Élevage : la région Auvergne-Rhône-Alpes garde la tête haute
Dermatose nodulaire contagieuse, Mercosur, avenir de la PAC, transitions, instabilité politique… le Sommet de l'élevage de Cournon-d'Auvergne ferme ses portes ce 10 octobre 2025 dans un climat d'incertitude. Mais la région Aura, qui a fait de l'agriculture une de ses priorités, garde l'optimisme. "Le national inquiète beaucoup, mais au niveau local, on avance", assure-t-elle.

© Léo Jean Salah Mezhoud/ Sommet de l’élevage à Cournon d’Auvergne
Instabilité politique et dermatose nodulaire contagieuse (DNC) oblige, le sommet mondial de l'élevage de Cournon-d'Auvergne (Puy-de-Dôme) se tient jusqu'au 10 octobre, sans vaches et sans ministres. Si l'ambiance de ce rendez-vous annuel se veut festive, la filière, objet de nombreuses attaques, est en proie aux doutes. "Le marché de la viande bovine fait face à une décapitalisation qui se poursuit, touchant à la fois les cheptels allaitants et laitiers, indique Interbev (Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes), précisant qu'il y a eu 1,1 million de vaches en moins en huit ans (juillet 2017 à juillet 2025). Pour autant, "la consommation de viande par bilan reste globalement stable, avec un repli limité de -1,4% en 2024 par rapport à 2023, traduisant une relative stabilité de la consommation". "Pour le moment, malgré les contraintes, on est dans une phase où les vents sont assez favorables, se rassure Clément Allain, chef de projet Élevage de précision à l'Institut de l'élevage (Idele), les prix sont élevés et cela donne une certaine sérénité sur le plan économique".
Les cours remontent
La région Auvergne-Rhône-Alpes veut croire en cette vision optimiste malgré les défis auxquels la filière doit faire face. "Les cours, prix du lait et de la viande porcine notamment, remontent, même si cela reste fragile, affirme Olivier Amrane, vice-président de la région délégué à l'agriculture. La dermatose nodulaire contagieuse a mis un grand coup derrière les oreilles de tout le monde, mais cela a aussi montré qu'en peu de temps, on peut faire de grandes choses." "La mobilisation a été forte, que ce soit du côté des services vétérinaires comme des services de l'État, qui ont fait un beau travail, avec 80% du cheptel vaccinés en deux mois", se félicite l'élu. "Le national inquiète beaucoup, mais au niveau local, on avance ! Les agriculteurs ont cette force : ils sont très terre à terre, ils ont du bon sens", insiste Olivier Amrane, reconnaissant toutefois que les territoires ruraux ont besoin d'un État fort. "Et aujourd'hui on ne l'a pas."
Inquiétudes autour de la PAC
La région - qui compte 50.000 exploitations, dont 25.000 en élevage - a fait de l'agriculture une de ses priorités. Elle lui consacre près de 130 millions d'euros, contre 38 millions il y a sept ans. Un budget auquel s'ajoute 100 millions d'euros de fonds européens. "Cela reste très fragile, mais quand on met le paquet, on y arrive, assure le vice-président. Nous n'avons pas renvoyé un euro à l'Europe et nous avons même, en tant que région, réinjecté 15 millions d'euros pour être sûr d'aller jusqu'au bout de la programmation 2023-2027 de la politique agricole commune (PAC)."
L'avenir de la PAC post-2027 fait des grandes inquiétudes des agriculteurs et des collectivités (voir notre article du 30 septembre). Pour la région Aura, les risques concernent notamment la baisse des crédits européens (de 387 milliards d'euros entre 2023 et 2027 à 300 milliards entre 2028 et 2034) et la mise en place d'un fonds unique. L'Union européenne envisage de fusionner le budget de l'agriculture avec d'autres fonds, notamment ceux de la politique de cohésion (voir notre article du 17 juillet). Autre sujet de préoccupation pour la région : la renationalisation de la PAC, qui empêcherait les collectivités d'être suffisamment réactives pour répondre aux demandes des agriculteurs et agir en fonction des spécificités de leur territoire. "Nous avons créé un service spécifique de 130 personnes qui traitent les dossiers tous les jours, nous nous battons pour le garder", argue l'élu régional.
"Ras-le-bol"
Autre chiffon rouge : l'accord UE-Mercosur en voie d'adoption. Malgré les mesures de sauvegarde mises sur la table par la Commission pour se rallier les voix des États récalcitrants dont la France (voir notre article du 8 octobre 2025), agriculteurs et associations environnementales restent très mobilisés.
"La production baisse plus vite que la consommation, exposant la filière à une hausse des importations en provenance des pays tiers, souvent issus de modèles moins durables, dont la réglementation est moins-disante et les modes de production sont totalement opposés aux nôtres (en termes de traçabilité, d'environnement ou de bien-être animal)", alerte Interbev. Des banderoles accrochées un peu partout sur les stands du sommet affichaient un "Non au Mercosur".
Après le mouvement de colère agricole de 2024 et la récente journée de mobilisation du 26 septembre, la tension reste palpable. "Je crois que le ras-le bol qu'expriment les agriculteurs sur l'incapacité à savoir où on va, beaucoup de Français l'expriment", a déclaré Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, lors d'une conférence de presse, mercredi, regrettant de ne plus avoir d'interlocuteur au gouvernement, ni de visibilité sur le budget.
