Congrès des maires – Face à l'aggravation de la pauvreté, des maires toujours combatifs mais lucides sur leurs limites
Pris en tenaille entre la pression des besoins sociaux et des budgets de plus en plus contraints, des maires ont témoigné, le 19 novembre lors du Congrès des maires, des multiples difficultés auxquelles ils sont confrontés pour lutter contre la pauvreté sur leur territoire. Si des leviers d'optimisation peuvent être trouvés par la coordination locale des acteurs – au moins en milieu urbain où ces acteurs sont souvent nombreux -, l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas) appelle l'État à "un soutien structurel pour préserver la cohésion sociale"… tandis que les associations demandent aux communes de ne surtout pas se désengager.
© Aurélie Roudaut/ Luc Carvounas et Anne Rubinstein
En Martinique, la pauvreté ne peut se traduire par "des indicateurs", c'est davantage "une réalité quotidienne", pour Samuel Tavernier, maire du François (16.000 habitants), qui s'exprimait le 19 novembre 2025 lors du 107e Congrès de l'Association des maires de France. Cela du fait des "handicaps structurels" du territoire que sont l'éloignement, l'insularité et les situations de monopole qui font grimper les prix, alors que les salaires sont bas, mais également le vieillissement particulièrement rapide de la population ou encore un nombre très important de familles monoparentales. "Un véritable cocktail qui explose régulièrement", résume l'élu.
"Nous sommes une partie infime du système"
"Face à cela, nous sommes une partie tellement infime du système, il faut lutter à tous les niveaux", poursuit-il, soulignant le "travail remarquable" récemment réalisé par les parlementaires pour lutter contre la vie chère (voir notre article). Le budget communal dédié à l'aide sociale a plus que doublé en cinq ans, ce qui a servi notamment à mettre en place une épicerie sociale, une offre de transport solidaire ou encore un accueil permettant aux habitants de se faire accompagner pour activer leurs droits – la fracture numérique expliquant un niveau élevé de non-recours en Martinique. Mais le maire du François est lucide : "nous sommes limités".
Ce témoignage est représentatif de la tonalité générale qui s'est exprimée lors de ce forum du Congrès des maires intitulé "Des communes confrontées à une aggravation de la pauvreté". Des maires qui demeurent combatifs, à l'instar du maire de Lille, Arnaud Deslandes, qui s'indigne du fait que selon lui "personne ne parle de la pauvreté" et qui affirme qu'"on ne peut pas accepter que les injustices se creusent de plus en plus". Mais des maires plus que jamais conscients des limites qui sont les leurs : "Le bloc communal ne peut pas être seul face à tous ces problèmes", déclare ainsi sous les applaudissements Luc Carvounas, maire d’Alfortville, coprésident de la commission des Affaires sociales de l'AMF et président de l'Unccas. Sur l'épineuse question du logement, alors que "les maires savent qu'ils n'auront ni taxe d'habitation, ni taxe foncière", le président de l'Unccas fustige l'inaction des derniers gouvernements.
"Depuis 2020, 71% des CCAS et CIAS [centres communaux et intercommunaux d'action sociale] ont dû revoir leur budget à la hausse, dont un tiers de plus de 20%", met ainsi en évidence une nouvelle enquête de l'Unccas. Mais face à la "pression constante" des besoins, les ressources ne sont pas extensibles et des "fragilités menacent la continuité des services de proximité" – "difficultés de recrutement, départs massifs à la retraite, manque d’ingénierie"… L’Unccas appelle ainsi à "un soutien structurel de l’Étatpour préserver la cohésion sociale".
Des organisations à optimiser
Si aucun ministre n'était présent, la séquence aura donné l'occasion aux élus d'interpeler Anne Rubinstein, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. Sur le Pacte des solidarités, "684 millions d'euros ont été pour l'instant préservés dans le brouhaha budgétaire", mentionne-t-elle. Tout en appelant à "chérir et conserver" notre système de protection sociale, la déléguée interministérielle considère qu'"une partie des difficultés que nous avons sont liées à nos organisations" (organisation en silos, pluralité d'acteurs, "parfois même une concurrence entre les associations"…), qu'il est possible d'"optimiser les moyens" actuels "en vous laissant une liberté d'organisation".
