Éolien terrestre et maritime : la France toujours en retard sur ses ambitions, souligne la Cour des comptes

La France accuse du retard sur les "objectifs ambitieux" qu'elle s'est fixée pour l'éolien, pointe la Cour des comptes dans un rapport publié ce 17 octobre. Obstacles réglementaires, planification spatiale restant à concrétiser, concurrence insuffisante pour les appels d'offres d'éolien terrestre, soutiens à adapter… : la juridiction passe en revue les causes des difficultés rencontrées par le secteur et livre plusieurs recommandations pour y remédier.

"Des objectifs ambitieux mais un niveau de réalisation inférieur aux engagements sur les ENR [énergies renouvelables]" : c'est par ce constat que s'ouvre le rapport publié ce 17 octobre par la Cour des comptes sur les soutiens à l'éolien terrestre et maritime. La juridiction a analysé les "conditions de mise en oeuvre" et les "résultats" de cette politique publique depuis 2017, en prenant en compte "certaines réponses" apportées par la loi d'accélération des énergies renouvelables (AER) promulguée en mars dernier, qui "cherche à remédier" aux obstacles qui entravent le développement de l'éolien et qui "fait de la simplification des procédures une priorité".

Fin 2022, les capacités éoliennes développées en France représentaient 20,9 GW, soit seulement 80% de l'objectif visé pour 2023 dans la dernière programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), et 8,3 % de la production électrique nationale commence par rappeler la Cour. "Seul pays européen à ne pas avoir atteint les objectifs de la directive de 2018, la France doit acheter des 'droits statistiques' pour des sommes importantes et encourt en outre des sanctions financières", préviennent les magistrats de la rue Cambon.

Un potentiel limité à 20% du territoire

Selon eux, l'essor de l'éolien est d'abord entravé par des "obstacles réglementaires" qui "limitent le foncier disponible" à seulement "20% du territoire". De plus, le délai moyen pour obtenir une autorisation de construction pour les parcs, purgée des recours, est de sept ans pour l'éolien terrestre et de dix ans pour l'éolien en mer, "soit parfois près du double des pays voisins". La procédure d’autorisation se caractérise de surcroît par une fréquence élevée de recours. "Leurs délais de traitement ont été réduits de deux ans par les mesures de régulation prises ces dernières années", notent toutefois les magistrats mais selon eux, "cette procédure donne trop peu d’importance à la phase précédant le dépôt des dossiers de demande d’autorisation" alors que "les questions complexes de l’insertion paysagère des parcs et de leur impact sur la biodiversité mériteraient un investissement plus conséquent des services instructeurs durant cette phase". Pour la Cour, les administrations centrales doivent "poursuivre leurs efforts pour rendre la plus objective possible l’instruction sur les questions paysagères et pour clarifier les conditions de recours aux dérogations des espèces protégées".

"La mise en place en 2017 d’une autorisation environnementale qui embarque une douzaine d’autres autorisations réglementaires, facilite les démarches mais n’a pas d’impact sur les délais, alors qu’elle était supposée les réduire à neuf mois : l’obtention de cette autorisation demande encore 22 mois en moyenne pour l’éolien terrestre", regrettent encore les magistrats. Selon eux, il en résulte un stock de dossiers en instruction ou en attente de décision représentant près de la moitié des capacités éoliennes installées. "Outre l’accompagnement des porteurs de projet en phase amont, la suppression du caractère suspensif des demandes complémentaires lors de l’instruction sont de nature à réduire les délais", estiment-ils.

"Lacunes" de la planification

La Cour juge aussi que le système français de planification de l’espace pour l’éolien terrestre et maritime souffre de "lacunes préjudiciables". "Les différents dispositifs (zones de développement de l’éolien et schémas régionaux de l’éolien) mis en œuvre par l’État et les collectivités locales ont échoué à cartographier les zones propices à l’éolien terrestre, pointe-t-elle. De ce fait, la responsabilité de choisir l’implantation des parcs a été laissée à l’initiative des développeurs privés."

C’est désormais dans le cadre des schémas d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) que doit s’élaborer la planification régionale de l’éolien, "mais ils ne contiennent aucune identification géographique des parcs éoliens à implanter", note-t-elle. "L’État a tenté de reprendre la main en confiant aux préfets de région le soin d’élaborer des cartes, poursuit-elle, mais "construites en additionnant les contraintes, ce qui revient à placer au dernier rang l’objectif de production", ces cartes "aboutissent à des espaces très restreints, voire inexistants dans certaines régions". La loi AER instaure bien des "zones d’accélération" mais leur délai d’élaboration n’en garantit pas la cohérence avec les objectifs de la PPE, constate le rapport.

