Vaccination dans les crèches : le gouvernement tente de débrouiller l'imbroglio

Les consignes sur la vaccination pour les professionnelles des crèches ne sont toujours pas claires. Une situation qui crée de la confusion et de l'inquiétude dans les établissements d'accueil du jeune enfant (Eaje) et contraint le gouvernement à adopter une position d'attente, en contradiction avec une décision du Conseil d'Etat et en attendant l'adoption définitive du projet de loi sur la vigilance sanitaire.

Si les consignes sur la vaccination obligatoire de certains professionnels, et les conséquences qui peuvent s'ensuivre en cas de refus, sont aujourd'hui globalement stabilisées, ce n'est toutefois pas le cas pour les professionnelles des crèches. Une situation qui crée de la confusion et de l'inquiétude dans les établissements d'accueil du jeune enfant (Eaje) et contraint le gouvernement à adopter une position d'attente, en contradiction avec une décision du Conseil d'Etat et en attendant l'adoption définitive du projet de loi sur la vigilance sanitaire.

Le Conseil d'Etat intraitable

Au départ – et comme dans d'autres professions –, des salariées de crèches municipales (et de services de PMI) ont déposé des recours contre des décisions de leurs employeurs instaurant l'obligation vaccinale et l'utilisation du pass sanitaire, prises sur la base de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Les premières ordonnances, rendues en référé par des tribunaux administratifs – et notamment ceux de Pau et de Cergy-Pontoise – sont sans ambiguïté (voir notre article du 24 septembre 2021). Dans les deux cas cités, le juge administratif a considéré qu'"aucun des moyens soulevés par les requérantes ne sont, en l'état de l'instruction, de nature à constituer une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées".

Certaines de ces décisions – et notamment celle concernant les personnels des crèches municipales de la ville de Nanterre – ont fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat, introduit par le syndicat Interco CFDT des Hauts-de-Seine. Le Conseil vient de rendre sa décision, toujours en référé, dans une ordonnance en date du 25 octobre. Celle-ci confirme en tous points celle du TA de Cergy-Pontoise, en considérant que les décisions de la ville de Nanterre instaurant la vaccination obligatoire pour les personnels des crèches et l'usage du pass sanitaire "ne peuvent être regardées comme entachées d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté" et sont conformes à la loi du 5 août 2021.

Pour le juge des référés en effet, "les infirmiers et auxiliaires de puériculture font partie des professionnels de santé régis [par] la quatrième partie du code de la santé publique. Il s'ensuit que même s'ils exercent leur profession non pas dans un établissement de santé mais dans un établissement d'accueil de la petite enfance, ils entrent dans le champ de l'obligation vaccinale. [...] Sont dès lors aussi inclus les autres personnes travaillant dans ces mêmes établissements". Même s'il s'agit, comme devant les tribunaux administratifs, d'une ordonnance de référé et non pas de la décision au fond, le sens de la réponse du Conseil d'Etat est parfaitement clair.

Deux positions diamétralement opposées

Problème : la DGCS (direction générale de la cohésion sociale) du ministère des Solidarités et de la Santé a diffusé aux Eaje, le 25 août, une instruction intitulée "Actualisation des recommandations nationales pour les modes d'accueil du jeune enfant", qui prend une position diamétralement opposée à celle du Conseil d'Etat dans son ordonnance du 25 octobre. Selon cette instruction en effet – que le Conseil d'Etat ne prend pas la peine de citer dans son ordonnance –, "les professionnels des modes d'accueil du jeune enfant et des établissements et services de soutien à la parentalité, même lorsqu'ils sont professionnels de santé, ne sont pas concernés par l'obligation vaccinale et le pass sanitaire, dès lors qu'ils ne réalisent pas d'actes de soin médical ou paramédical dans le cadre de leur exercice professionnel habituel".

Alerté par les décisions des tribunaux administratifs rendues en septembre, qui allaient toutes dans le même sens et que le Conseil d'Etat n'a fait que confirmer, le gouvernement pensait avoir trouvé la parade sous la forme du dépôt d'amendements au  projet de loi sur la vigilance sanitaire. Ceux-ci amendaient la loi du 5 août pour l'aligner sur la position du ministère, autrement dit excluaient clairement les professionnels des Eaje du champ de la vaccination obligatoire et du pas sanitaire.

Mais, sur les quatre amendements déposés, le Sénat n'en a retenu qu'un seul, déposé par Pascale Gruny, sénatrice (LR) de l'Aisne et vice-présidente du Sénat. Voté contre l'avis du gouvernement, cet amendement exclut bien l'obligation vaccinale et le pass sanitaire pour les personnels des Eaje, mais uniquement pour ceux n'ayant pas le statut de professionnels de santé, c'est-à-dire les infirmières, les puéricultrices et les auxiliaires de puériculture. Autrement dit une position intermédiaire entre le "personne n'a besoin d'être vacciné" du ministère et le "tout le monde doit être vacciné" du Conseil d'Etat.

Un amendement et un mail

Pour compliquer le tout – et comme cela était prévisible compte tenu du différend sur la date de la fin du pass sanitaire – la CMP (commission mixte paritaire), réunie le 2 novembre, n'est pas parvenue à trouver un accord entre le texte de l'Assemblée et celui du Sénat. Dans la foulée et le même jour, La commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté, en nouvelle lecture, le projet de loi dans la version votée par les députés (qui auront le dernier mot). La commission a adopté au passage un nouvel amendement prévoyant que l'obligation vaccinale et le pass sanitaire ne s'appliqueront "qu'aux professionnels et aux personnes dont l'activité comprend l'exercice effectif d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins attachés à leur statut ou à leur titre".

Le texte doit maintenant être adopté en séance publique par l'Assemblée nationale. En attendant, la DGCS s'est livrée à un exercice dont l'intérêt pratique est évident, surtout dans la confusion en cours, mais dont la base juridique est pour le moins fragile. Dans un mail daté du 1er novembre, elle invite en effet les Eaje à rester sur la position prise par elle au mois d'août (circulaire générale du 13 août et instruction du 25 août), ces textes devant "continuer à être privilégiés à titre conservatoire".