Congrès des maires – Transition écologique : de la friture sur la ligne
"Transition écologique : construire sa stratégie de mandat". Tenu ce 19 novembre, le contenu de ce forum du congrès de l'Association des maires de France (AMF) n'aura guère répondu à son intitulé. Il aura davantage été l'occasion de mettre en évidence le hiatus entre une salle d'élus locaux climato-inquiets et un État peinant à les convaincre de sa détermination en la matière.
© F. Fortin/ Mathieu Lefèvre, Anne Aubin-Sicard, Christian Métairie, Augustin Augier et Jean-François Vigier
"En matière de transition écologique, on ne peut pas se payer le luxe de s'opposer les uns aux autres. Agissons de concert !" a exhorté, ce 19 novembre, le ministre délégué chargé de la transition écologique, Mathieu Lefèvre, en conclusion du forum "Transition écologique, construire sa stratégie de mandat" tenu lors du congrès de l'Association des maires de France (AMF). À en juger par les interventions, tant en tribune que dans la salle, qui se sont succédé deux heures durant, il y a loin de la coupe aux lèvres, les deux parties semblant plus proches du divorce que de la bénédiction nuptiale. Pourtant, le ministre s'était voulu conciliant, louant d'emblée "des maires premiers agents de la transition écologique". Mais arrivé au cours des échanges, il n'a visiblement pas perçu qu'il faisait face à une salle de climato-convaincus, mais climato-inquiets… dont il n'a a priori pas emporté la conviction.
Parallèles
Quand le premier prône "une stratégie des petits pas" et s'inscrit en faux contre une situation qui serait "catastrophique", les seconds s'alarment "d'une situation très grave" et d'une France "en retard". "On va dans le mur", a tonné en tribune Jean-François Vigier, maire de Bures-sur-Yvette (Essonne) en fin d'atelier, aiguillonné par la salle. Et de prévenir que "la transition, on la fera. Mais en 30 ans, 40 ans, 50 ans. Mais en tout cas pas en 6 ans".
Quand le premier a invité "à ne pas décourager les collectivités engagées par des demandes trop vertueuses" et prévenu "qu'on ne fera pas la transition contre les citoyens", les seconds ont tancé un "État qui ne montre ni l'exemple ni le chemin".
Quand le premier a argué, Spafte (lire notre article du 28 octobre) à l'appui, "qu'on ne fera pas la transition qu'avec des crédits publics, et que les investissements publics doivent être des leviers", les seconds, par la voix de Jean-François Vigier, ont mis en regard "un asséchement des recettes fiscales des collectivités" et leur contrainte d'"un endettement limité" empêchant toute marge de manœuvre.
Quand le premier a vanté les COP régionales (lire notre dossier), "qui ont le mérite de montrer la territorialisation" et qui, selon le secrétaire général à la planification écologique, Augustin Augier, "outille les collectivités", les seconds, par la voix de Mélanie Cosnier, maire de Souvigné-sur-Sarthe (Sarthe), ont dénoncé "des COP de l'entre-soi" dans lesquelles "on perd du temps et de l'argent, car on paye les agents". Et de lancer : "On a tous les audits possibles, maintenant, il faut être dans l'action !"
Sécantes
Certes, les deux "parties" se sont parfois rejointes. Mais toujours sur le dos de l'État.
Ainsi, quand Jean-François Vigier et Christian Métairie, maire d'Arcueil (Val-de-Marne), ont dénoncé d'une même voix l'absence d'une "vraie concertation" entre l'État et les communes, prenant l'exemple d'un Pnacc 3 (lire notre dossier) "envoyé une semaine avant seulement la réunion du conseil national de la transition écologique" alors qu'il comporte "52 mesures, sans étude d'impact, sans financement", Augustin Augier a concédé que "le bloc communal n'est pas suffisamment intégré, vous avez raison". Et de promettre qu'une "nouvelle phase de concertation" sera ouverte avec le bloc communal "en avril – mai", avec les nouveaux exécutifs locaux.
