Crise énergétique : discussions animées des Vingt-Sept en attendant la version 2 de la Commission

Les ministres de l’Énergie de l’Union européenne se sont réunis vendredi 9 septembre en conseil extraordinaire pour étudier les premières propositions de la Commission pour faire face aux prix de l’énergie. Si le consensus se fait jour sur certaines d’entre elles, les positions divergent parfois, notamment à l’égard de l’éventuel plafonnement du prix du gaz.

"Ce conseil a montré l’unité, la détermination et la solidarité des États membres européens sur les sujets de l’énergie." En sortant de la réunion, la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, s’est félicitée de la tournure prise par le conseil extraordinaire des ministres de l’Énergie de l’UE réuni ce 9 septembre afin d’étudier les premières propositions émises par la Commission européenne pour atténuer les prix de l’énergie (voir notre article du 7 septembre). Le ciel ne semble toutefois pas aussi dégagé qu’elle le laisse entendre. "Ce n’était pas une discussion facile. Ce n’est en rien la dernière", a convenu Jozef Síkela, ministre tchèque qui a convoqué et présidé ce conseil. Un conseil parfois tendu, comme lorsque le ministre hongrois, Peter Szijjarto, a rappelé les critiques jadis émises à l’encontre de son pays à l’égard du gazoduc TurkStream : "Si on ne l’avait pas, on se retrouverait en fort mauvaise posture", a-t-il grincé, défendant encore l’accord récemment conclu par la Hongrie avec Gazprom.

Des propositions encore floues, un mandat qui ne l’est pas moins

Il y a donc encore loin de la coupe aux lèvres. D’abord, les propositions de la Commission ne constituent à ce stade que de grandes orientations, encore vagues. "La Commission donne la direction, pas les moyens", indique le ministère de la Transition énergétique. Or le diable se cache dans les détails. "Nous restons en attente de mesures beaucoup plus spécifiques", réclame le ministre irlandais, Eamon Ryan. Bruxelles doit les affiner et en présenter certaines peut-être ce mardi, à moins qu’elles ne le soient par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ce mercredi, lors de son "discours sur l’état de l’Union". "Tout n’est pas encore calé", admet-on à la Commission.

Ensuite, la tâche de cette dernière est d’autant plus ardue que le mandat confié par les Vingt-Sept ne brille pas par sa clarté, quoi qu’en dise Jozef Síkel ("Aujourd'hui, nous sommes parvenus […] à confier à la Commission la tâche claire de présenter une proposition solide et concrète en quelques jours"). Les inconnues restent en effet multiples dans l’équation, comme le concède Kadri Simson, commissaire européen à l’énergie : "Rien n’est encore tranché".

Plafonner le prix du gaz : lequel, et comment ?

Ainsi, par exemple, du plafonnement du prix du gaz russe auquel la présidente de la Commission européenne est favorable. La question n’est pas sans susciter les inquiétudes, à tout le moins l’incompréhension chez certains, qui doutent de son effet positif sur les prix et redoutent son impact sur les volumes, n’y voyant même parfois qu’une autre forme de sanction contre la Russie. D’autres, dont la France, souhaiteraient qu’un tel plafond soit appliqué sur l’ensemble du gaz importé. "Si l’objectif est de lutter contre les manipulations russes [et non de faire baisser les prix ?], il serait logique de l’appliquer seulement au gaz russe", plaide Kadri Simson, en précisant là-encore qu’"à ce stade rien n’est exclu". À l’entendre, on devine toutefois que la Commission n’est guère séduite par la perspective d’un plafonnement général qui s’étendrait jusqu’au GNL (transporté par bateau, et non par gazoduc) compte tenu "du défi sur la sécurisation de l’approvisionnement" que la mesure pourrait constituer. "À ce stade, il est important de remplacer les volumes manquants", prévient-t-elle. "Cela nécessite de mieux s’approvisionner en GNL en commun", avertit le ministère de la Transition énergétique, qui se félicite que la Commission "ait repris la position française d’une plateforme d’achat commune". Cette dernière est soutenue par plusieurs États-membres, dont le Luxembourg et l’Autriche. "Il faut réfléchir plus avant aux impacts que le plafonnement pourrait générer. Merci de nous laisser un peu de temps afin de définir plus clairement comment et où ce plafond pourrait être mis en œuvre", explique toutefois Jozef Síkela. Une approche graduelle pourrait être retenue, ainsi décrite par le ministère français : "Commencer par les flux de gaz par tuyaux, en commençant par les fournisseurs hostiles."

