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Gouvernance du sport : le Conseil d'État timide sur le rôle des collectivités

Dans un rapport sur la politique publique du sport, le Conseil d'État pointe les zones d'ombre de la nouvelle gouvernance du sport qui ne ferait pas assez de place aux collectivités territoriales. Pourtant, ses propositions visent au contraire à maintenir le rôle de l'État dans la détermination des politiques sportives.

Quelle politique publique pour le sport ? C'est à cette question que tente de répondre le Conseil d'État dans son dernier rapport annuel. Ce rapport, fruit d'un travail mené depuis un an à travers six conférences publiques thématiques et de nombreuses auditions, offre un tableau très exhaustif du sport en France, balayant les aspects historique, institutionnel, social, juridique ou encore économique. 
Le sport "objet de politique publique" est au centre de l'analyse du Conseil d'État. Le rapport affirme ainsi que la politique sportive dans notre pays "constitue un exemple remarquable de responsabilités partagées entre l’État, les collectivités territoriales et le mouvement associatif", tout en concédant que ces acteurs sont "à la recherche d’un nouveau modèle de gouvernance". Pour le Conseil d'État, en effet, "les collectivités sont devenues les premières contributrices au financement des pratiques et des équipements sportifs, sans que leur place soit véritablement reconnue au sein d’une gouvernance où la politique publique relève d’abord de l’État et les règles du jeu du mouvement sportif". 

Zones d'ombre

En outre, le Conseil d'État estime que les collectivités "paraissent davantage en phase avec l’évolution des pratiques que le mouvement sportif". En effet, elles "sont en première ligne pour accompagner l’essor des pratiques informelles, par le développement d’itinéraires de promenade et de randonnée, l’installation d’équipements en plein air, de parcours de santé, voire la dispensation d’un encadrement. [Et elles] se préoccupent de plus en plus de la sécurité des pratiques auto-organisées dans les parcs". En conséquence, la Haute Cour en appelle à une "révision" de l'équilibre de la gouvernance.
Bien entendu, le Conseil d'État n'omet pas la création de l’Agence nationale du sport (ANS) en avril 2019, qui vise précisément à rassembler les différents acteurs au sein d'une nouvelle gouvernance mieux partagée. Il estime même que "cette réforme suscite de fortes attentes mais comporte encore des zones d’ombre".
A ce stade du développement, on s'attend donc à ce que les propositions du Conseil d'État reflètent cette volonté, visiblement forte, de revaloriser le rôle des collectivités territoriales dans la gouvernance du sport. Pourtant, et alors que l'État lui-même se voit davantage dans un rôle de stratège et a mis en œuvre la réforme de la gouvernance du sport pour mieux partager ses prérogatives, particulièrement en matière de sport pour tous, le rapport ne va pas dans ce sens. Sa première préconisation vise, d'une part, à "préserver la détermination par le Gouvernement de la politique publique et de la stratégie nationale et internationale en matière de sport de haut niveau, de haute performance sportive et de développement de la pratique sportive pour le plus grand nombre", et, d'autre part, à "prévoir la signature par l’État et l’agence d’une convention d’objectifs inscrivant la mise en oeuvre de la politique publique du sport par l’agence dans le cadre de la stratégie arrêtée par l’État". 

L'État aux commandes

Cette proposition n'est tout d'abord ni plus ni moins que le rappel de la loi du 1er août 2019 relative à la création de l'Agence nationale du sport, laquelle prévoit que l'action de l'agence se fait "dans le cadre de la stratégie définie par l'État dans une convention d'objectifs conclue entre l'agence et l'État". Mais surtout, elle s'éloigne de l'ambition initiale de l'agence dont l'arrêté constitutif du 20 avril 2019 énonçait qu'elle "associe des représentants de l’État, du mouvement sportif, des collectivités territoriales et des acteurs économiques et sociaux en vue de définir et d’atteindre des objectifs communs en matière de développement de la pratique sportive en France". Initialement, les objectifs de la politique sportive de la France devaient donc être définis collégialement par les membres de l'agence, et non par l'État seul. Ce n'est pas le scénario qu'approuve le Conseil d'État.
Dès lors, quelle est la vision d'une gouvernance revisitée que souhaite promouvoir la Haute Cour ? Une proposition du rapport vise à "fonder la gouvernance partagée du sport à l’échelle territoriale [dans les conférences régionales du sport, ndlr] sur la cohérence des interventions des acteurs publics, du mouvement sportif et du secteur économique. Organiser la concertation à l’échelle la plus pertinente (régionale, interdépartementale) et formaliser une stratégie et des projets communs, assortis d’engagements financiers, en adaptant et en approfondissant ce qui a été engagé par les régions qui ont élaboré des schémas régionaux de développement du sport". Ici, on notera l'absence de mention explicite des collectivités, puisque le Conseil d'État use d'une formule élargie à travers la notion d'"acteurs publics". De plus, la proposition semble bien timide par rapport au constat et ne plaide pas en faveur d'une responsabilité accrue des collectivités dans les déclinaisons territoriales de l'agence, par ailleurs revendiquée par plusieurs associations d'élus.