European Mobility Expo : les transports publics à un nouveau tournant

À peine remis de la crise sanitaire et encore sans ministre, le secteur des transports publics réuni du 7 au 9 juin à Paris au salon European Mobility Expo attend de l'État qu'il soutienne massivement les collectivités dans leurs efforts d'investissement. Des crédits jugés nécessaires pour provoquer un "choc d'offre" permettant de répondre au défi de la transition écologique et aux besoins des voyageurs.

Une fois n'est pas coutume, aucun membre du gouvernement n'était présent cette année à European Mobility Expo (EuMo Expo), le grand rendez-vous des acteurs de la mobilité durable coorganisé du 7 au 9 juin à Paris par le GIE Objectif transport public, le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) et l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP). L'ancien Premier ministre Jean Castex, grand amateur de transports, a bien fait une apparition pour une "déambulation" dans les allées du salon ce 8 juin mais sans faire de déclaration. Période de réserve avant les législatives oblige et en l'absence de ministre délégué aux transports dans le nouveau gouvernement, les professionnels et les représentants des autorités organisatrices de la mobilité n'ont pas pu échanger avec les représentants de l'État. "Un regret" selon Louis Nègre, président du Gart, qui voit toutefois dans la nomination d'Élisabeth Borne à Matignon une "bonne nouvelle". "En tant que ministre des transports, elle était à l'écoute. Elle était venue nous voir au Gart, ce qui n'avait jamais été fait auparavant", se remémore le maire de Cagnes-sur-Mer et vice-président de la métropole Nice Côte d'Azur. "On regrette qu'il n'y ait pas de ministre des Transports, on considère que c'est provisoire", dit sobrement Marie-Ange Debon, PDG de l'opérateur Keolis (groupe SNCF) et présidente de l'UTP qui estime déjà que le nouveau secrétariat général à la Planification écologique a "beaucoup de sens" pour les transports, un secteur qui, par nature, "a besoin de temps long". "Nous espérons que dans le prochain gouvernement, on n'oublie ni le logement ni la mobilité qui sont deux éléments importants de la vie de nos concitoyens", ajoute Louis Nègre.

Défi de la transition écologique

En attendant, Gart et UTP ont largement profité d'EuMo Expo pour remettre sur la table leurs propositions dans la perspective du nouveau quinquennat et de la prochaine législature. D'autant que "les transports publics sont un des éléments les plus pertinents pour lutter contre le changement climatique", soutient Marc Delayer, président du GIE Objectif transport public. "On demande à l'État d'être cohérent avec les objectifs que l'Europe et lui-même se sont fixé, qui sont de réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre dans 8 ans, autrement dit demain", martèle Louis Nègre. Alors que "les transports sont le seul secteur d'activité où on n'a pas réussi à faire baisser les émissions de gaz à effet de serre", rappelle le président du Gart, le défi est de faire baisser la place de la voiture, qui assure 83% des trajets quotidiens des Français quand les transports publics en représentent à peine 11%. Avec pour ces derniers de nombreux atouts à faire valoir, après la période Covid au cours de laquelle la voiture a regagné quelques points et le télétravail s'est banalisé - les taux de fréquentation des transports publics atteignent aujourd'hui près de 90% en province et 80% en Île-de-France. Le développement de la voiture électrique "n'est qu'une partie de la solution", car il ne règlera pas les problèmes de congestion, relève Thierry Mallet, vice-président de l'UTP et PDG de l'opérateur Transdev. Et ces véhicules, chers, resteront durablement inabordables pour les foyers les plus modestes, insiste-t-il.

"Un choc d'offre" à créer

"Dans un contexte de pouvoir d'achat mis à mal par l'inflation, les transports publics sont 3 à 5 fois moins chers que la voiture", estime Marie-Ange Debon. "Notre objectif collectif est de créer un choc d'offre, en quantité et en qualité, donc avec des financements, pour que le public revienne", souligne la présidente de l'UTP. "On ne prend les transports publics que quand ils offrent une solution pratique", abonde Thierry Mallet, notant que "l'augmentation des prix des carburants n'a pas fait progresser la fréquentation de façon massive" – celle-ci a plutôt augmenté pour les loisirs, selon les opérateurs. L'offre reste donc déterminante. Avec, enfin, des solutions de dessertes des zones périurbaines et rurales que la loi d'orientation des mobilités (LOM) a encouragées. Sur le plan institutionnel, l'ensemble du territoire doit maintenant être couvert par une autorité organisatrice de la mobilité (AOM). Mais sans les moyens financiers pour accompagner les nouvelles offres à développer, les nouvelles AOM, en particulier dans les territoires peu denses, risquent de se heurter à un mur. Et il sera aussi difficile de financer les nouveaux systèmes d'information des voyageurs et de billettique qu'élus et opérateurs appellent de leurs vœux – le Gart a d'ailleurs demandé au nouveau gouvernement d'ouvrir des discussions pour mettre en place un titre unique de transport qui pourrait être national ou régional, a annoncé Louis Nègre.

Un soutien financier de l'État de plus en plus pressant

"L'État ne contribue qu'à hauteur de 3% aux besoins des transports publics, qui représentent le budget n°1 des grandes collectivités en France", rappelle le président du Gart. Pour développer l'offre, "nous avons besoin d'un soutien financier de l'État. C'est clair, c'est net, parce que seuls, on n'y arrivera pas", poursuit-il. Le Gart réitère donc les sept propositions qu'il avait formulées au moment de l'élection présidentielle.  Il demande ainsi à l'État d'apporter 5 milliards d'euros pendant la prochaine législature en faveur de la mobilité du quotidien, les collectivités devant investir le double. Sur ces 5 milliards, une enveloppe de 3 milliards d’euros irait au développement de l’offre de mobilité, y compris les mobilités actives, à travers plusieurs appels à projets - 750 millions d'euros pour les transports en commun en site propre (TCSP) hors Île-de-France, 500 millions d'euros pour les pôles d’échanges multimodaux,  750 millions d'euros pour le développement des projets de mobilité des petites et moyennes AOM, 500 millions d'euros pour la création d’offres de mobilités dans les communautés de communes AOM et le même montant pour la logistique urbaine. Les 2 milliards d’euros restant sur 5 ans iraient à la conversion de l’ensemble du parc de véhicules vers des matériels à plus faible émissions, habituellement non couverte par les appels à projets TCSP - à titre de comparaison, l’Allemagne vient de décider au niveau fédéral de subventionner la conversion à la motorisation électrique du parc de bus urbains à hauteur de 1,25 milliard d'euros sur 2 ans rappelle le Gart. Ce dernier veut aussi que l'Etat transforme en subventions pérennes les avances de trésorerie faites aux AOM pour combler les déficits liés à la crise sanitaire - les pertes de recettes issues de la vente de billets se sont élevées à 2,35 milliards d'euros en 2020. Il réclame aussi, une nouvelle fois, une baisse de la TVA à 5,5% et souhaite voir garantie la pérennité du versement mobilité (VM) payé par les entreprises, qui a représenté 45% du financement des transports urbains en 2021, soit 9 milliards d'euros.
"On demande un engagement financier de l'État proportionné à ce que peut faire la France pour avoir des transports publics plus attrayants", estime Louis Nègre. Et l'élu de rappeler que des pays européens proches comme l'Italie et l'Allemagne investissent deux fois plus dans leurs infrastructures de transport. Sans oublier la Suisse, toujours citée en exemple, qui investit… neuf fois plus pour une population de 8,5 millions d'habitants.