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Congrès des maires - Accès aux soins : les maires prêchent-ils dans le désert ?

"Il n'y a pas un canton qui ne soit touché par un problème d'accès aux soins. Cela concerne aujourd'hui même les villes moyennes, voire certaines métropoles. C'est la raison pour laquelle nous avons considéré que la santé publique était une problématique centrale et devait être le thème numéro un de ce congrès". C'est ainsi que François Baroin, le président de l'Association des maires de France, a justifié le choix du premier grand débat ouvrant ce 31 mai le 99e Congrès des maires. "Les sondages montrent que ce problème arrive au premier rang, à égalité avec l'emploi, dans les préoccupations des Français", a confirmé Isabelle Maincion, maire de la Ville-aux-Clercs et coprésidente du groupe de travail santé de l'AMF.
De toutes parts, le diagnostic dressé lors de cette première matinée dans le grand auditorium de la Porte de Versailles à Paris fut plutôt alarmant. Patrick Bouet notamment, le président du Conseil national de l'Ordre des médecins, a évoqué un "déficit structurel" de médecins qui n'épargne "aucun territoire", bien au-delà en effet des seuls territoires ruraux. Principalement en cause, selon lui, le fait que "l'Etat n'ait pas été capable d'anticiper la catastrophe démographique" qui se dessine en lien avec le départ à la retraite de nombreux médecins. "On a perdu 14.000 généralistes en quinze ans, et on va en perdre encore 6.000". "La France a raté un tournant dans la formation de son personnel médical du fait du numerus clausus", avait de même auparavant jugé François Baroin. La nouvelle directrice générale de l'offre de soins (DGOS) au ministère de la Santé, Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé, a pour sa part évoqué trois "phénomènes" qui se conjuguent : démographie médicale, vieillissement de la population, évolution sociologique liée aux aspirations des jeunes médecins désormais soucieux de travailler en équipe.
Entre autres résultats : sur nombre de territoires, une partie des habitants, notamment les personnes âgées, ne parviennent plus à avoir de médecin référent, pourtant indispensable pour être "bien remboursé par la sécu". C'est par exemple ce qui a poussé la mairie de Sens, dans l'Yonne, à mettre en place un partenariat inédit avec SOS Médecins, en s'appuyant sur le centre communal d'action sociale (CCAS). Ce protocole expérimental autorisé par le ministère de la Santé permet à SOS Médecins d'être désigné référent. Et "cela fonctionne assez bien", a témoigné mardi la maire de Sens, Marie-Louise Fort (lire sur Mairie-Conseils l'article "Expérience" consacré à cette initiative)
D'autres initiatives qui fonctionnent bien ? Une chose est sûre, "un médecin tout seul, aujourd'hui, ça ne marche pas", a insisté Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé. Tous ont été unanimes : il faut changer de modèle quant aux conditions d'exercice de la médecine de proximité. "On entre dans une nouvelle ère. Personne ne veut prendre la suite du médecin de campagne. La profession change, les patients et leurs pathologies – de plus en plus complexes – aussi. L'exercice solitaire n'est plus opérationnel", constate Michel Dutech, maire de Nailloux en Haute-Garonne… et lui-même médecin. Lui a misé sur une maison de santé regroupant 27 professionnels sur un bassin de vie de 10.000 habitants.

"Une maison de santé dans un désert"...

