Dépenses publiques : le tour de vis concernera les collectivités

Les collectivités locales ont cru un temps pouvoir échapper à un plan d'économies sur les dépenses publiques. Bercy a finalement fait savoir le 21 juillet, en présentant à la presse le projet de pacte de stabilité, qu'elles auraient à faire elles aussi des efforts. Le ministère prévoit qu'elles devront baisser leurs dépenses de fonctionnement "en volume" de 0,5% par an. Les élus locaux se disent inquiets.

La nouvelle, qu'un certain nombre d'élus locaux redoutaient ces derniers jours est finalement tombée jeudi. Les collectivités locales vont bien participer à la limitation de l'évolution des dépenses publiques que le gouvernement compte engager dès l'an prochain pour parvenir en 2027 à un déficit public de 3%.

La maîtrise des dépenses publiques "nécessitera un effort de la part de l’État et des collectivités", a révélé Bercy le 21 juillet lors d'un "brief presse" consacré au prochain programme de stabilité. Ce document, que l'exécutif transmet chaque année à la Commission européenne - habituellement au printemps mais avec quelques mois de retard cette année pour cause d'élections - et qui trace les perspectives économiques et financières de la France jusqu'en 2027, va placer très précisément les curseurs. 

Les collectivités devront ainsi réduire leurs "dépenses de fonctionnement" de 0,5% "en volume". "En valeur, les dépenses augmenteront néanmoins sur le quinquennat", relativise le ministère de l'Économie et des Finances, ajoutant qu'"il n’y aura pas de baisse de 10 milliards d’euros". De son côté, l'État sera astreint à une réduction de ses "dépenses" de 0,4% "en volume". "Il nous semble qu'au regard des attentes de la population, ce sont l'État et les collectivités locales qui doivent contribuer" à l'effort de rétablissement des comptes publics, argue le ministère.

"Ce n'est pas l'austérité"

Une place à part sera en revanche réservée à la sphère sociale dont les dépenses augmenteront en volume de 0,6% en moyenne par an durant le quinquennat, du fait notamment des mesures du Ségur de la santé et du plan pour l'hôpital.

Au total, la dépense publique devra "augmenter en volume de 0,6% en moyenne par an sur la durée du quinquennat", soit un rythme deux fois plus faible que sur les dix dernières années (+ 1,2%).

"Nous faisons donc progresser notre dépense publique plus vite que l’inflation", explique Bercy, qui prévoit une décrue de celle-ci (5,1% en 2022, 3,3% en 2023, 1,9% en 2024, et par la suite 1,75% tous les ans). Toutefois, ajoute le ministère, la dépense publique augmentera "moins vite que notre croissance nationale [PIB en volume]". Après une hausse de 2,5% cette année, celui-ci devrait, selon les prévisions de Bercy, ralentir en 2023 (+ 1,4%), mais progresser légèrement ensuite, pour atteindre 1,8% en 2027.

"Il ne s’agit pas d’une politique d’austérité", plaide Bercy, qui se justifie : "L’austérité consisterait justement à baisser la dépense publique." Le ministère vante une "politique responsable d’un point de vue budgétaire, la seule qui vaille".

La trajectoire fixée doit permettre à la France de ramener le déficit public à 2,9% en 2027. La dette publique commencerait à baisser en 2026 (- 0,1 point) et se réduirait de manière plus forte l'année suivante (- 0,7 point). La dette publique représenterait alors 112,5% du PIB.

"Sur quel pied danser ?"

Le scénario que Bercy vient de mettre sur la table est on ne peut plus clair : le secteur public local devra participer à l'effort de redressement des comptes publics, exactement comme le préconisait la Cour des comptes dans de récents rapports (nos articles du 7 juillet et du 12 juillet). Pas plus tard que mardi dernier, des déclarations du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires avaient pourtant conduit certains élus locaux à penser que le secteur serait exonéré. Christophe Béchu avait répété que "le chiffre de 10 milliards d'euros" d'économies demandées aux collectivités locales, évoqué en mars par l'entourage d'Emmanuel Macron, "était caduc". Mais d'autres demeuraient très vigilants, ne voulant pas croire que leurs collectivités échapperaient à un coup de rabot. Parmi eux, d'ailleurs, certains avaient obtenu des confidences de la ministre déléguée en charge des Collectivités territoriales. Caroline Cayeux leur avait dit qu'"un bras de fer était engagé avec Bercy".