Certaines communes se sont livrées à un exercice de rationalisation, à l'instar de Chanteloup-les-Vignes dont 38% de la population vit sous le seuil de pauvreté. "Parce qu'on était très nombreux (…), il y avait des trous dans la raquette", a témoigné sa maire Catherine Arenou. À l'issue d'un travail avec les associations, le centre social et les bailleurs sociaux, un label "ville solidaire" a été créé. Le principe est simple, explique l'élue : "Il n'y a plus d'actions qui se font les unes sans les autres." Sur l'aide alimentaire, le logement ou encore l'accès aux droits, tous les acteurs s'engagent à œuvrer à la réussite d'actions communes, pour gagner collectivement en efficacité.
Les associations appellent les communes à ne pas se désengager
D'autres élus émettent des doutes sur la façon dont certaines associations, délégataires de missions de service public, accomplissent ces missions et gèrent les deniers publics. C'est le cas du maire de Draguignan, qui a demandé au préfet de réaliser un audit sur deux associations actives sur sa commune.
De leurs côtés, les associations appellent à l'aide (voir notre article), tout en étant conscientes des difficultés budgétaires rencontrées par les communes. Présidente du collectif Alerte fédérant 37 associations, Delphine Rouilleault a clamé son inquiétude, notamment sur l'insertion par l'activité économique qui pourrait se voir amputée de 200 millions d'euros en 2026. "On sent bien que cette précarité s'accroît encore et j'en appelle à vous pour qu'il n'y ait pas de désengagement", a réclamé le président des Restos du cœur, Jean-Michel Richard. Insistant sur l'importance des "moyens mis à disposition par les communes", il a considéré que "1 euro d'argent public" permettait aux associations de son réseau de délivrer "4 à 5 euros de prestations sociales".
› En 30 ans, une transformation des visages de la pauvretéLa pauvreté monétaire relative (taux de personne en-dessous du seuil de 60% du revenu médian, mesurée par l'Insee) est passée de 13% en 2005 à 13,9% en 2015 puis à 15,4% en 2023 (voir notre article). Ces indicateurs démontrent une "poussée de la pauvreté au cours des 10-15 dernières années qui est extrêmement frappante", a jugé Nicolas Duvoux, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), le 19 novembre lors du Congrès des maires de France. Alors que la pauvreté touchait il y a un demi-siècle d'abord des personnes âgées qui ne percevaient pas de retraite, sont désormais concernés "essentiellement des personnes d'âge actif, des jeunes, des familles monoparentales, des familles nombreuses, des personnes qui sont sans emploi", explique le sociologue. Ce dernier insiste par ailleurs sur le poids croissant de certaines dépenses contraintes, en particulier le logement, dans le budget des ménages. Il en résulte un "ensemble de privations matérielles et sociales qui touchent le quotidien des personnes" (alimentation, santé…) et qui justifie "une mobilisation très transversale" des pouvoirs publics et des associations. Ces évolutions font l'objet du rapport 2025 du Secours catholique, intitulé "30 ans de regard sur la pauvreté", qui vient d'être rendu public. "Le visage de la pauvreté que rencontre le plus le Secours Catholique, ce sont les femmes et les enfants", souligne l'association qui précise que les femmes représentaient en 2024 56,5% des adultes rencontrés en 2024, une hausse de cinq points en 30 ans. C'est surtout la part des personnes de nationalité étrangère qui a explosé parmi les adultes accueillis, passant de 20% en 1994 à 53% en 2024 – dont deux tiers en attente d'un titre de séjour ou sans papier, une proportion qui s'est inversée en 30 ans, le Secours Catholique considérant que le durcissement des conditions administratives "conduit à la grande précarité" ces personnes "empêchées de travailler". L'association attire également l'attention sur la part grandissante des personnes accompagnées concernées par un état de santé dégradé et/ou un handicap (23% en 2024, contre 15% en 1999). L'accent est enfin sur les chômeurs, dont la part a nettement baissé parmi les publics accompagnés (23% en 2024, après avoir atteint 44% entre 2005 et 2015) mais qui sont "davantage des personnes durablement éloignées de l’emploi". D'un point de vue territorial, Nicolas Duvoux souligne que les régions les plus marquées par la pauvreté sont celles des outre-mer, Hauts-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca). Les privations "les plus intenses" sont "essentiellement dans les zones urbaines", selon Nicolas Duvoux, qui ajoute que les dynamiques d'évolution les plus inquiétantes sont à l'inverse davantage dans les territoires ruraux du fait notamment des problèmes de mobilité. Le CNLE a récemment publié un premier "Atlas de la pauvreté et des inégalités sociales", qui cartographie et analyse différents "contextes de pauvreté en France" avec un zoom cette année sur la Creuse, l’Hérault, la métropole lilloise et la métropole du Grand Paris. |