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Centres commerciaux : les préfets appelés à renforcer la lutte contre l’artificialisation des sols

Le Premier ministre vient d’adresser une circulaire aux préfets les exhortant à accentuer le contrôle sur les autorisations d’exploitation commerciale pour lutter contre l’artificialisation des sols. Cette circulaire fait partie des mesures prises suite aux recommandations de la Convention citoyenne pour le climat. Elle pourrait préfigurait le futur "moratoire" promis par le président de la République.

En attendant le moratoire sur les grandes surfaces en périphérie préconisé par la Convention citoyenne pour le climat (CCC) et promis par Emmanuel Macron, le gouvernement exhorte les préfets à faire usage de leurs pouvoirs pour "lutter contre l'artificialisation des sols générée par les équipements commerciaux". "Sans porter d'atteinte disproportionnée au principe de libre établissement, il y a lieu d'exercer une vigilance toute particulière sur le respect du principe de consommation économe de l'espace dans l'examen des projets d'équipements commerciaux soumis à autorisation d'exploitation commerciale (AEC)", souligne en effet le Premier ministre Jean Castex dans une circulaire du 24 août annoncée le mois dernier. Une injonction qui vise l’objectif de "zéro artificialisation nette" inscrit dans le plan Biodiversité de juillet 2018.

Sans remonter à la fameuse loi "Royer" de 1973, qui a eu des effets contreproductifs, depuis une dizaine d’années, les mesures prises par les gouvernements successifs pour freiner l’artificialisation (instauration de critères d’aménagement du territoire et de développement durable, intégration urbaine...) n’ont pas obtenu les résultats escomptés, même si la crise risque de plomber les nouveaux projets, comme ce fut le cas en 2008. Les surfaces commerciales et économiques représentent "14% des surfaces artificialisées, c'est-à-dire ni agricoles, ni naturelles, ni forestières", précise la circulaire. Ce qui montre d'ailleurs qu'elles ne sont qu'une partie du problème, derrière les zones pavillonnaires, les infrastructures, les zones d'activité... Or d’après la FNSafer (fédération nationale des Safer), "le marché de l’urbanisation ne reflète pas encore" le principe de zéro artificialisation nette. Bien que la consommation d’espaces agricoles ait baissé de 3,6% en 2019, elle reste à un niveau important : 30.900 hectares.

"Une amélioration est possible et souhaitable"

Le Premier ministre rappelle que depuis la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, "les implantations extensions, transferts d'activités existantes et changement de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l 'environnement et de la qualité de l'urbanisme (. . .), dans le cadre d'une concurrence loyale". En réalité cette loi, venant transposer la directive Bolkenstein de 2006 a plutôt contribué à déréguler le secteur en supprimant les autorisations pour les surfaces de moins de 1.000 m2.

La loi Elan (évolution du logement, de l'aménagement et du numérique) du 23 novembre 2018 – qui comporte tout un volet sur l’urbanisme commercial – a en revanche marqué un changement de cap, avec la création des opérations de revitalisation de territoire (ORT) et la possibilité pour le préfet de suspendre les projets en périphérie de ville. Elle a en outre conduit les commissions départementales d’aménagement commercial à se montrer plus vigilante (elles doivent désormais veiller aussi à la préservation du tissu commercial de centre-ville), mais "une amélioration est possible et souhaitable", juge le Premier ministre. "Sans attendre la traduction législative et réglementaire des recommandations de la Convention citoyenne pour le climat, une action déterminée peut être immédiatement menée, plus spécifiquement sur l'aménagement commercial", estime-t-il.

Double compétence des préfets

Il rappelle ainsi aux préfets qu’ils disposent d’une double compétence. En tant que représentant de l’État dans le département tout d’abord, ils disposent "dans le cadre des opérations de revitalisation des territoires (ORT), d'une faculté de suspension de la procédure devant la CDAC". En qualité de président de la CDAC, ils ont par ailleurs "un pouvoir d'intervention, avant la décision ou l'avis, pour rappeler les enjeux, objectifs légaux et critères d'appréciation". Le Premier ministre invite à cet égard les préfets à charger la chambre d'agriculture locale d’une "étude spécifique de consommation des terres agricoles" prévue par la loi Elan, avec un état des lieux des surfaces affectées dans la zone de chalandise du projet afin d’éclairer la décision de la commission. En séance, les préfets devront aussi rappeler les enjeux de lutte contre l’artificialisation, les règles de déontologie et de conflits d'intérêts.

Une fois la décision prise, les préfets peuvent aussi saisir la Commission nationale d'aménagement commercial ou la justice administrative, rappelle enfin Jean Castex. Et il demande aux préfets de le faire "chaque fois que la création d'un nouvel équipement commercial ou une extension est autorisée en CDAC alors que le projet ne [leur] semble pas respecter, l'objectif de 'zéro artificialisation', faute notamment d'une consommation économe de l'espace ou en raison de l'imperméabilisation des sols qu'il génère".  Car à l’heure actuelle le nombre de recours devant la Cnac se limite à 2 ou 3 cas par an.

Rien sur les entrepôts

Cette circulaire avait été annoncée le 27 juillet par le gouvernement parmi la série de mesures envisagées pour répondre aux recommandations de la CCC. L'exécutif envisage, dans un second temps, de revoir les critères d'examen des autorisations d'exploitation commerciale pour mieux tenir compte du "zéro artificialisation nette", dans le cadre de la loi sur la Convention citoyenne pour le climat. Il avait également déclaré vouloir créer un fonds permettant de "réhabiliter des centaines d'hectares de friches" déjà artificialisées.

Difficile pour l’heure de savoir si cette circulaire préfigure ou se substitue à l’idée de moratoire retenue par le président de la République le 29 juin, lors de la restitution des travaux de la CCC. Un moratoire qu'il risque d'être difficile de faire accepter par la Commission européenne, vigilante sur la liberté d'installation. 

Mais la circulaire semble passer à côté du phénomène montant et qui inquiète les associations environnementales : l’essor des entrepôts de commerce en ligne, comme ceux d'Amazon, notamment dans le Grand Est avec pour cible la distribution du marché allemand. Or les entrepôts ne sont pas soumis aux CDAC. Une tentative en ce sens avait échoué lors de l'examen du projet de loi Elan.