C'est la succession de déclarations apparemment contradictoires en provenance du gouvernement que Régions de France a d'emblée critiquée, ce 22 juillet, dans un communiqué. "Les collectivités ne savent plus sur quel pied danser", a dénoncé l'association présidée par Carole Delga. "Bien qu’elle ne tiendrait probablement pas compte de l’inflation", la baisse de 0,5% "par an" des dépenses de fonctionnement des collectivités à partir de 2023 "reviendrait à un effort encore plus important que celui qui avait été demandé au travers des contrats dits de Cahors qui visait à encadrer la hausse des dépenses des collectivités et non pas la diminuer", souligne-t-elle. Pour rappel, la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 prévoyait un objectif de limitation à + 1,2% par an, "en valeur et à périmètre constant", des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs groupements à fiscalité propre.

"Besoin de stabilité"

La baisse des dépenses de fonctionnement des collectivités, qui n'est "pas justifiée", aurait un "effet mortifère pour nos territoires", les collectivités représentant "près de 70%" de l’investissement public, s'inquiète Régions de France. Qui réclame "un cadre financier stable", propice à la "participation effective" des régions "aux efforts de modernisation de notre pays".

Les annonces de Bercy ont de même provoqué chez les maires de petites villes du "trouble", de l'"inquiétude" et des "interrogations", fait savoir de son côté l'association qui les fédère (APVF). Celle-ci fait également part, dans un communiqué, de "son profond étonnement". "Contrairement aux engagements des ministres du 'pôle collectivités', c’est un nouvel effort particulièrement important que demande Bercy aux collectivités territoriales", écrit l'association présidée par le maire de Barentin, Christophe Bouillon. Qui déclare "s’étonne[r] de ce manque de cohérence au moment où les collectivités territoriales n’ont jamais eu autant besoin de stabilité et de visibilité et qu’elles doivent faire face aux conséquences de la flambée des prix de l’énergie, de l’inflation et de la revalorisation du point d’indice sur les budgets locaux".

Vendredi en fin de journée, c'était au tour de l'Association des maires de France de faire part de son "incompréhension" face à une annonce "en contradiction avec les propos tenus cette semaine par les ministres en charge des collectivités" et faite sans concertation en amont. Selon l'AMF, "le montant du prélèvement de 0,5% sur les dépenses de fonctionnement des collectivités annoncé est bien supérieur à la ponction initialement envisagée de 10 milliards d’euros". Et David Lisnard, le président de l'AMF, de rappeler que "les budgets de fonctionnement des collectivités ne sont pas un problème pour les comptes publics, puisqu’ils sont obligatoirement à l’équilibre". "Les communes attendent à l’inverse une revalorisation de leurs recettes, et notamment l’indexation de la DGF sur l’inflation", poursuit l'association, qui compte saisir le Parlement "pour que la discussion sur le projet de loi de programmation préserve la capacité de fonctionnement et d’investissement des collectivités".

Cette pluie de réactions - le président de Départements de France s'est également exprimé vendredi - n'est pas resté sans réponse de la part, non plus de Bruno Le Maire mais de Christophe Béchu qui, dans un communiqué diffusé samedi, a voulu confirmer que ses propos "tenus lors de la réunion avec les associations d’élus le mardi 19 juillet" restaient d'actualité. "Il n’y aura pas de baisse des dotations des collectivités (...). Il n’y aura pas non plus de retour des contrats de Cahors", redit-il. Et le ministre de revenir sur le distinguo entre baisse "en volume" et "en valeur" : "Le pacte de stabilité prévoit bien au contraire une progression des dépenses des collectivités de 24 milliards d’euros sur cette même période. Ce qui est attendu, c’est seulement une modération des dépenses de fonctionnement pour qu’elles augmentent en moyenne annuelle de 0,5% de moins que leur tendance naturelle."

Le gouvernement présentera le 2 août à l'Assemblée nationale le projet de programme de stabilité. La déclaration sera suivie d'un débat.