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Environnement - Assises de l'énergie : des élus en quête de marge de manœuvre

Quelle est la marge de manœuvre, la capacité d'action des collectivités locales face au besoin pressant de transition énergétique ? Quelles sont leurs attentes et quels sont les obstacles ? Vers quel modèle souhaitent-elles tendre ? Autant de questions débattues lors de la 16e édition des Assises de l'énergie, qui ont eu lieu du 27 au 29 janvier, pour la première fois à Bordeaux, et se tiendront désormais en alternance entre cette ville et Dunkerque, en conservant un mode d'organisation conjointe avec l'Ademe.

Marque fraîchement déposée par la communauté urbaine de Dunkerque (CUD), qui en pilote le secrétariat permanent, les "Assises nationales de l'énergie des collectivités territoriales" ont réuni plus de 1.500 élus et acteurs locaux à Bordeaux. Il faut dire que le contexte s'y prêtait bien. Triple contexte même. Avec, au niveau extra-européen, la préparation de la feuille de route des questions climatiques internationales de la COP21. "Cette conférence climat de Paris 2015, dont l'objectif est d'aboutir à un nouvel accord international sur le climat, sera aussi un grand rendez-vous pour les collectivités. J'accueillerai plusieurs grands réseaux d'élus soit un millier de maires et, ensemble, nous porterons des solutions. D'ici là, d'autres échéances, le 26 mars par exemple, des maires européens se réuniront pour faire évoluer la commande groupée, solution d'avenir mais dont les règles doivent changer", a annoncé la maire de Paris Anne Hidalgo. Et le sénateur nantais Ronan Dantec d'insister sur le fait qu'une fois "passé cet événement climat, entre élus on ne pourra alors plus faire semblant ni se raconter d'histoire : même s'il manque peut-être certaines clés, nous n'aurons plus le choix, il faudra agir à la hauteur des enjeux". Exemple de réseau plusieurs fois mis en avant lors de ces assises, la convention des maires, signée par plus de 6.000 villes à travers l'Europe. Et nouvelle pierre apportée le 29 janvier à la préparation de la COP 21, "l'appel de Bordeaux" lancé par Alain Juppé, son maire, signé par d'autres maires et réseaux d'élus (Association des maires de France, Association des régions de France...) et qui exprime la volonté des territoires de répondre à l'urgence du défi lié au dérèglement climatique", en rappelant "leur rôle central tant sur le volet adaptation qu'atténuation".

La mise en mouvement sera locale

Au niveau national, l'appropriation de ces enjeux n'est pas si aisée. D'autant que pour les élus locaux et adjoints environnement en place depuis à peine neuf mois, et ayant donc eu à prendre à bras le corps ces compétences, à la découverte du sujet s'ajoute le délicat suivi d'un paysage législatif en pleine ébullition. Avec, d'un côté, la marge de manœuvre élargie que leur offre la loi sur la transition énergétique - dont l'examen au Sénat débute le 10 février – et, de l'autre, la réforme territoriale, qui affirme la compétence des régions en termes de définition des politiques de maîtrise et de valorisation de l'énergie. "Entamer une telle mission dans un contexte a fortiori marqué par la baisse des dotations de l'État va nous pousser à être inventif, pour trouver des actions à coût zéro", nous confiait à la rentrée Stéphanie Anton, adjointe au maire d'Orléans, déléguée au développement durable. "La marge de manœuvre est plus étroite qu'on ne le croit, élus et acteurs locaux se sentent limités dans leur capacité d'action", est intervenu durant ces Assises Nicolas Garnier, délégué général de l'association Amorce. "La logique de la gouvernance énergie est trop descendante, il faut faire encore plus de place aux collectivités, ce sont elles qui mènent sur le terrain l'action", a pour sa part admis Bruno Léchevin, président de l'Ademe. Johanna Rolland, maire de Nantes, à la tête de sa métropole et du réseau de 130 villes Eurocities, ne peut qu'acquiescer : "C'est au niveau de nos collectivités que nous sommes le plus en capacité de mettre en mouvement la société civile. Un sommet mondial de l'action climatique se tiendra d'ailleurs à Nantes à l'automne 2016". 

