Électricité : comment pourraient être mis en oeuvre les délestages envisagés par le gouvernement ?

Le gouvernement a annoncé ce 1er décembre l'envoi d'une circulaire de la Première ministre aux préfets pour anticiper et préparer leurs départements à d'éventuelles coupures programmées de l'électricité cet hiver en cas de surcharge du réseau s'il fait très froid. Ces délestages pourraient toucher 60% de la population mais aucun site critique ou client prioritaire.

Lors du conseil des ministres qui s'est tenu ce 29 novembre, Élisabeth Borne a présenté une communication relative à la préparation aux risques de difficultés d'approvisionnement électrique hivernaux (voir notre article). La France est en effet exposée à des possibilités de délestages, en particulier en raison d'un niveau de production d'électricité nucléaire au plus bas - la moitié du parc de réacteurs est indisponible en raison de maintenances programmées mais parfois prolongées, ou de problèmes de corrosion.

Ce 1er décembre, Matignon a indiqué l'envoi d'une circulaire de la Première ministre aux préfets pour anticiper et préparer leurs départements à d'éventuelles coupures programmées de l'électricité. Ce texte, qui concerne le territoire métropolitain sauf la Corse, reliée à l'Italie et qui dispose de sa propre production électrique, sert à "finaliser la préparation du pays", souligne une source gouvernementale, même si des délestages tournants, d'un maximum de deux heures, restent à ce stade une hypothèse, notamment en janvier si l'approvisionnement en électricité vient à poser problème. "On ne couperait que si le froid se confirme, qu'on a un problème de production ou d'interconnexion (avec les pays voisins) et si la consommation ne baisse pas", précise la même source.

Comment les usagers seront informés ?

En cas de fortes tensions, RTE, le gestionnaire des lignes à haute et très haute tension, enverra trois jours à l'avance un signal EcoWatt rouge. Si la consommation diminue et que les pays voisins peuvent livrer de l'électricité, la coupure sera évitée. Si cela ne suffit pas, le délestage sera confirmé la veille pour le lendemain comme "dernier recours". Des coupures électriques seraient "inévitables si la consommation d'électricité ne diminue pas" aux pics de la journée (entre 8h et 13h et entre 18h et 20h), prévient RTE, qui prévoit le mois de janvier comme le plus à risque. Le risque est "de quelques jours d'EcoWatt rouges sur l'ensemble de l'hiver", a prévenu jeudi Xavier Piechaczyk, le président du directoire de RTE sur Franceinfo, même si cela dépend "essentiellement" de la météo. Avant d'en arriver au délestage, RTE compte sur les efforts de sobriété aux pics de consommation, grâce à l'outil EcoWatt, conçu comme une "météo de l'électricité". Si cela ne suffit pas, le gestionnaire pourrait aussi couper le courant à la dizaine d'acteurs les plus énergivores, dont de gros industriels, qui sont rémunérés en échange de ce mécanisme dit d'"interruptibilité". RTE pourrait également demander une baisse de tension de 5% sur le réseau de distribution, sans conséquence pour l'usager si ce n'est une ampoule moins vive.

Les coupures ciblées dureront deux heures consécutives maximum dans des portions de départements. Le but : éviter le "black-out", une panne généralisée aux conséquences bien plus lourdes. Le site internet "Coupures temporaires" d'Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution, également accessible depuis le site monecowatt.fr publiera la veille vers 17h00 la liste des départements qui seront touchés et proposera une fonction pour savoir plus précisément quelle adresse est concernée.

Selon une autre source proche du dossier, il est demandé aux préfets de présenter des schémas de délestage permettant de réduire à 38% la consommation dans les zones concernées. La cellule interministérielle de crise travaille sur l'hypothèse que six à dix délestages seront nécessaires sur la période, et des délestages de deux heures touchant six millions de personnes en même temps. La cellule interministérielle de crise travaille aussi sur un scénario de blackout mais sans y croire.

"40% de la population" jamais délestée car dépendant de lignes prioritaires

Dans la pratique, une partie de la population ne sera jamais délestée car prioritaire, ou raccordée par chance à une ligne prioritaire, desservant un hôpital, un site critique ou sensible pour la défense nationale (en tout environ 14.000 sites prioritaires, selon des listes établies par les préfets). Cela concerne "40% des gens", selon le gouvernement, qui ajoute que les délestages ressembleront aux taches d'une "peau de léopard".  Dans la capitale, "seule 20% de la consommation d'électricité peut être coupée" en raison notamment de la concentration de sites prioritaires, explique le gouvernement qui a mis en ligne une "foire aux questions". Les coupures "ne devraient pas concerner plus de 4 millions de clients simultanément", selon la circulaire consultée par Localtis.    

Il n'y aura donc aucun département délesté en entier, mais seulement des parties minoritaires du territoire, jamais deux fois les mêmes personnes et aucun des quelque 3.800 patients à haut risque dépendant d'un équipement médical à domicile branché sur le secteur. Ces personnes, qui sont recensées par les agences régionales de santé, bénéficieront d'un dispositif d'information particulier, dès le signal EcoWatt rouge. Les préfets, en liaison avec les maires, devront s'assurer qu'elles auront une alimentation électrique autonome suffisante pour surmonter une coupure de plus de 2 heures. Selon les situations, une évacuation préventive pourra être décidée.

