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Confinement : réouverture très encadrée pour les visites dans les Ehpad et les établissements pour handicapés

L'annonce faite dimanche par le ministre Olivier Véran fait suite aux alertes données par de nombreux professionnels, dont les présidents de l'AD-PA et de la FHF, quant à la nécessité de prendre en considération le "drame" que peut représenter l'absence de visites. Un "syndrome de glissement" était constaté parmi les personnes âgées en Ehpad. Plusieurs Ehpad avaient déjà pris les devants. Et le Bas-Rhin avait pris dès samedi une mesure générale pour les Ehpad du département.

Lors de la conférence de presse commune du 19 avril avec Édouard Philippe (voir notre article), Olivier Véran a annoncé la mise en place, à partir du lundi 20, d'un "droit de visite pour les familles" dans les Ehpad et dans les établissements pour personnes handicapées. Ce droit de visite sera "très encadré" et se fera dans des conditions "extrêmement limitées". En pratique, ces visites, organisées sous la responsabilité des directeurs d'établissements, ne pourront donner lieu à aucun contact physique. Elles se feront sur rendez-vous et seront limitées à deux membres de la famille à la fois. Il faudra sans doute quelques jours pour que les établissements s'organisent afin de pouvoir autoriser les visites en toute sécurité.

Déjà une première ouverture le 13 avril, mais très limitée

Dans son adresse aux Français du 13 avril, Emmanuel Macron avait déjà esquissé une ouverture en direction des familles de résidents en Ehpad en annonçant un assouplissement des conditions de visite. Mais celui-ci demeurait très limité. Le chef de l'État avait en effet indiqué souhaiter "que les hôpitaux et les maisons de retraite puissent permettre d'organiser pour les plus proches, avec les bonnes protections, la visite aux malades en fin de vie afin de pouvoir leur dire adieu". Au-delà de ce cas de figure particulier, la pression était en train de monter très fortement chez les professionnels de l'aide aux personnes âgées pour étendre cette ouverture à tous les résidents et leurs familles, mais dans des conditions sécurisées.

Lutter contre le syndrome de glissement

Cette demande ne visait pas seulement à satisfaire les familles anxieuses de ne plus pouvoir rendre visite à leurs parents ou grands-parents confinés en Ehpad. Mais aussi et surtout, même si cela peut sembler paradoxal à première vue, à protéger les résidents eux-mêmes. Tous les professionnels font en effet état d'un phénomène bien connu des soignants et qui porte un nom médical : le syndrome du glissement. Ce syndrome du glissement cumule un état dépressif et une détérioration rapide de l'état général de personnes très âgées – notamment celles en perte d'autonomie – après la survenue d'un événement traumatisant : hospitalisation, affection aiguë, mais aussi isolement et perte de contact avec les proches. Ce syndrome se traduit le plus souvent par un décès au bout de quelques jours ou quelques semaines. Il touche habituellement moins de 5% des personnes âgées en hôpital ou en Ehpad, mais dans le contexte d'un confinement presque total, il risquait d'atteindre des taux beaucoup plus élevés. Dans ce contexte, les nombreuses initiatives d'Ehpad ou de départements pour favoriser les relations à distance – comme l'achat de 1.000 tablettes annoncé le 18 avril par le département du Nord pour être mises à disposition de ses 220 Ehpad – ne pouvaient suffire à faire face à ce problème.
Ces risques d'un confinement absolu avaient d'ailleurs été soulevés dans le récent avis du Conseil national consultatif d'éthique (CCNE) sur les questions de confinement et d'isolement des personnes âgées vivant en établissement (voir notre article ci-dessous du 30 mars 2020).

Tout le secteur mobilisé pour obtenir un assouplissement

Dans une lettre ouverte adressée dès le 23 mars au Premier ministre et au ministre des Solidarités et de la Santé, la FNAPAEF (Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles) avait déjà attiré l'attention sur les risques d'un confinement renforcé. Et ce donc, même si la plupart des Ehpad ont mis en place des dispositifs d'échanges dématérialisés avec les familles, via des solutions comme Skype, FaceTime ou WhatsApp. Mais, chez des personnes fragilisées, ce type d'échanges ne peut pas remplacer un contact de visu.

L'AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées) avait pris une position similaire, Pascal Champvert, son président, expliquant ainsi : "Il y a urgence ! Il faut que, dans le cadre du confinement général, on puisse organiser des mesures d'adaptation. Les visites des familles sont indispensables. Il ne faut pas que les personnes âgées meurent d'autre chose que du coronavirus. On nous remonte des tentatives de suicide, on a des syndromes de glissement, des gens qui ne se battent plus." Même chose pour Sophie Boissard, la directrice générale du Groupe Korian, principal opérateur français de maisons de retraite privées, qui demandait le rétablissement "d'un minimum de liens sociaux".