Pour l’éolien maritime, implanté sur le domaine public où il appartient à l’État de choisir les lieux d’implantation, la planification est jugée "mieux maîtrisée", mais "sa déclinaison prend un temps excessif, ce qui empêche de lancer les appels d’offres à un rythme compatible avec les objectifs de la politique énergétique". Les espaces destinés à l’éolien maritime sont décrits dans des documents stratégiques de façade qui ne définissent pas des zones claires et précises, relève ainsi le rapport. La loi AER prévoit une planification spatiale à court, moyen et long terme dans les documents stratégiques de façade mais pour la Cour, "la procédure peu agile qui fait intervenir les administrations centrales de façon séquentielle compromet les chances de réaliser 50 parcs en 2050".

Compensation des "externalités négatives" de l'éolien en mer

À l'instar de leurs homologues de la Cour des comptes européenne, les magistrats de la rue Cambon jugent aussi que "la question de la compensation des externalités négatives ne peut être éludée, en particulier pour l’éolien maritime au regard des zones de pêche". "Elle implique de veiller aux retombées fiscales et économiques sur les territoires, soulignent-ils. Les premières comprennent les impôts locaux, dont plusieurs sont en cours de suppression ainsi que l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer), dont le produit pour l’éolien a été de 109 millions d'euros en 2019. Pour les secondes, un chapitre de la loi AER vise à les accroître, par la participation des collectivités territoriales au capital des parcs et par des fonds locaux, dont il importe de définir avec rigueur les critères d’attribution".

La définition et le pilotage des soutiens à l’éolien ont une dimension interministérielle, particulièrement pour l’éolien en mer, souligne le rapport qui juge "l’organisation actuelle de quelques services de l’État en ' mode projet'" "en décalage" avec l'ambition de créer 50 parcs". "L’État doit structurer une organisation à la hauteur des enjeux et être en mesure de réunir les multiples compétences nécessaires, de capitaliser l’expérience, de prendre en compte la dimension internationale, d’associer les collectivités territoriales et de contrôler l’ensemble du dispositif", recommandent les magistrats.

Concurrence limitée pour l'éolien terrestre

Ils estiment en outre que les appels d’offres pour l’éolien terrestre "ne bénéficient pas toujours d’une concurrence suffisante". De 2017 à 2022, le système du "guichet ouvert", accessible à toute installation éligible, est longtemps resté le modèle dominant. En drainant la majorité des capacités, il a limité le nombre de candidats aux appels d’offres. "En outre, du fait de l’absence de suivi des projets en cours d’autorisation, le rythme des appels d’offres n’est pas optimisé et, dans certains cas, les volumes présentés par les candidats ont été inférieurs aux volumes appelés, constate le rapport. Ce manque d’attractivité des appels d’offres a contribué, avec le rythme trop lent de délivrance des autorisations environnementales, à freiner la progression de la production éolienne, l’empêchant d’atteindre les objectifs fixés par la PPE." La limitation du champ du guichet aux très petites structures et aux projets citoyens, intervenue en avril 2022, permet enfin la généralisation des procédures d’appels d’offres nécessaire à l’accélération du développement de la filière terrestre, reconnaît toutefois la Cour. Quant à l’éolien en mer, "le développement de la filière repose surtout sur une accélération des procédures d’appels d’offres parallèlement à une planification plus efficace", note-t-elle.

Dispositifs de soutien : conditions de mises en oeuvre "à améliorer"

Pour l'État, les différents mécanismes de soutien à la production ont représenté 5,8 milliards d'euros de charges cumulées entre 2017 et 2020 mais la situation s’est inversée à partir de 2021 avec la hausse des prix de l’électricité. La mise en œuvre des mécanismes de soutien par complément de rémunération génère désormais des recettes pour l’État (22,5 milliards en cumulé sur 2022 et 2023 selon les dernières prévisions de la Commission de régulation de l'énergie) et permet de limiter les situations de sur-rémunération liées à la hausse des prix de l’électricité, fait valoir la Cour. Toutefois, les "conditions de mise en œuvre de ces dispositifs de soutien restent à améliorer", estime-t-elle. "D’une part, l’emploi des subventions à l’éolien et l’économie des parcs doivent, en suivant l’exemple des autres régimes d’aides publiques, être mieux connus et contrôlés, tant pour bien gérer les dispositifs que pour en assurer la transparence et pour prévenir les rentabilités excessives, recommande-t-elle. D’autre part, les tarifs fixes se révèlent inadaptés à des conditions économiques changeantes, ce qu’illustrent ceux des parcs éoliens en mer attribués en 2011 et 2013. La forte limitation de l’accès au guichet ouvert intervenue à la fin de 2022 au profit de l’appel d’offres devenant le dispositif de droit commun, était à cet égard indispensable." Enfin et surtout, conclut-elle, "dans un contexte économique incertain, ces investissements à long terme doivent être régis par des clauses contractuelles de partage de la rentabilité".

 

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