Dans tous les cas, les coupures auraient lieu aux moments des pics de consommation, entre 8h et 13h le matin et entre 18h et 20h le soir. Avec comme inconvénient pour les écoles susceptibles d'être délestées qu'elles n'ouvrent pas le matin pour éviter d'être sans lumière, ni chauffage ni alarme (lire notre encadré). Et pour les voyageurs, le risque est que certains trains ou métros soient annulés pour éviter d'avoir des passagers bloqués en pleine voie : "Soit ça roule de bout en bout, soit on préférera interrompre deux heures, car être coincé dans le métro deux heures n'est pas une option", souligne-t-on au gouvernement. L'éclairage public pouvant s'éteindre, il sera demandé aux Français de limiter au maximum leurs déplacements en voiture en cas de coupure le soir.

Des zones blanches pour internet et les numéros d’urgence

"Une des conséquences les plus significatives de l’interruption de la distribution électrique est qu’elle entraînera des interruptions de communications électroniques (téléphonie mobile et fixe). Dans ces périmètres, les usagers ne pourront pas joindre les services de secours (numéros d’appels d’urgence 15, 17, 18, 115, 196)". La circulaire confirme ainsi les sombres prévisions de la directrice générale d’Orange ce 30 novembre devant les sénateurs (voir notre article). Seul le 112, numéro que tous les opérateurs ont l’obligation d’acheminer, "devrait être moins impacté par les perturbations". Autre possibilité : l’existence chez l’usager d’une ligne cuivre RTC (prise en T) qui fonctionne sans électricité à la différence de la fibre. Et si les coupures de délestage sont prévues pour durer deux heures, la circulaire n'écarte pas le risque d’une reprise électrique "perturbée".

Les services de secours et centres d’appels d’urgence, exclus des délestages ou utilisant des technologies radio propres, resteront, pour leur part, pleinement opérationnels. Mais, face à des usagers privés de moyens de les joindre, ces sites devront "être en capacité de réceptionner physiquement une demande de secours".

Les zones concernées par une coupure de réseau télécom et où les secours ne pourront être appelés seront connues des préfets via une "couche de données particulières" visualisable sur la plateforme SIG Synapse. Dans ces zones blanches, les préfets sont invités à déployer des alternatives radio du type satellite.

La circulaire vient parachever un travail préparatoire déjà effectué par les préfectures pour mettre à l'abri des coupures les sites critiques : casernes de pompiers, gendarmeries, hôpitaux, etc. Quelques sites industriels ont également été placés sur les listes de clients prioritaires, de même que les installations classées disposant de groupes électrogènes qui ont désormais un mois pour en tester leur fonctionnement.

 
  • "Pas d'école le matin" en cas de délestage, confirme Pap Ndiaye

Il "n'y aura pas d'école le matin" dans les zones qui subiront des coupures de courant programmées et ciblées cet hiver, a confirmé ce 1er décembre le ministre de l'Éducation, Pap Ndiaye. Des annonces qui inquiètent les syndicats enseignants. "Les délestages programmés vont en effet toucher les écoles et les établissements scolaires, selon trois créneaux : 8h-10h, 10h-12h et puis 18h-20h le soir. Les deux premiers créneaux sont les créneaux scolaires qui sont les plus critiques", a indiqué Pap Ndiaye à la presse, lors d'un déplacement au salon Educatech Expo à Paris. "Ces deux créneaux du matin, s'ils sont dans une zone qui subit un délestage, auront pour conséquence que la rentrée des élèves le jour concerné se fera en début d'après-midi, avec sans doute un repas qui sera néanmoins prévu pour les élèves qui sont à la cantine. Donc il n'y aura pas d'école le matin", a-t-il ajouté. Pap Ndiaye a souligné que ce serait également "une question importante pour ce qui concerne la restauration et le périscolaire dans le créneau 18h-20h". "Des fiches seront envoyées également dans les écoles, pour être prêts", a-t-il détaillé. Par ailleurs, "des écoles situées à proximité de structures qui ne subiront pas les délestages" pourront "accueillir les enfants de personnels prioritaires, selon un schéma qui a d'ailleurs été expérimenté pendant la crise sanitaire". "Il n'y a pas encore de carte de ces délestages, ni bien entendu, y compris pour des raisons de sécurité, des structures prioritaires. Nous allons travailler à tout cela", a-t-il encore indiqué.

Les syndicats enseignants ont fait part de leurs inquiétudes et de leur surprise face à ces annonces. "On a l'impression de revivre l'improvisation et les bricolages qu'on avait connus avec la gestion du Covid. Les informations arrivent sans avoir été travaillées et soulèvent plein de questions", comme "les modalités d'information aux familles", a réagi Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa."On revit exactement la même chose que sous le Covid", a renchéri Sophie Vénétitay du Snes-FSU, premier syndicat du second degré. "On ressent un mélange de surprise et de colère". Le Snalc a exprimé "sa forte inquiétude".
Avec AFP