Réunir un "Parlement du sanitaire"
Le secrétaire général Christian Convers a lui aussi demandé de "la stabilité gouvernementale" et la réunion rapide d'un "Parlement du sanitaire" au ministère pour réunir tous les acteurs de l'élevage afin de réfléchir de nouveau au protocole d'abattage total des foyers contaminés par la dermatose nodulaire contagieuse et à la vaccination.
La filière doit aussi faire face à un enjeu majeur : le stockage de l'eau, avec des épisodes se secheresse qui se multiplient. "Il faut qu'on puisse stocker l'eau qui tombe l'hiver, car s'il n'y a plus d'eau, il n'y a plus d'agriculteurs", insiste le vice-président de la région Aura, qui souhaiterait que les préjugés autour des agriculteurs qui ne respecteraient pas l'environnement cessent.
Les syndicats demandent la publication des décrets de la loi visant à lever les contraintes au métier d'agriculteur, dite "loi Duplomb", promulguée cet été (voir notre article du 2 septembre). "Est-ce que, établir des décrets, ce n'est pas une affaire courante [pour un ministre démissionnaire, ndlr] quand les textes ont été votés ?", s'est interrogé au sommet le sénateur LR Laurent Duplomb, cité par l'AFP. Certain de ces décrets relatifs aux bâtiments d'élevage ont été mis en consultation (voir notre article du 15 septembre).
L'installation des jeunes agriculteurs
La filière est aussi confrontée à un défi démographique : près d’un éleveur sur deux prendra sa retraite d’ici 2030. "Cela marche bien de ce côté, les jeunes sont motivés", assure Olivier Amrane, dont la région tente de mettre en relation les cédants et les porteurs de projets dont de nombreux "hors cadre familial". Un travail produit avec la chambre d'agriculture régionale qui, bientôt, pilotera le futur guichet France services agriculture, prévu par la loi loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture du 24 mars 2025, dont le financement reste toutefois soumis au futur budget 2026 (voir notre article du 25 mars). Près de 3.000 porteurs de projet sont accueillis chaque année dans la région. Dans le Massif central, un programme de formation aux métiers de l'élevage baptisé Actife a été mis en place. "Nous cherchons à former plus de personnes au métier de l'élevage, explique Alexis Bruhat, chef de projet Actife. La filière recrute, il y a des offres qui sont non pourvues et des difficultés de recrutement ; il faut former pour installer de nouveaux agriculteurs, limiter la tendance de décapitalisation observée ces dernières années, et assurer la souveraineté économique". À cet égard, un nouveau diplôme agricole de premier cycle (niveau bac + 3, grade licence), le "Bachelor Agro", a été créé par la loi d'orientation du 24 mars 2025. Il fait le pont entre le BTSA et les formations longues d'ingénieur agronome, incarnant une réponse à un besoin d'évolution du niveau de compétences. Des formations sur les nouveaux outils technologique (robotique, drones, capteurs, etc.) sont également en cours d'élaboration pour aider les exploitants à s'acculturer.
Restauration collective
Dans ce climat d'incertitudes, l'interprofession en appelle à la restauration hors domicile (RHD) qui représente selon elle une véritable opportunité pour valoriser la viande française. "Ce débouché progresse, explique Interbev. La part de la viande de bœuf vendue en RHD est passée de 20% en 2017 à 24% en 2022, pourtant le secteur demeure fortement perméable aux importations, avec 55% de la viande bovine servie hors du domicile qui est importée, autant que pour la viande de veau." Le taux de viande de bœuf importée en restauration collective atteint 27%, en amélioration depuis 2018 grâce aux lois Egalim et Climat et Résilience qui imposent depuis 2024 un taux de 60% de viandes durables et de qualité en restauration collective, et 100% pour la restauration collective de l'État.
› L'élevage à l'heure des innovations technologiques"Un quart des éleveurs de vaches laitières sont équipés en robot de traite et près de 90% ont au moins un objet connecté", indique Clément Allain, chef de projet Élevage de précision à l'Institut de l'élevage (Idele), qui a réalisé une enquête sur le sujet en 2024. La taille des exploitations augmentant, il y a de plus en plus d'animaux à suivre et les outils connectés permettent aux agriculteurs de gagner en temps, en confort et en argent. Certains de ces outils sont de plus en plus utilisés dans les fermes, comme ceux dédiés à la traite (robot repousse-fourrage, de nettoyage de lisier) et l'alimentation, les stations météo pour obtenir des informations très fines à l'échelle de l'exploitation (pluviométrie notamment) et connaître l'ampleur du stress thermique que subissent les animaux, et enfin les drones. Idele codéveloppe des solutions innovantes de ce type pour les éleveurs, comme des projets d'imagerie, de capteurs pour savoir quand les bêtes vont mettre bas par exemple ou repérer des problèmes de santé. "Nous travaillons avec les chambres d'agriculture à mettre en place des fermes expérimentales et de démonstration", détaille Clément Allain. L'intelligence artificielle générative promet aussi des innovations utiles, en matière de prédiction (des troubles de santé à partir d'images par exemple). "L'IA générative n'est pas encore très présente dans les exploitations mais cela va vite arriver", assure-t-il. |