Instruction en famille : l'étonnant rapport de la Cour des comptes
La Cour des comptes a analysé les conséquences du changement de régime de l'instruction en famille. Si elle constate une baisse des effectifs, un manque d'harmonisation du régime d'autorisation, une carence dans le contrôle des maires et des contrôles pédagogiques globalement satisfaisants, elle est dans l'impossibilité d'en chiffrer le coût pour les finances publiques.

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C'est un rapport baroque qu'a publié la Cour des comptes jeudi 26 juin 2025. Consacré à l'instruction en famille (IEF), ce rapport est inattendu de la part d'une institution dont la mission principale consiste à s'assurer du bon emploi de l'argent public. Car s'il est une pratique éducative qui ne coûte pas un euro aux finances publiques, c'est bien l'IEF.
Certes, le rapport de la Cour des comptes met en lumière le coût du contrôle par les services de l'Éducation nationale. À ce rythme, la Cour pourrait tout aussi bien se pencher sur la question de l'hygiène des restaurants de France et de Navarre qui font également l'objet de contrôles sanitaires de la part de l'administration. On avancera également que 35% des enfants instruits en famille le sont à travers le Cned (Centre national d'enseignement à distance) réglementé. Or, le Cned réglementé est payant et les enfants qui y sont inscrits ne font pas, sauf signalement spécifique, l'objet de contrôle. En matière financière, la Cour finit par admettre que "le compte de l'éducation ne permet [...] pas d'identifier la part des dépenses publiques mobilisées pour l'instruction dans la famille".
L'objectif de la loi en question
La Cour a par ailleurs pour mission de vérifier si les résultats des politiques publiques sont à la hauteur des objectifs fixés par la loi. Ici, le résultat mis en avant est d'abord celui d'une reforme qui "a infléchi la tendance a la hausse des effectifs". En l'occurrence, 30.644 enfants étaient instruits en famille cette année, contre plus de 72.000 en 2021.
Or, cet infléchissement n'était pas un objectif fixé par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République qui a créé pour l'IEF un régime d'autorisation préalable au lieu d'un simple régime de déclaration. Loin de viser la baisse du nombre d'enfants instruits en famille, la loi "s'est inscrite dans la stratégie gouvernementale de lutte contre les séparatismes et l'islamisme radical", souligne la Cour des comptes, l'IEF ayant été "identifiée comme un domaine nécessitant une attention particulière, les enfants étant particulièrement vulnérables et exposés aux risques de dérives sectaires et de radicalisation".
Qu'en est-il de l'atteinte de cet objectif fixé par la loi ? Il n'est pas réellement pointé par la Cour. Tout au plus apprend-on que l'académie de Grenoble a pu émettre des refus pour des "cas de suspicion de radicalisation". Par ailleurs, et de façon plus objective mais élargie au-delà de la lutte contre la radicalisation, le rapport précise que 48 refus en 2022-2023, 4 en 2023-2024 et 17 en 2024-2025 ont été justifiés par l'inscription au fichier des auteurs d'infractions terroristes (Fijait) ou d'infractions sexuelles et violentes (Fijaisv) de personnes chargées de l'instruction. Le rapport souligne encore que, selon un guide interministériel consacré à l'IEF, "les cas d'enfants radicalisés à l'occasion de l'instruction dans la famille sont exceptionnels". Quant aux enfants instruits en famille exposés aux risques de dérives sectaires; le rapport n'en fait pas mention.
Besoin d'harmonisation
Pourtant, ce ne sont pas moins de 10.202 demandes d'IEF sur 40.846, soit 25%, qui ont été refusées en 2024-2025. En cause : des cas de recours désormais limités. Parmi les 30.644 enfants admis à l'IEF, 9.795 l'ont été en raison de leur état de santé ou d'un handicap, 1.581 en raison d'une pratique sportive ou artistique intensive et 8.831 en raison de l'itinérance de la famille ou de l'éloignement de tout établissement scolaire public. En définitive, seuls 10.437 enfants ont été autorisés à être instruits en famille au titre d'une "situation propre", c'est-à-dire selon un choix de la famille non imposé par une circonstance extérieure.
En outre, les critères d'acceptation ou de refus posent question. Car si un droit existant depuis 1882 a été largement entamé par les dispositions de la loi de 2021, celles-ci s'avèrent de surcroît à géométrie variable et mettent à mal l'égalité des citoyens devant la loi. La Cour des comptes le reconnaît par euphémisme lorsqu'elle évoque le "besoin d'harmonisation" du régime d'autorisation. En effet, les écarts de taux de refus "restent assez importants en 2024 entre les académies" et s'expliquent en "partie par des approches différentes dans l'analyse des dossiers".
Contrôles pédagogiques satisfaisants
C'est peut-être dans cette difficulté des familles à faire valoir leur choix que résident les raisons de la baisse de plus de 50% du nombre d'enfants en IEF. L'incertitude quant aux critères retenus par les rectorats provoquant sans doute le découragement de certains parents. Ainsi, lors de la campagne 2024-2025, on a recensé 25% de demandes en moins par rapport à 2023-2024 et 35% en moins par rapport à 2022-2023.
Reste le plus important : l'acquisition des compétences par les enfants. La Cour estime ici que "les résultats des contrôles pédagogiques sont globalement satisfaisants", citant même un taux satisfaisant pour 93% des premiers contrôles. Les rectorats interrogés constatent toutefois "une hétérogénéité des situations allant de l'illettrisme à l'excellence"... un constat qui pourrait concerner d'autres sphères de l'enseignement en France si l'on considère, par exemple, les 29% d'élèves en difficulté dans le classement Pisa 2022. Au chapitre des performances, la Cour des comptes recommande de rendre obligatoire, pour les enfants instruits en famille, le passage des évaluations nationales à la fin de chaque cycle.
Les maires mal instruits de leur rôle
Finalement, la Cour des comptes attire l'attention sur un point que l'on n'attendait pas forcément : les faiblesses de l'enquête du maire. Alors que ce dernier doit réaliser, dès la première année puis tous les deux ans, une enquête auprès des enfants instruits en famille portant sur la réalité des motifs avancés par les personnes responsables de l'enfant pour obtenir l'autorisation et sur la compatibilité de l'instruction donnée avec l'état de santé et les conditions de vie de la famille, celle-ci demeure rare. "Dans les trois académies visitées, pour l'année scolaire 2023-2024, écrit la Cour, très peu d'enquêtes étaient effectuées : en Essonne, seules deux communes ont réalisé cette enquête ; en Côte-d'Or, le taux de réponse des mairies est de 39% ; en Isère, 232 enquêtes ont été diligentées pour 716 enfants à contrôler."
La Cour explique ces carences par une méconnaissance de leur mission par les maires, un manque de personnel, une réticence à s'immiscer dans la sphère familiale ou à se rendre sur les aires d'accueil des gens du voyage, ou encore par une interrogation sur le périmètre de l'enquête et notamment sur l'appréciation de "la réalité des motifs avancés" par les parents pour obtenir l'autorisation.
Si elle rappelle la diffusion, en 2024, d'un nouveau guide juridique sur rôle des acteurs locaux dans le cadre de l'instruction dans la famille (lire notre article du 11 septembre 2024), la Cour préconise d'informer périodiquement les maires sur leur obligation en matière d'IEF et de leur fournir une trame type de compte rendu pour réaliser les enquêtes.