Bonnes pratiques

Le 28 janvier, deux territoires exemplaires pour le récent virage qu'ils ont pris ont été mis à l'honneur de ces assises. La région de Bruxelles Capitale, tout d'abord, qui a su engager d'importants chantiers de rénovation énergétique de ses bâtiments pour générer de l'activité, de l'emploi et se remettre du déclin de l'industrie du charbon. Et en Suisse, le Canton de Vaud et sa capitale, Lausanne, ont aussi su muscler leur politique énergie climat, en mixant mesures avant-gardistes et draconiennes, au service de plus d'efficacité énergétique. Faut-il s'inspirer et laisser aussi dans l'Hexagone plus de droit à la prise de liberté et à l'expérimentation ? Des élus l'ont réclamé lors des assises. "Il faut aussi absolument progresser dans le sens d'une démocratie de construction, plus que de concertation, sans quoi cette transition énergétique tant souhaitée ne se fera pas. Et donc passer d'une logique d'administration du territoire à plus d'animation des territoires", rebondit Jo Spiegel, maire dans le Haut-Rhin et secrétaire national adjoint de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), où il préside la commission Environnement.

S'approprier les outils existants

C'est sur le financement que se cristallisent les défis à relever. Puiser indéfiniment dans le budget général pour mettre en place des politiques énergétiques a ses limites, déplorent les uns. "Est-ce normal, pour l'éolien offshore, que ce soit à la collectivité de débourser pour les études de sécurité ? Nos voisins de la mer du Nord ont développé si vite ce secteur qu'on a l'impression d'être à la traîne", cite très concrètement Patrice Vergriete, nouveau maire de Dunkerque et président de la CUD. "Il y a des moyens mais il faut accompagner leur mise en œuvre, c'est tout l'enjeu maintenant. Sans négliger des secteurs qui, comme l'auto-réhabilitation comme outil de lutte contre la précarité énergétique, sort des radars de la puissance publique", estime Anne Bringault, qui coordonne le travail des ONG et associations dans le cadre du débat national sur la transition énergétique. La loi du même nom est bien partie pour accélérer le fait pour les collectivités de faire du tiers-financement de projets de rénovation énergétique des logements, ou d'avancer les frais de travaux réalisés par les particuliers, qui pourront rembourser grâce aux économies d'énergie réalisées. La région Aquitaine vient ainsi de créer un fonds de 4,2 millions pour alimenter une "caisse d'avance pour la rénovation thermique et la transition énergétique", directement versée aux entreprises et artisans, et qui vise les maires ruraux souhaitant réhabiliter le patrimoine communal en logements et des propriétaires-occupants modestes. Les banques partenaires seront trouvées via un appel à manifestation d'intérêt prochainement lancé et l'équipe d'animation sera constituée en mars prochain.
Pour la ministre de l'Écologie Ségolène Royal, les choses sont claires : "Les outils, appel à projets et moyens de financement sont sur la table, il faut maintenant s'en saisir". A l'Ademe et à la Caisse des Dépôts, on ajoute que l'enjeu est à la structuration des projets, point sur lequel des collectivités peuvent être aidées. Pour Anne Hidalgo, il y a d'un côté le secteur bancaire à mobiliser, et en face des projets, avec donc "tout un travail de mise en réseau à l'échelle des territoires qui reste à faire". La ministre a pour sa part insisté pour que la ligne de crédits de 5 milliards d'euros ouverte par la Caisse des Dépôts en vue d'aider les communes à mieux isoler leur patrimoine et bâtiments publics, soit mieux valorisée ("Un courrier doit être écrit à tous les maires"). Une fois adoptée la loi sur la transition énergétique, elle a promis que "les décrets d'application seront prêts suffisamment tôt pour que les collectivités puissent se les approprier".
 

Morgan Boëdec / Victoires Éditions

Treize nouvelles collectivités labellisées Cit'ergiE

A l'occasion de ces Assises, l'Ademe a remis le 29 janvier les labels Cit'ergie à treize nouvelles collectivités. 81 collectivités sont aujourd'hui engagées dans cette démarche de reconnaissance et d'exemplarité de leur politique énergie-climat. Le label a été décerné à la communauté d'agglomération de Centre de la Martinique, la métropole de Lyon et la communauté urbaine de Dijon. Le palier intermédiaire – le label CAP Cit'ergie – a quant à lui été remis à dix collectivités dont Perpignan, Epinal, (Vosges), Petit-Quevilly et Caux vallée de Seine (Seine-Maritime), Sablé-sur-Sarthe (Sarthe) et la communauté d'agglomération du Pays de Dreux (Eure-et-Loir).

MB