Christophe Bouillon : "Nous sommes devant le risque d’un véritable blackout territorial"

La flambée des factures énergétiques s'impose comme l'un des principaux sujets de préoccupation des maires de petites villes qui tiennent leur 24es Assises à Dinan les 15 et 16 septembre. Nombre d'entre eux sont obligés de recourir à des mesures drastiques : fermetures de musées, de piscines, de médiathèques, restrictions sur l'éclairage public, baisses de température dans les bâtiments cet hiver. À l'approche de la préparation des budgets, ils attendent des éclaircissements du gouvernement sur leurs finances. La ministre déléguée aux collectivités territoriales, Caroline Cayeux, n'a fait que confirmer que la suppression de la CVAE sur deux ans serait compensée par l’attribution d’une part supplémentaire de la TVA.

"Faudra-t-il finir par fermer nos mairies pour qu’on mesure la gravité de la situation ?" En ouverture des 24es Assises de l’Association des petites villes de France (APVF), à Dinan (15.000 habitants, Côtes-d’Armor), son président Christophe Bouillon a rapidement laissé de côté les plaisanteries d’usage ("Nous sommes au Théâtre des Jacobins, (…) grâce à nos débats, nous allons lui donner une coloration un peu girondine") pour entrer dans le vif. Tant les nuages obscurcissent le ciel des collectivités… et pas seulement en Bretagne. Bien sûr, le grand sujet du moment est la flambée des factures énergétiques. Une situation qui "va durer", a prévenu Didier Lechien, le maire de Dinan. "Faudra-t-il impacter une partie de cette hausse sur les contribuable (via la taxe foncière, ndlr) ou sur les usagers en augmentant le prix des services ?", a-t-il interrogé devant les 500 maires présents. L’APVF est "l’une des premières associations à avoir tiré le signal d’alarme sur l’augmentation vertigineuse du coût de l’énergie" et ce dès le mois de janvier (avant donc le déclenchement de la guerre en Ukraine), a rappelé Christophe Bouillon. La situation "amène à des arbitrages douloureux, à retarder les investissements", a-t-il redouté, rappelant la fermeture brutale d’une trentaine de piscines publiques gérées par l'entreprise Vert Marine, la semaine dernière. "Fermeture des piscines, des musées, des médiathèques, éclairage public éteint une partie de la nuit, température réduite des équipements (…) toutes ces fermetures posent de sérieuses difficultés en termes de services publics que nous devons à la population. (...) Nous sommes devant le risque d'un véritable blackout territorial", a alerté le maire de Barentin (Seine-Maritime) devant les deux représentantes du gouvernement présentes : Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales, et Dominique Faure, secrétaire d’État à la Ruralité. Après avoir écarté les collectivités de son plan de résilience présenté au mois de mars, le gouvernement a instauré, dans le cadre du budget rectificatif de cet été (voir notre article du 29 août 2022), un filet de sécurité de 430 millions d’euros pour les communes et intercommunalités les plus fragilisées à la fois par la hausse de 3,5% du point d’indice des fonctionnaires et par la hausse du prix de l’énergie (l’aide se monte à 500 millions d’euros si on inclut les départements et les régions).

Fonds vert : "Il nous faut le mode d'emploi"

La dernière mesure en date est l’annonce par la Première ministre Élisabeth Borne fin août de la création d’un "fonds vert" d’1,5 milliard d’euros pour financer les projets des collectivités dans la transition écologique. "Il nous faut le mode d’emploi, assez vite. C’est en ce moment que nous préparons nos budgets, et en ce moment que nous avons besoin de savoir si nous pourrons bénéficier de cette aide précieuse", a insisté Christophe Bouillon. Le récent rapport de la Cour des comptes concluant à une situation très positive des finances des collectivités (voir notre article du 12 juillet 2022) n’est "qu’une photographie à l’instant T", a-t-il rappelé. "Il faut regarder au-dessus de ce rapport de la Cour des comptes pour bien apprécier la réalité de ce que nous vivons aujourd’hui et aussi dans les semaines et mois à venir."

À cet égard, Caroline Cayeux a confirmé que le fonds vert serait bien constitué "d’argent neuf" (et non recyclé). Mais il reviendra à Élisabeth Borne d’en préciser elle-même les "règles du jeu" d’ici quelques jours. "Les élus locaux et les collectivités seront évidemment au cœur de sa mise en œuvre (...). Il n’y aura pas d’appels à projet, pas d’appels à manifestation d’intérêt, nous voulons simplifier", a assuré la ministre. Elle a aussi évoqué la prolongation du bouclier tarifaire en 2023, annoncée par Elisabeth Borne mercredi, qui permettra de limiter à 15% la hausse des prix de l'électricité et du gaz pour les plus petites communes (soit les 28.000 communes de moins de 10 agents et de moins de deux millions d’euros de budget). Sur la question de la suppression en deux ans de la CVAE (qui conduira à un manque de 4 milliards d’euros dans les finances des collectivités dès 2023), Caroline Cayeux a confirmé qu’elle serait "intégralement compensée par une attribution de part supplémentaire de TVA".

"Le premier sujet saillant est la santé"

Insuffisant cependant pour dissiper les inquiétudes suscitées par les déclarations du ministre l’Économie, Bruno Le Maire, mercredi, devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée. Ce dernier a affirmé que les aides énergétiques seraient conditionnées à la bonne gestion des collectivités. Mais les finances ne sont pas le seul sujet d’inquiétude des maires de petites villes : "Le premier sujet saillant est la question de la santé et de l’offre de soins", a déclaré Christophe Bouillon, appelant à "sauver l’hôpital public" (ce sera le sujet d’une rencontre avec le ministre de la Santé, François Braun, mardi prochain). Mais il y a aussi "la lancinante question de la désertification médicale", avec six millions d’habitants privés de médecin traitant. Plus qu’une question de nombre, "il y a surtout une question de répartition, d’organisation du travail", a pointé le président de l’APVF, en remettant sur la table l'idée d'une "régulation", comme c’est le cas pour les pharmaciens ou les infirmiers. Preuve qu’en France, on n’a pas de pétrole, mais on a de la suite dans les idées.