"Chaque automne, le gouvernement redécouvre la crise du logement" : au Sénat, l’exaspération monte
Lors d’un débat consacré à la crise du logement, mardi 4 novembre au Sénat, le ministre Vincent Jeanbrun a rappelé sa volonté de construire un grand plan d’urgence, sans parvenir à dissiper les doutes sur la volonté politique d’en finir avec un cycle de promesses non tenues.
© Capture vidéo Sénat/ Lucien Stanzione
Le Sénat, habituellement temple de la mesure, a résonné ce mardi des accents d’un cri d’alarme unanime. La Chambre haute a mis la crise du logement au centre du débat, fustigeant une crise sans précédent. "Comment répondre à la crise du logement ? Voilà un beau sujet !", s’est exclamé Lucien Stanzione, sénateur socialiste du Vaucluse. "La question est si souvent posée qu’elle en devient presque une tradition républicaine. Les réponses existent pourtant, ce ne sont pas les idées qui manquent mais, dirons-nous, l’envie de les entendre."
Les orateurs, de Dominique Estrosi Sassone (LR) à Viviane Artigalas (SER) et Amel Gacquerre (UC), ont rappelé la gravité de la situation : plus d'un Français sur deux déclare avoir des difficultés à se loger ; 2,8 à 3 millions de ménages sont en attente d'un logement social ; et la construction neuve est à son plus bas niveau depuis 20 ans.
"Dans mon département, la crise n’a rien d’un concept économique. Elle se voit, elle se vit. Les familles attendent des années un logement social, les maires s’épuisent à relancer des projets qui n’aboutissent pas. En région Paca, plus de 10.000 nouvelles demandes de logement ont été déposées ces 6 derniers mois, soit 5% de hausse. On appelle cela une tension de marché ? Sur le terrain, c’est une détresse !", a déclaré Lucien Stanzione.
"La crise du logement est un sujet bien trop grave pour faire les frais de l'instabilité politique", a martelé pour sa part Dominique Estrosi Sassone, demandant de "reconstruire les fondations d'une politique de moyen terme".
Le statut du bailleur privé : un choc d'investissement nécessaire
Un point de consensus, bien que teinté de divergences idéologiques, a émergé : la nécessité de relancer l’investissement locatif privé. Alors que l’amendement porté par Vincent Jeanbrun a été jugé trop timide par certains (lire notre article), pour les Républicains, il est temps de ne plus considérer les propriétaires comme des "profiteurs d'une rente", mais bien comme des contributeurs essentiels à la vie économique et sociale du pays. Marc-Philippe Daubresse a insisté sur l’importance d’un dispositif "réellement incitatif", plaidant pour un amortissement de 5% dans le neuf pour créer "l’effet choc de confiance" attendu.
Le ministre s'est montré particulièrement attentif, rappelant qu'un quart des ménages français sont logés par de petits propriétaires. Il a cependant fait écho aux préoccupations de la gauche en précisant que l'idée est d'inciter les "investisseurs familiaux de petite taille" et non de permettre à de "très riches investisseurs d'avoir des dizaines et des dizaines de logements".
Pour restaurer la confiance, le sénateur de Haute-Savoie Cyril Pellevat (Les Indépendants) a rappelé l’urgence d’un "rééquilibrage de la relation entre propriétaire et locataire", passant par l’accélération des procédures contre le squat et les impayés.
La controverse budgétaire
L’harmonie s'est vite fissurée dès que les discussions ont abordé la ligne budgétaire du gouvernement. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a rappelé que les choix de 2017, notamment la réduction du loyer de solidarité (RLS), limitent depuis des années les capacités d'investissement des bailleurs sociaux (lire notre article).
Plusieurs groupes ont ciblé le projet de loi de finances pour 2026. Lucien Stanzione a dénoncé une "étrange rationalité que de vouloir construire davantage en retirant les briques". Il s’est inquiété d’une nouvelle hausse de la RLS et du désengagement de l'État du FNAP (Fonds national des aides à la pierre), dont la charge est reportée sur les HLM pour 375 millions d’euros.
"Jamais je n'aurais pensé voir un gouvernement capable de considérer qu'un budget équilibré vaille plus qu'une famille logée. Ce jour-là, la République n'est plus sociale, elle devient simplement comptable", a lancé le sénateur Stanzione, suscitant le doute sur la capacité du ministre à imposer ses engagements.
Antoinette Guhl, sénatrice écologiste de Paris, a enfoncé le clou, soulignant que si elle entendait les belles paroles du ministre, le budget 2026 "parle pour [lui]" en baissant les APL de 587 millions d'euros.
Encadrement des loyers et bataille sur le foncier
Face à la flambée des prix — le coût du logement ayant doublé par rapport aux revenus disponibles en 20 ans — l’opposition de gauche a exigé des outils de régulation. Pascal Savoldelli, sénateur du Val-de-Marne, a mis en cause le "dérèglement" du parc privé, notant que les loyers ont presque doublé en 25 ans dans l'agglomération parisienne.
Il a interpellé le ministre sur la pérennisation de l'encadrement des loyers et l'encadrement des prix du foncier. Vincent Jeanbrun a répondu avec prudence, souhaitant "rentrer sans dogmatisme" dans le débat, plaidant pour la "liberté" des élus locaux à s’autodéterminer.
Le ministre s'est montré plus ferme sur la méthode, annonçant que le plan logement serait co-écrit en impliquant les élus locaux, car "la planification se fait avant tout à l'échelle locale". Il a soutenu l’idée de décentralisation et l'expérimentation de nouvelles formes d'habitat, telles que les tiny houses.
L’oubli du patrimoine et la cabanisation
D'autres sujets plus spécifiques, mais cruciaux, ont été soulevés. Sabine Drexler (LR) a mis en lumière le patrimoine bâti ancien (avant 1948), un "gisement majeur" qui est "sous-exploité" en raison de normes inadaptées, citant notamment des DPE (diagnostic de performance énergétique) qui le "pénalisent injustement".
Lauriane Josende (LR) a quant à elle soulevé le phénomène alarmant de la "cabanisation" dans les Pyrénées-Orientales, un véritable "business" de constructions illégales qui mine l’autorité de l’État et des maires. Le ministre a promis une application rapide et ferme des nouvelles dispositions de la proposition de loi Huwart (lire notre article) dès sa promulgation pour augmenter les amendes et astreintes contre ces constructions illégales.
"Le fatalisme n'est pas une option", a conclu Vincent Jeanbrun, en promettant à nouveau de mener son grand plan logement "partout et pour tous". Disant emprunter une formule à Jean-Louis Borloo, le ministre a concédé qu’il ne fallait pas "gâcher une bonne crise", et assuré que le plan serait construit en intégrant l'urgence et la refondation à moyen et long terme. Reste à savoir, comme l'a insinué le sénateur Stanzione, si la force politique suivra la volonté : "Chaque automne, le gouvernement redécouvre la crise du logement, s’en émeut, la commente, promet d’y répondre. Puis l’hiver arrive et les réponses se perdent avec les feuilles mortes. C’est un cycle budgétaire aussi régulier que les saisons… "