Division sur des restrictions européennes de consommation et des taxes

De même, les éventuelles mesures pour une réduction coordonnée de la demande d'électricité dans l'UE ne semblent pas faire l’unanimité. Jozef Síkela se fait prudent : "L’approche est d’abord basée sur le volontariat. Ce n’est que dans un second temps que l’on pourrait envisager un niveau obligatoire, qui devra faire l’objet de discussions." "Les États membres sont plutôt réticents", avoue même Kadri Simson. "Nous n’avons pas besoin d’une réduction obligatoire de l’UE. Le droit national suffit", avertit pour sa part la ministre polonaise Anna Moskwa, également hostile à une taxe européenne – mesure fiscale qui nécessite l’unanimité – sur les "profits inattendus" des producteurs d’électricité à faible coût de production et les producteurs d’énergie d’origine fossile. Pour l’heure, la Commission ne précise d’ailleurs nullement comment elle entend opérer en la matière, évoquant seulement, pour les premiers, "un plafonnement des rentes à un niveau qui permette de préserver les investissements dans les énergies renouvelables" (le ministère français plaidant pour "des plafonds différents en fonction des technologies") et, pour les seconds, une "contribution de solidarité".

Consensus

D’autres propositions semblent davantage faire consensus, comme celles visant à résoudre le problème de manque de liquidités des fournisseurs d’énergie, qui les empêche de prendre position sur les marchés. "Les fournisseurs français sont peu concernés car ils sont plutôt importants", précise le ministère de la Transition énergétique, néanmoins favorable à cette proposition "qui éviterait la concentration du secteur". Un ministère qui se dit par ailleurs "très heureux de constater qu’ait été retenue la remise en cause de l’automaticité du relèvement du plafond de prix du marché spot de l’électricité", préconisée naguère par la Commission de régulation de l’énergie. Une décision qui revient à l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (Acer), qui plaide elle-aussi pour une telle révision.

Découplage souhaité des prix électricité / gaz

Plusieurs États membres ont émis le souhait d’aller plus loin, en demandant notamment le découplage des prix de l’électricité et du gaz. Au ministère français, qui rappelle que l’Hexagone est "très mobilisé sur cette question", on se réjouit que "ses positions portées avant la guerre en Ukraine fassent leur chemin". La "situation témoigne du fait […] que la régulation aujourd’hui de ce marché du prix de l’électricité ne fonctionne pas", déclare Agnès Pannier-Runacher. Côté Commission, on relève toutefois que cette réforme de fond ne saurait être traitée dans l’urgence, d’autant plus "qu’une réflexion à long terme, nécessitée par le futur mix énergétique de l’UE, a déjà été lancée, avec l’engagement d’un processus de consultation en décembre dernier".

Autre sujet que la Commission ne semble pas pressée d’aborder, la suspension du système d’échange de quotas d’émissions de l’UE, demandé notamment par la Pologne. "L’octroi de quotas supplémentaires pourrait faire partie de la solution", indique le ministre tchèque, avant que Kadri Simson ne botte en touche : "C’est une décision qui n’appartient pas aux ministres de l’énergie, mais de l’environnement." La question devait également être abordée lors du Conseil Ecofin qui se tenait cette fin de semaine à Prague.

Les débats promettent encore d’être nourris, mais l’urgence de la situation devrait permettre de les écourter. La République tchèque est prête à convoquer une autre réunion extraordinaire du conseil des ministres avant la fin du mois de septembre.