On compte aujourd'hui 800 maisons de santé en France. Le gouvernement compte encourager le mouvement pour atteindre un objectif de 1.200 à la fin de l'année prochaine. Il l'a récemment redit lors du comité interministériel aux ruralités. Il mise par ailleurs, avec la Caisse des Dépôts, sur un plan d'investissement en faveur des maisons de santé dans les quartiers politique de la ville.
Maisons de santé, pôles de santé… Les réponses se situent clairement de ce côté-là. Mais "une maison de santé dans un désert, s'il n'y a pas de lien avec d'autres structures, cela ne suffit pas", a par exemple constaté un maire du Limousin présent dans la salle. Certains poussent les choses un peu plus loin en créant des centres municipaux de santé. "Nous avons créé un centre municipal de santé, avec deux médecins salariés que nous avons trouvés en quelques mois alors que cela faisait deux ans que nous cherchions des médecins libéraux et que cela n'avait rien donné", a illustré le maire de Capestang dans l'Hérault, considérant par conséquent que "ce modèle du salariat doit être encouragé".
"Nous avons deux maisons de santé en construction, un centre municipal à l'étude, nous sommes un département touristique et attractif, nous allons à la rencontre des internes… Et malgré tout cela, on ne parvient pas à attirer de jeunes médecins", s'est désolé le maire de La Roche-sur-Yon, pour qui il faudrait "que les étudiants en médecine aient un certain nombre d'années à rendre à l'Etat".
D'autres élus, comme lui, constatant que l'incitation ne suffit pas, en sont à demander des mesures coercitives. "La question de la libre installation des médecins devra être reposée", a par exemple tranché Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France et maire de Fontainebleau. L'éternel débat est bien toujours d'actualité. "Le paradoxe est là. Nous sommes à la fois le pays de l'égalité d'accès aux soins et le pays de l'exercice libéral, ce qui pose quand même question", a résumé Claude d'Harcourt, directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne.
Dans tous les cas, le nécessaire "changement de modèle" passe visiblement aussi par de nouvelles coopérations professionnelles, notamment entre médecins et professions paramédicales (entre ophtalmologistes et orthoptistes par exemple). Par des dispositifs introduits par la récente loi santé tels que les plateformes territoriales d'appui. Par des "complémentarités" avec, notamment, les hôpitaux de proximité. "Désormais, l'accès aux soins sur un territoire, ce n'est plus forcément avoir un médecin à demeure", a prévenu Patrick Bouet.

Les GHT, du découpage au projet médical partagé

La seconde séquence de ce débat était consacrée à un sujet au cœur de l'actualité du secteur sanitaire du point de vue des élus, les fameux groupements hospitaliers de territoire (GHT) créés par la loi Santé (voir notre dossier ci-contre).
La philosophie des GHT a été rappelée par plusieurs intervenants : "Créer un maillage territorial avec une gradation de l'offre, sachant que tout le monde ne peut pas tout faire", "mettre le malade au bon endroit", "se regrouper pour apporter une réponse graduée et permettre un parcours de soins"… Frédéric Valletoux établit volontiers un parallèle avec l'intercommunalité. En relevant que le remplacement des communautés hospitalières de territoire de la loi Bachelot par des GHT désormais "obligatoires", c'est un peu comme la réforme de la carte intercommunale avec l'obligation d'appartenir à un EPCI…
La carte des GHT devra avoir été dessinée au 1er juillet. Le calendrier est donc serré, connaisssant l'importance d'aboutir à "un découpage cohérent" et sachant les réorganisations auxquelles cela va donner lieu. Jacqueline Hubert, directrice du CHU de Grenoble, a rappelé que "dans chaque territoire, un établissement sera désigné comme établissement support, qui mutualisera un certain nombre de fonctions, telles que la fonction achat". Ce qui, a-t-elle précisé, ne signifiera pas nécessairement que "tous les personnels liés à ces fonctions seront au même endroit". Une mutualisation multi-sites en somme. Les élus, pourtant, expriment des craintes quant à la localisation de ce qui constituera malgré tout selon eux le "siège" du GHT.
Les maires, on le sait, sont montés au créneau lorsqu'ils ont découvert que le projet de décret sur les GHT ne leur donnait pas la place que la loi avait semblé leur réserver. Le tir, depuis, a été en partie rectifié. "Il faut que les élus s'emparent du sujet, soient partie prenante, même le maire qui n'a pas d'hôpital sur son territoire. Il n'est pas trop tard. On ne fera pas ces GHT sans les élus, et pas question qu'ils n'aient qu'un strapontin", leur a lancé Frédéric Valletoux. En ne perdant pas de vue qu'au-delà de la carte, c'est ensuite bien "le projet médical partagé qui sera le ciment du GHT", a souligné l'autre coprésident du groupe santé de l'AMF, Jean-Pierre Bouquet, maire de Vitry-le-François.

 

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