Quand Jean-François Vigier a dénoncé l'absence d'ingénierie, "prochaine fracture territoriale" du pays, Augustin Augier a dit partager l'analyse : "C'est une fracture potentielle, notamment pour l'accès au financement". Lui aussi a jugé cette ingénierie "pas suffisante" – en dépit de la multitude d'acteurs à l'œuvre "dans différents endroits de l'État", qu'il a égrenés : "Ademe, Cerema, ANCT, État déconcentré…". Et, plus encore, de déplorer que "personne n'est spécialisé dans l'ingénierie financière, condition de la réussite de la transition écologique", ignorant ainsi l'expertise que peut pourtant apporter la Banque des Territoires, dont il a par ailleurs vanté l'action dans le cadre du programme Edurenov.
Quand Anne Aubin-Sicard, adjointe au maire de La-Roche-sur-Yon (Vendée), a fait part "d'élus locaux désorientés" face à la complexité des dispositifs, Augustin Augier a reconnu que si "les SCoT, les PLU, les PCAET [plans climat-air-énergie territoriaux], les PLM [plans locaux de mobilité], les PLH [programmes locaux de l'habitat], les PPA [projets partenariaux d'aménagement] sont des documents qui ont tous un bon objet, leur multitude pose difficulté". Et d'ajouter : "A-t-on besoin d'un diagnostic à chaque fois ? D'une comitologie spécifique ?" A priori non, lui qui a indiqué "à la demande du Premier ministre, conduire un travail pour voir comment simplifier" le tout.
Quand Christian Métairie a déploré l'absence de visibilité dont souffrent les collectivités, Augustin Augier a concédé que "le temps long, ce n'est pas forcément ce fait que de mieux l'État", constat d'autant plus inquiétant qu'il a rappelé que c'est à ce dernier qu'il revient de "fixer la stratégie" sur la transition écologique.
Dernier, mais non des moindres, points de jonction, la nécessaire décentralisation – autre dossier promu par Matignon (lire notre article du 20 novembre). "La transition écologique va de pair avec la décentralisation", a assuré Jean-François Vigier. "Il faut profiter de la transition écologique pour repenser la relation État-collectivités", a fait écho Augustin Augier. "Il faut que Paris lâche un petit peu prise", a complété Mathieu Lefèvre. Le passé récent n'invite toutefois guère à l'optimisme. Quand le ministre a ainsi plaidé pour "laisser davantage de latitude aux préfets sur le fonds vert", en limitant "le fléchage par missions", il a omis de rappeler que l'ambition initiale – vite contrariée – de ce "fonds unique" était précisément d'être totalement ouvert, sans "objets limitativement énumérés" et enveloppes préaffectées (lire notre article du 14 septembre 2022). On connaît la suite.
Angle obtus
En dépit de ces critiques tous azimuts, le ministre a tenu son cap : l'optimisme chevillé au corps. "Quand on veut faire vite et bien dans ce pays, on y arrive !", vante-t-il notamment, en prenant – comme son collègue du logement la veille (lire notre article) – exemple "des JO et de Notre-Dame". Deux dossiers qui ont bénéficié de régimes dérogatoires (lire notre article du 3 mai 2019), dont il n'est pas certain qu'ils aient été pleinement appréciés par l'auditoire.
Un optimisme il est vrai indispensable quand on est ministre. Et plus que jamais nécessaire au moment où l'angle de la pente de la transition se redresse fortement, comme le souligne François Thomazeau, d'I4CE : "On arrive au terme d'un mandat positif pour le climat : des élus engagés, dans un contexte favorable – l'accord de Paris, le Green Deal, la crise énergétique, un contexte budgétaire favorable pour les collectivités, avec des bases fiscales dynamiques et un soutien de l'État. Mais tout cela s'est un peu abîmé […]. C'est un peu inquiétant. Aux élus de relancer tout cela", exhorte-t-il. Aide-toi, et le Ciel t'aidera, en somme. Et ce, à un moment où le ciel risque, lui, de ne se faire guère coopératif (lire notre article du 20 novembre).