec l'approche cartésienne et uniforme de l'Etat en France. Dans le secteur social, la nouvelle organisation sera en effet différente selon les départements. Dans les 42 départements les plus importants, l'action sociale relèvera donc de la DDCS. Celle-ci mettra en oeuvre les politiques relatives à la prévention et à la lutte contre l'exclusion, à la protection des personnes vulnérables, à la fonction sociale du logement et à l'hébergement d'urgence, à l'hébergement des demandeurs d'asile, à la lutte contre les discriminations, à la politique de la ville, à l'animation des politiques interministérielles en faveur de la jeunesse, à la protection des mineurs, au développement de la vie associative, sportive, ou socioculturelle, ainsi qu'à la promotion de l'éducation populaire. La mission des DDCS inclut également les activités d'inspection et de contrôle des établissements d'accueil et l'application de la réglementation relevant du champ de la direction. En pratique, les DDCS regrouperont ainsi les compétences des Ddass, des directions départementales de la jeunesse et des sports, du service du droit des femmes, ainsi que les compétences logement social et hébergement d'urgence des DDE. Elles coexisteront avec la DDPP, qui aura en charge les compétences des actuelles directions départementales des services vétérinaires (DDSV), et les unités départementales de la concurrence, consommation et répression des fraudes (CCRF). Dans les petits départements (moins de 400.000 habitants), il n'existera pas de DDCS, et les compétences et les agents relatifs à la cohésion sociale fusionneront avec ceux des DDPP au sein d'une direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), dont le champ d'action sera ainsi élargi. 

 

Monopoly immobilier

Cette restructuration de l'administration sociale de l'Etat dans les départements vient de franchir une étape importante avec la publication, au Journal officiel du 15 novembre, d'une dizaine d'avis de vacance de postes de directeurs départementaux interministériels (principalement des DDCS et DDCSPP) et d'autant pour des directeurs adjoints.

Conséquence de ce vaste rédéploiement : l'administration centrale va se "concentrer sur sa fonction d'orientation stratégique", laissant les préfets de département en première ligne, entourés d'un état major resserré constitué du corps préfectoral et des directeurs départementaux interministériels placés sous leur autorité. Les sous-préfectures deviendront progressivement "une administration de mission tournée vers le développement local". "Il n'y aura pas de remise en cause du maillage territorial dense constitué par les 240 sous-préfectures d'arrondissement", a garanti le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, devant les maires, jeudi 19 novembre. Les sous-préfets sont présentés par  le gouvernement comme des "monteurs de projets" auprès des élus. Crédits européens, Ademe, FNADT, etc. : dégagés des tâches de gestion, ils pourront apporter l'ingénierie nécessaire aux collectivités qui en auront besoin, notamment en zone rurale. Brice Hortefeux s'est également engagé à ce que les missions d'assistance technique de l'Etat pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat) soient maintenues.

Le gouvernement ne cache pas que l'objectif de la réforme est aussi la diminution des effectifs, estimés à 250.000 fonctionnaires, par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partants à la retraite. "Cette réforme offre un moyen constructif de respecter cette norme indispensable pour le rétablissement de nos finances publiques", a affirmé le Premier ministre, le 16 novembre. Place à présent au grand Monopoly immobilier que va entraîner la réforme avec le regroupement de toutes ces administrations aujourd'hui éparpillées. Le gouvernement en espère des "gains énormes" grâce à la vente de bâtiments ou la résiliation de locations.
 

N.E. et M.T.

 

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