Comment massifier la transformation de bureaux en logements ?

Réunissant collectivités, bailleurs, architectes et opérateurs, le Sommet de la transformation organisé pour les cinq ans de la Foncière de transformation immobilière (FTI) a rappelé que la conversion de bureaux vacants en logements ne peut se faire qu’en mobilisant l’ensemble des acteurs. À l’heure où la crise du logement redouble d’intensité, cette coopération devient le principal levier pour transformer un gisement colossal en solutions concrètes.

Alors que la crise du logement s'intensifie et que la vacance des immeubles tertiaires atteint des records, le secteur immobilier s’est réuni autour de la Foncière de transformation immobilière (FTI), filiale du groupe paritaire Action Logement, qui célébrait ses cinq ans d'existence lors d'un Sommet de la transformation organisé le mardi 25 novembre. L'événement a incarné une idée : celle que "transformer, ce n'est pas effacer, c'est prolonger et faire évoluer ce qui existe déjà", ont déclaré François Lanchantin et Yves Clément, respectivement président et vice-président du conseil d’administration de la FTI.

Depuis sa création en 2020, la Foncière a déjà concrétisé la création de 1.166 logements à partir d'anciens bureaux vides. L'ambition est forte : 71 projets devraient livrer 7.212 logements dans les deux prochaines années, dont 69% seront des logements sociaux. Une action qui s’attaque de front à un paradoxe devenu presque absurde : tandis que 9 millions de mètres carrés de bureaux dorment à l’échelle du pays, la demande de logements, elle, explose. Pour Yves Clément, le potentiel est pourtant là : près des deux tiers de ces bureaux vacants pourraient, avec les bonnes opérations de transformation, devenir des lieux de vie. Un gisement colossal que la FTI entend bien continuer à activer.

Entre freins structurels et solutions de rupture

Malgré l'urgence collective, la transformation massive est freinée par des obstacles techniquement et financièrement complexes avec, en tête, la valorisation des actifs. Xavier Lépine, président de l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF), a notamment expliqué que “la valeur comptable des bureaux vides est souvent déconnectée de la réalité”. Cette valeur est basée sur l'hypothèse de flux futurs de loyers perçus à l'infini, même lorsque le bâtiment est durablement libre, ce qui rend impossible la vente à un prix permettant de réaliser les lourds travaux nécessaires. De plus, l'opération de transformation implique des surcoûts pour des projets dont l'équilibre économique est fragile. Julien Denormandie, ancien ministre du Logement, a souligné que le cadre réglementaire (inspiré de la Charte d'Athènes de 1933, qui séparait les lieux de travail et d'habitation) n'a jamais été pensé pour ce changement d’usage. Face à ces blocages, deux rapports commandés par l’ancienne ministre Valérie Létard avaient formulé des propositions audacieuses (sur ces rapports, voir notre article de septembre dernier).

Parce que le secteur ne mise pas sur le coup par coup, sous l'impulsion de Katelle Le Guillou, directrice générale de la FTI et Blaise Heurteux, vice-président de Stonal, une action collective sans précédent a mobilisé 80 personnes —architectes, juristes, promoteurs— travaillant bénévolement pour ériger une véritable industrie de la transformation. L'objectif : quantifier le vide structurel (estimé à 2 millions de m² de bureaux inoccupés depuis plus de deux ans en Île-de-France) et débloquer les situations bloquées en créant une "matrice de la transformabilité". Ce modèle, basé sur l'analyse de 66 immeubles tests de l'Ouest parisien, aborde plusieurs axes cruciaux comme la technique, la réglementation et le modèle économique. L'action collective s'est organisée autour de quatre comités de projets thématiques, supervisés par un comité scientifique.

L’ambition est de fournir, à terme, une méthodologie robuste et une crédibilité scientifique permettant de segmenter les problèmes et d’y apporter des réponses adaptées. Mais pour donner davantage d’ampleur à cette démarche, la FTI a rappelé que le consortium avait besoin de financements destinés à poursuivre et fiabiliser ses travaux.

De la Cour des comptes à la vie étudiante

Afin d’illustrer l’impact concret des transformations qui aboutissent, le Sommet a mis en lumière une opération emblématique menée à Strasbourg. Le bâtiment en question, situé au 14 rue du Faubourg de Pierre, près du centre-ville, avait été construit en 1874. Après avoir été une résidence bourgeoise puis accueilli la chambre d'agriculture, il a servi de siège à l'ancienne cour régionale des comptes d'Alsace, lieu de travail de l'ancien Premier ministre Jean Castex.

Aujourd'hui, il est devenu une résidence sociale de 57 logements étudiants. Le programme offre aux étudiants, en grande demande sur l'agglomération, des studios équipés, mais aussi des espaces collectifs de type coworking, salle de sport et sauna.

L'architecte Benjamin Dubreu a expliqué la complexité technique, mais aussi la richesse de l'approche : loin d'un programme générique, l'équipe a cherché à "réemployer un maximum de ce qui existe" et adapté le programme aux qualités intrinsèques du bâti du XIXe siècle, préservant ainsi moulures, boiseries et cheminées.

Un alignement des acteurs

Si l’opération a pu voir le jour, c’est parce que tous les acteurs ont avancé dans la même direction. L’eurométropole, représentée par sa vice-présidente Anne-Marie Jean, y voit la démonstration concrète de sa stratégie de sobriété foncière : répondre aux besoins sans grignoter de nouveaux espaces, en misant sur la rénovation intelligente du bâti existant. Du côté du bailleur social Domial, son directeur général, Damien Tourneur, a rappelé que rien n’aurait été possible sans la prise de risque assumée par la FTI : la Foncière a racheté le site sans conditions suspensives, portant seule le poids des aléas administratifs et techniques. Elle a ensuite structuré l’opération via un bail à construction, permettant d’assurer une rentabilité que le bailleur social n’aurait jamais pu atteindre seul. Enfin, Cédric Chevalier, directeur général de la MGEL, a constaté un enthousiasme clair du public étudiant. Selon lui, les transformations vertueuses parlent directement aux préoccupations de la génération : le développement durable, le confort d’usage, et l’idée que le logement doit être plus qu’un simple toit — un véritable lieu d’épanouissement.

Cette logique de coopération, que tous les intervenants ont revendiquée au long de la matinée, a naturellement trouvé son écho dans les propos conclusifs de Bruno Arcadipane, président d’Action Logement. Pour lui, le succès des transformations menées par la FTI repose précisément sur cette capacité à oser ensemble. "Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas ; c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles", a-t-il déclaré, citant Sénèque. Les partenaires sociaux, eux, ont franchi le pas et commencent à mesurer les fruits de cet engagement collectif. Mais l’heure n’est pas à l’autosatisfaction : la situation reste grave, les besoins immenses, et "l’attente de nos concitoyens, énorme". D’où l’impératif, martelé par Bruno Arcadipane, de poursuivre et d’accélérer encore. Son maître mot : le partenariat, sans lequel "la transformation du bâti ne fonctionnera pas". L’autre mot d’ordre : l’agilité. Action Logement, a-t-il rappelé, est désormais le plus grand groupe immobilier européen dans son ensemble, avec une responsabilité particulière sur le logement social. Cette position impose un savoir-faire très fin, presque artisanal, capable d’intervenir aussi bien sur du patrimoine historique que sur des immeubles des années 1970. "Ce travail de minutie, c’est un travail de dentelle", a-t-il conclu — une dentelle qui ne peut se tisser qu’à plusieurs mains.

 

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