Dans son rapport remis le 8 avril à Olivier Véran en vue d'un plan de mobilisation "contre l'isolement" des personnes fragiles (voir notre article du 9 avril) , Jérôme Guedj plaidait lui aussi pour "des aménagements au cas par cas". Il avait par la suite transmis des recommandations à Olivier Véran et s'est hier dit satisfait que celles-ci aient été reprises, soulignant qu'il avait "consulté l’ensemble des parties prenantes concernées pour dégager des modalités consensuelles et sûres".

Enfin, dans une interview à BFMTV le 14 avril, Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) – et maire de Fontainebleau – expliquait que la possibilité  donnée aux familles de rendre une dernière visite aux personnes en fin de vie ne suffisait pas. Pour la FHF, il fallait "absolument revenir à la possibilité d'avoir des contacts protégés". Frédéric Valletoux soulignait que le drame qui se joue dans les Ehpad, "c'est aussi le drame de la solitude, le drame de l'enfermement psychologique, le drame de la détresse psychologique qui fait qu'être coupé de ses proches à certains âges peut faire basculer vers la mort".

Une multiplication des initiatives locales

La question s'est posée avec d'autant plus d'acuité que le confinement en Ehpad risque fort de se poursuivre au-delà du 11 mai. Tous les professionnels du secteur souhaitaient donc au moins l'engagement d'une réflexion sur la possibilité de visites très encadrées, offrant le maximum de sécurité sanitaire. Une solution proposée par les professionnels consistait, avec l'arrivée des beaux jours, à organiser ces visites à l'extérieur des bâtiments, la quasi-totalité des Ehpad disposant au moins d'un jardin. C'est cette pratique qui devrait le plus souvent se mettre en place après l'annonce d'Olivier Véran.

Sans même attendre la décision du gouvernement sur cette question, plusieurs Ehpad avaient déjà pris les devants, quitte à bousculer un peu les directives officielles. A Roche-la-Molière (Loire, 10.000 habitants), la maison de retraite (non médicalisée) a ainsi aménagé un parloir dans le sas d'entrée de son parking. Celui-ci permet d'organiser des visites programmées de 20 à 30 minutes. Après chaque visite, les sièges et les deux côtés de la vitre sont désinfectés. Cette création de "parloirs" a été reprise par d'autres Ehpad, par exemple à Plaisance-du-Gers ou à Gisors (Eure) et pourrait se répandre rapidement.

Dans le Bas-Rhin, Frédéric Bierry, le président du conseil départemental (et président de la commission Solidarité et affaires sociales de l'Assemblée des départements de France) a pris une mesure plus générale en annonçant le 18 avril – donc juste avant la conférence de presse d'Édouard Philippe et Olivier Véran –, la possibilité de rétablir les visites dans les Ehpad, en précisant que cette décision avait été prise "en concertation avec l'ARS et la préfecture". Ces visites seront toutefois très encadrées : elles se feront avec "l'accord des directions des Ehpad" et devront "respecter toutes les mesures barrières (dont le port du masque)". En outre, "l'entrée au cœur des établissements reste toujours interdite au public, sauf exception" et les rencontres seront donc organisées à l'extérieur, dans le jardin ou la cour de l'établissement. A noter : le Bas-Rhin avait déjà, lui aussi, annoncé le 6 avril la distribution de 300 tablettes dans les Ehpad du département.

Un changement de doctrine

Jusqu'à la conférence de presse du 19 avril, le ministre de la Santé s'était montré très réservé sur l'idée d'organiser des visites en Ehpad pour les familles. Interrogé le 15 avril sur RTL, Olivier Véran avait ainsi affirmé : "Nous rendrons possible les visites du monde extérieur, des aidants, des amis et de la famille, lorsque nous aurons la garantie que le circulation du virus est suffisamment faible pour que le risque soit considéré comme faible. Nous ne pouvons pas prendre le risque d'autres drames humains."

La pression des acteurs de terrain, mais aussi le changement de position du chef de l'État, qui est revenu sur ses propos du 13 avril évoquant une prolongation du confinement pour les personnes âgées, ont eu raison de cette position. Même si la déclaration d'Emmanuel Macron sur son souhait de "ne pas faire de discrimination entre nos concitoyens" vise surtout les personnes âgées à domicile, cette évolution ne pouvait pas manquer de se traduire aussi par cet assouplissement – très encadré – en Ehpad, en amont du 11 mai. C'est désormais chose faite.

 

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