Autoroute A69 Castres-Toulouse : le Sénat adopte une proposition de loi pour la reprise du chantier
En dépit de sérieuses interrogations juridiques et de l'opposition résolue des écologistes, le Sénat a largement adopté ce 15 mai un texte atypique pour tenter d'obtenir par la loi la reprise du chantier de l'autoroute Castres-Toulouse, interrompu par la justice administrative.

© Capture vidéo Sénat/ Philippe Folliot
Les parlementaires parviendront-ils à court-circuiter la suite de la procédure judiciaire entourant le projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse ? Les deux sénateurs du Tarn, Marie-Lise Housseau et Philippe Folliot, ont en tout cas obtenu une première victoire en faisant adopter confortablement en première lecture une proposition de loi dite de "validation". "Nous faisons notre travail de parlementaire en proposant une porte de sortie pour faire en sorte d'arrêter cette situation ubuesque et stopper cette gabegie", a lancé Philippe Folliot pour justifier cette initiative.
Le Sénat, dominé par une alliance droite-centristes, l'a soutenu à 252 voix contre 33, les oppositions émanant des rangs écologistes et de certains élus communistes. L'Assemblée nationale prendra le relais dès le 2 juin à l'initiative des députés du Tarn, avec de bonnes chances d'adoption définitive.
Le législateur face à une décision de justice
La démarche entend permettre aux parlementaires de "reprendre la main", après l'annulation par le tribunal administratif de Toulouse de l'autorisation de construire cette portion d'autoroute de 53 km, entraînant l’interruption immédiate des travaux entamés en 2023 pour une mise en service prévue de l’infrastructure en décembre 2025. Dans ses deux jugements du 27 février dernier, le juge administratif avait annulé les deux autorisations environnementales du projet au motif qu'aucune raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) ne justifiait qu'il soit dérogé aux dispositions du code de l'environnement relatives aux habitats et espèces protégés. L'État a alors fait appel de cette décision qu'il a assorti d'une demande de sursis à exécution.
Concrètement, les sénateurs qui portent le texte veulent faire "valider" par la loi les deux arrêtés relatifs à l'autorisation environnementale du projet, au motif que celui-ci répond à une RIIPM, au sens de la législation relative aux espèces et habitats protégés. Le Sénat répond ainsi "à une situation d'urgence" pour "éviter les conséquences dramatiques d'un arrêt du projet", a martelé le sénateur Horizons Franck Dhersin, rapporteur de la proposition de loi.
En effet, les défenseurs du texte plaident pour le "désenclavement" d'un bassin d'environ 100.000 personnes (Castres-Mazamet) et veulent donner des perspectives aux acteurs économiques locaux. Or, selon Marie-Lise Housseau, l'arrêt du projet entraînerait des "dommages irrémédiables tant sur le plan économique que sur le plan psychologique pour ce département (le Tarn, NDLR) qui se sent humilié, méprisé et nié dans ses choix de développement".
Débat sur la conformité du texte à la Constitution
Mais au-delà du bien-fondé du projet d'A69, les débats les plus nourris ont concerné la forme de cette initiative, avec de sérieuses interrogations sur sa conformité à la Constitution. "Le législateur crée un précédent grave en tentant d'influencer une Cour de justice", s'est alarmé l'écologiste Jacques Fernique, fustigeant une initiative qui "fait primer une volonté politique sur l'État de droit".
A l'opposé, les soutiens du texte ont défendu leur démarche en listant méticuleusement les nombreux "motifs impérieux d'intérêt général" - socio-économiques, politiques, environnementaux, relatifs aux finances publiques ou encore à la sécurité routière - démontrant selon eux la conformité du texte à la loi fondamentale.
Mais certains parlementaires n'ont pu masquer leur inconfort face à une proposition de loi au format inhabituel, débattue à quelques jours de l'examen par la cour administrative d'appel de Toulouse d'un premier recours contre l'arrêt des travaux, le 21 mai. "Nous ne devons pas procéder à du cas par cas législatif", a reconnu le communiste Jean-Pierre Corbisez, pourtant favorable. Le Sénat "envoie un message trouble, celui d'un Parlement qui interviendrait pour sauver un projet en difficulté juridique", a abondé le socialiste Hervé Gillé, dont le groupe n'a pas participé au vote malgré quelques soutiens de sénateurs occitans.
"Avis de sagesse" du gouvernement
Si plusieurs ministres ont salué ces derniers jours l'initiative, le gouvernement n'a pas pris position officiellement devant le Sénat, préférant un "avis de sagesse" pour "n'interférer ni dans la procédure juridictionnelle en cours, ni dans le travail parlementaire", a expliqué le ministre chargé des Transports Philippe Tabarot. Mais "la position du gouvernement n'est plus à prouver sur la nécessité de cette autoroute", a-t-il pris soin de rappeler. Dans un communiqué, le Sénat a souligné avoir adopté la proposition de loi "en l’assortissant d’une réserve expresse tenant au respect des décisions de justice passées en force de chose jugée, afin de garantir le respect de cette condition constitutionnelle".
Comme au Palais du Luxembourg, les opposants au texte resteront probablement minoritaires à l'Assemblée nationale, mais leurs troupes y sont tout de même en nombre suffisant pour saisir le Conseil constitutionnel en vue d'obtenir la censure du texte. "Le Conseil sera évidemment saisi", a confirmé à l'AFP le sénateur écologiste Ronan Dantec, qui a dénoncé "une loi de posture".