Archives

Commande publique - Capacité des candidats à un marché public : interprétation tout en souplesse de la CJUE

Dans deux arrêts du 10 octobre 2013, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a apporté des précisions sur les informations pouvant être fournies par les soumissionnaires à un marché public aux pouvoirs adjudicateurs. Dans la première affaire, la Cour a estimé que pour justifier de ses capacités financières, techniques et professionnelles, un opérateur pouvait mettre en avant les capacités d'autres entités auxquelles il est rattaché. Dans la seconde affaire, la juridiction européenne a considéré qu'une personne publique avait la possibilité de réclamer des pièces à un candidat pour compléter son dossier de candidature après l'expiration du temps alloué pour déposer ce dernier.

Le premier cas (n°C-94/12) mettait en cause une province d'Italie ayant engagé une procédure d'adjudication pour des travaux de modernisation et d'extension d'une route. Pour vérifier l'aptitude des candidats, étaient exigées notamment leurs capacités techniques et professionnelles par une présentation d'une attestation spécifique correspondant à la nature et à la valeur des travaux, objet du marché. La province a exclu un groupement temporaire d'entreprises suite à l'application par la personne publique d'une disposition réglementaire italienne. Celle-ci interdisait de façon générale aux soumissionnaires de faire valoir pour une même catégorie de qualifications (financières, techniques ou professionnelles), les capacités d'autres entreprises. En effet, l'opérateur avait invoqué les capacités d'autres entités auxquelles il était rattaché.

Le cumul des capacités est-il autorisé par la directive Marchés publics ?

Contestant la décision d'exclusion, le groupement d'entreprises a saisi le tribunal administratif italien. Ce dernier, ayant un doute sur le sens de plusieurs articles de la directive européenne 2004/18/CE relative à la passation des marchés publics, concernant notamment la justification des capacités des candidats, décide de surseoir à statuer et pose à la CJUE la question préjudicielle suivante : le droit de l'Union européenne s'oppose-t-il à ce qu'une mesure nationale interdise de façon générale à un opérateur économique de faire valoir pour une même catégorie de qualification, les capacités de plusieurs autres entreprises auxquelles cet opérateur peut être lié, pour satisfaire au niveau de capacité requis ?
La Cour de justice répond positivement : "Lesdites dispositions [art. 47 §2 et 48 §3 de la directive] n'édictent aucune interdiction de principe quant au recours, par un candidat ou un soumissionnaire, aux capacités d'une ou de plusieurs entités tierces en sus de ses propres capacités, afin de remplir les critères fixés par un pouvoir adjudicateur." La directive ne prévoit même pas de limitation quant au "cumul de capacités". Cette faculté avait déjà été affirmée par la juridiction suprême dans deux arrêts du 2 décembre 1999, Holst Italia, C 176/98, et du 18 mars 2004, Siemens et ARGE Telekom, C 314/01.
Cette interprétation, conforme à l'objectif d'ouverture des marchés publics à la concurrence la plus large possible, est de nature à "faciliter l'accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics", souligne la CJUE. Le pouvoir adjudicateur peut toutefois poser des limites à ce principe lorsque des travaux présentant des particularités nécessitent une certaine capacité qui ne peut être obtenue en rassemblant les capacités de différents opérateurs. Dans cette hypothèse, il peut ainsi limiter le niveau de capacité à un opérateur unique ou à un nombre limité, mais seulement si cette exigence est liée et proportionnée à l'objet du marché en cause.

Candidature et expiration du délai : est-il possible de compléter son dossier ?

Dans la seconde affaire (n° C-336/12), le ministère de l'Education nationale danois avait lancé un appel d'offres pour l'exploitation de sept centres d'orientation et de conseil professionnel. Eu égard à la complexité des prestations du marché, le pouvoir adjudicateur avait décidé de mettre en œuvre une phase de présélection des candidats. Ces derniers devaient fournir certains documents (dernier bilan, liste de références etc.) pour justifier de leurs qualifications techniques et financières. Le ministère danois avait demandé à plusieurs candidats, qui n'avaient pas présenté leur dernier bilan au moment du dépôt de candidature, de compléter leurs dossiers et de fournir ce document. Saisie par un candidat évincé, la commission des recours en matière de marchés publics annule la procédure au motif que le ministère de l'Education nationale avait méconnu le principe d'égalité de traitement, en n'écartant pas les candidats ayant fourni leur dernier bilan après le dépôt des dossiers de candidature au moment de la phase de présélection. Le pouvoir adjudicateur danois conteste cette décision et saisit alors la cour régionale. Face au doute lié à cette question, cette dernière juridiction décide de surseoir à statuer pour poser une question préjudicielle à la CJUE. "Le principe d'égalité de traitement consacré en droit de l'Union signifie-t-il que, après l'expiration du délai pour faire acte de candidature à un marché public, un pouvoir adjudicateur ne peut pas demander la communication du dernier bilan d'un candidat, qui était exigée dans l'avis de présélection, lorsque ce candidat a omis de joindre cette pièce à son dossier ?", demande la juridiction danoise.
La Haute Juridiction européenne rappelle au préalable qu'une offre ne peut pas être modifiée après son dépôt, que ce soit à l'initiative du pouvoir adjudicateur ou du candidat. Si l'offre est imprécise ou non conforme aux spécifications techniques du cahier des charges, la personne publique ne peut pas demander des éclaircissements au soumissionnaire. Cette règle est toutefois tempérée par une exception : les données liées à l'offre peuvent être corrigées ou complétées ponctuellement lorsqu'elles nécessitent une simple clarification ou pour mettre fin à des erreurs matérielles manifestes (voir en ce sens, CJUE 29 mars 2012, SAG ELV Slovensko e.a., C-599/10). Ces principes, qui s'appliquent aux offres, sont transposés par la CJUE aux dossiers de candidature déposés dans le cadre d'une phase de présélection des candidats.
Pour répondre à la question posée, la Haute Cour estime ainsi que "le principe d'égalité de traitement doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'un pouvoir adjudicateur demande à un candidat, après l'expiration du délai imparti pour le dépôt des candidatures à un marché public, la communication de documents descriptifs de la situation de ce candidat, tels que le bilan publié". Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de porter les appréciations requises pour cette question, conclut la CJUE.

Références : CJUE, 10 octobre 2013, Swm Costruzioni 2 SpA e.a, n° C-94/12(Lien sortant, nouvelle fenêtre) ; CJUE, 10 octobre 2013, Manova A/S, n° C-336/12(Lien sortant, nouvelle fenêtre)
 

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis