Congrès des maires – Les bonnes résolutions de Sébastien Lecornu

Intervenant ce 20 novembre en clôture du 107e Congrès des maires, le Premier ministre, bien qu'apparemment en phase avec l'esprit des exigeances des élus locaux, n'a que très partiellement répondu à leurs demandes concrètes. Sur les finances locales, il s'en remet désormais au Sénat pour trouver le bon "équilibre". Sur la décentralisation, un projet de loi centré sur "certaines politiques publiques", dont le logement, sera bien présenté "avant Noël". Il met toutefois en garde contre la difficile acceptabilité de la différenciation. Ses seules "vraies" annonces auront au final concerné les normes, avec deux "méga-décrets" devant bientôt venir "élaguer" une centaine de textes réglementaires. En bonus : une prime de 500 euros par an gratifiant les maires en tant qu'agents de l'Etat.

Pas d'annonce tonitruante, en tout cas pas sur les finances. Sébastien Lecornu intervenait ce jeudi 20 novembre en fin de journée, en clôture du 107e Congrès des maires, après avoir écouté les longues interventions d'André Laignel – qui faisait lecture de la traditionnelle résolution générale – puis de David Lisnard. Le Premier ministre a d'emblée dit préférer ne pas lire le discours qui lui avait été préparé et plutôt "réagir" aux propos des deux dirigeants de l'Association des maires de France (AMF) et s'exprimer avec avec la "liberté" que lui donnerait paradoxalement "la situation précaire" dans laquelle il se trouve.

Au fil de la résolution générale, le premier vice-président délégué de l'AMF avait logiquement répété pas mal des choses posées mardi dès la séance d'ouverture (voir notre article) puis déclinées au fil des multiples séquences du congrès. Avec la volonté, encore et toujours, d'illustrer "la robustesse" des communes, leur efficacité… et de dire la crainte que l'Etat, fragilisé, ne les "entraîne dans son naufrage".

"Naufrage" financier notamment, avec ce projet de budget dont les "ponctions" sur les collectivités "n'améliorent en rien les comptes publics". Même verdict dans la bouche du président de l'AMF, selon lequel les "efforts" demandés aux collectivités ne font qu'entretenir "les causes du problème". Lui aussi parle d'"effet récessif".

Les demandes de l'association concernant le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 ont été rappelées. En bref, il faudrait y supprimer plein de choses : le Dilico, la réduction de la compensation des anciens impôts économiques, les modifications du FCTVA, le gel de la DGF, l’augmentation des cotisations CNRACL… et les "nombreuses baisses de crédits dédiés aux territoires".

PLF : cap sur le Sénat

Ayant "eu vent des travaux du Sénat" sur le PLF, David Lisnard dit voir d'un bon œil les affirmations de Gérard Larcher qui, s'exprimant le matin même au congrès, a assuré vouloir réduire drastiquement la contribution des collectivités (voir notre article de ce jour). Dont celle des communes, qui pourraient être "totalement exonérées" de Dilico (ce qui n'implique pas les intercommunalités). Les sénateurs l'ont déjà acté en commission des finances.

Et c'est précisément sur cette lecture du PLF au Sénat que mise le Premier ministre. Alors que devant les élus départementaux réunis en fin de semaine dernière pour leurs Assises, celui-ci avait listé les amendements que le gouvernement comptait porter (voir notre article), cette fois, Sébastien Lecornu laisse la main : "J'ai donné mandat aux ministres, avec le président Larcher et avec le rapporteur général Husson, avec les commissions compétentes au Sénat, de trouver au fond le meilleur équilibre entre le fait de rétablir nos finances publiques et de ne pas manquer à la parole de l'État". Y compris sur le Dilico. Le sujet aura donc été rapidement évacué.

De façon plus globale, le chef du gouvernement considère que l'on est "au bout d'un cycle" lorsque "plus personne n'est capable d'expliquer comment la DGF est calculée", de "justifier la péréquation de cette DGF entre la DSU et la DSR"… et lorsque s'"agite" depuis deux jours un débat sur les assiettes de taxe foncière (voir notre article de ce jour).

Et puis, a-t-il prévenu, "il y a les mesures qui sont dans le budget… et il y a les impacts pour les collectivités de l'absence de budget, qui signifierait "zéro péréquation" et "aucune dotation d'investissement". "Donc entre un budget non acceptable pour les collectivités locales, je l'entends parfaitement, je l'ai compris et je le mesure, et, de l'autre côté, l'absence de budget, je pense que le chemin de responsabilité doit être quelque part entre les deux et je suis à peu près certain qu'on arrivera à le trouver." En sachant que ce jeudi lors d'une réunion au Sénat, le ministre des Relations avec le Parlement, Laurent Panifous, a fait savoir que le gouvernement présentera un projet de loi spéciale si les parlementaires devaient ne pas parvenir à "achever la conduite du processus budgétaire avant le 31 décembre".

Décentralisation : les "préalables" de l'AMF

L'autre grand sujet évoqué par les deux représentants de l'AMF devant le Premier ministre a évidemment été la décentralisation. Ce sujet qui domine la plupart des congrès des maires mais qui prenait sans doute un relief particulier cette année, non seulement parce que les élus disent plus que jamais constater les élans recentralisateurs de la machine de l'Etat, mais aussi bien-sûr parce que Sébastien Lecornu a lui-même fait part, dès sa nomination, de sa volonté de relancer le chantier.

Cette décentralisation voulue par les maires, la résolution la décrit comme "un véritable choix de société" et non "un simple ajustement administratif". Les "principes et préalables" posés par les maires y sont une nouvelle fois listés : subsidiarité, respect de la libre administration des collectivités garantie par une loi organique, autonomie financière et fiscale, établissement d'une "contribution territoriale universelle" (en lieu et place notamment de l'ex-taxe d'habitation), pouvoir réglementaire local (lequel, assure André Laignel, est envisageable à droit constant), inscription de la clause de compétence générale des communes dans la Constitution. Et, ajoute David Lisnard, "aucune tutelle d'une collectivité sur une autre" (méfiance à l'égard du chef de filât). Pour lui aussi, "la décentralisation n'existe pas en pièces détachées, c'est une réforme politique".

Le maire de Cannes s'est directement adressé à Sébastien Lecornu : "Si notre enthousiasme [vis-à-vis de la réforme prévue] paraît contenu… c'est parce que vous n'êtes pas le premier à nous l'annoncer". Emmanuel Macron lui-même ne s'y était-il pas engagé en 2022 ? (voir notre article sur ce discours présidentiel prononcé en Mayenne). "Et si chacun depuis des années appelle à la 'vraie décentralisation', c’est bien parce que celle-ci a été dévoyée", ajoute-t-il.

S'inspirer de ce qui marche déjà

Quid de la décentralisation version Lecornu ? Là encore, l'ancien élu de l'Eure a été moins précis qu'il ne l'avait été devant les présidents de département. Premier credo : partir des exemples qui marchent, "ne pas réinventer la roue". Et donc appliquer à "l'ensemble des politiques publiques à venir" la "bonne méthode", celle qui consiste à "partir du terrain" et à "décloisonner". Laquelle aurait déjà fait ses preuves avec, par exemple, France Services ou encore avec Action cœur de ville.

Au passage d'ailleurs, une "annonce" (plutôt une confirmation) concernant Action cœur de ville : le lancement d'"une deuxième vague", qui devra "s'appuyer davantage sur la redynamisation des commerces de centre-ville" face à "la mutation commerciale brutale". "Les ministres Fournier et Papin auront la charge d'imaginer ces dispositifs", a-t-il dit (le nom du ministre délégué Michel Fournier pouvant surprendre sachant que celui-ci est en principe en charge de la ruralité). Et tout comme il y a France Services, il y aura bientôt France Santé, ce futur réseau d'offre de soins de proximité au sujet duquel les ministres de la Santé et des Collectivités doivent prochainement rencontrer l'AMF (voir encadré à notre article de ce jour).

"Qu'est-ce qu'on attend de l'Etat ?"

Le Premier ministre a souhaité attirer l'attention des maires sur le fait que vouloir décentraliser implique certains questionnements de fond peut-être moins évidents qu'il n'y paraît. Notamment, "arriver enfin à trancher ce débat entre liberté et égalité": "Est-ce qu'on est vraiment prêts à accepter que les choses soient gérées différemment à Troyes, à Cannes ou à Vernon ? Tout le monde dit que oui. Mais dès qu'on se retrouve dans l'hémicycle de l'Assemblée ou du Sénat, on voit que plus personne n'est d'accord (…). Jusqu'à quel point est-on prêt à consentir à une différenciation ?"

Second questionnement : "Qu'est-ce qu'on attend de l'Etat ?" Sébastien Lecornu a déjà eu l'occasion de dire que selon lui en effet, sa réforme devra commencer par une redéfinition du périmètre et des missions de l'Etat. En tout cas sur "certaines politiques publiques". Une seule aura été abordée ce jeudi : le logement : "Les politiques publiques autour du logement doivent faire l'objet d'une grande clarification. PLU, PLUi, Scot, zonages fiscaux, rénovation thermique, instruction des autorisations d'urbanisme, logement social… On ne sait plus qui fait quoi."

Le calendrier souhaité a été rappelé : "Que ce projet de loi portant décentralisation, clarification, puisse être inscrit au Conseil des ministres avant Noël (…) afin d'entamer un début de cette réforme de l'État (…) pour le prochain mandat municipal". Car "on ne va pas expliquer aux nouveaux élus de mars prochain qu'on va encore prendre un an ou deux pour réfléchir alors qu'on sait tous globalement par quel bout il faut prendre cette affaire".

Au-delà des "petits hommes gris dans les ministères"...

Le chef du gouvernement est en outre revenu sur un autre éternel cheval de bataille de l'AMF, largement évoqué cette année encore par ses dirigeants : les fameuses normes. Là aussi en interrogeant les élus. "Pourquoi autant de normes ? Pas que parce qu'il y aurait des petits hommes gris dans les ministères qui auraient du plaisir à édicter des règles" mais bien plutôt parce qu'il y a "une demande sociétale très forte de protection" : "Une crise, une loi", tout comme dans les communes, "dès qu'il arrive quelque chose, on se précipite dans le bureau du maire pour demander un arrêté municipal, une délibération". Autres raisons évoquées : "la judiciarisation" du risque, la surtransposition des directives européennes, ainsi qu'"une forme de jacobinisme parisien"… qui tendrait d'ailleurs, a glissé Sébastien Lecornu, "à se transformer en jacobinisme régional depuis que les grandes régions existent".

Face à cela, il compte bien "élaguer la plupart des normes, en tout cas celles qui dépendent du pouvoir réglementaire". Y compris celles qui "sont pavées de bonnes intentions, notamment environnementales". Ce sera ainsi le cas du décret tertiaire, qui doit en principe s'imposer à l'ensemble des communes en 2027, "c'est-à-dire un an après le début du mandat municipal" : le gouvernement va consulter les élus et modifier les textes afin de repousser l'échéance à 2030.

Autre champ : la commande publique. Sébastien Lecornu compte prolonger la dérogation ayant permis de porter à 100.000 euros le seuil pour les marchés de travaux et "prendre un décret pour mettre à 60.000 euros le seuil pour les achats de fourniture".

La chasse aux (petites) normes est ouverte

Plus globalement, il prévoit de s'appuyer sur les rapports Ravignon et Woerth ainsi que les travaux du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) pour "prendre d'ici Noël un premier méga-décret" qui supprimera ou retouchera toute une série de dispositions réglementaires jugées "complètement surréalistes".

Il en cité pêle-mêle un petit paquet, d'inégales importances : "autoriser la réunion des commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) en visio conférence", "ne pas organiser les élections au comité des finances locales lorsqu'une seule liste est candidate", "autoriser la fusion de tous les registres de délibération des collectivités", "supprimer l'obligation de signature des formulaires Cerfa pour les autorisations du droit du sol", la "fin de l'obligation d'impression des documents d'urbanisme pour diffusion", "réduire les délais de la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) et autoriser sa réunion en visioconférence", "supprimer l'obligation de contrôle bimensuel des incinérateurs", "ne plus transmettre obligatoirement certains actes de ressources humaines mineurs des collectivités au contrôle de l'égalité", "considérer de facto que les établissements publics d'une commune, le CCAS entre autres, sont régis par la même strate démographique que leur commune de rattachement", "autoriser la réunion d'un conseil de discipline ailleurs qu'au centre de gestion", "fusionner tous les bilans annuels sociaux en un seul document à présenter à l'Assemblée délibérante", "assouplir les conditions de délégation entre les présidents d'un CCAS et le maire", "relever le seuil de déclenchement de la procédure de concours d'architectes", "supprimer certaines obligations de formation pour des agents les ayant déjà suivies dans leur poste antérieur"… et "supprimer l'obligation annuelle de vidange des piscines municipales" (voir sur ce point notre article de ce jour). On retrouve ici l'esprit du "Roquelaure de la simplification" orchestrée par l'ancien ministre François Rebsamen (voir notre article d'avril dernier). Voire celui du rapport Lambert-Boulard de 2013...

Un premier "méga-décret" contenant 30 mesures sera pris dès le mois de décembre et, après consultation des élus locaux, un autre texte d'élagage devrait concerner pas moins de 70 dispositions "entre janvier et février". Voilà pour le stock des normes.

En prime

Enfin - et cela aura sans doute été la seule annonce sonnante et trébuchante de l'allocution de Sébastien Lecornu -, celui-ci a abordé un sujet déjà pointé dans le courrier qu'il avait adressé à tous les maires de France dès sa nomination à Matignon à la mi-septembre (voir notre article). Il évoquait dans cette lettre, outre la décentralisation, l'idée d'un soutien financier lié au rôle des maires en tant qu'agents de l'Etat. Sans toutefois préciser la forme de ce soutien.

Cette précision est venue ce jeudi : "J'ai demandé aux ministres de travailler un principe de prime régalienne qui pourrait représenter 500 euros par an pour chaque maire, quelle que soit la taille de la commune, pour venir le reconnaître et sécuriser sa capacité à prendre un certain nombre d'actes comme agent de l'État".

 

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