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Investissements d'avenir : deux stratégies pour préparer "la troisième révolution agricole"

L'État vient de lancer les premiers appels à projets de sa "stratégie d'accélération agricole et alimentaire" qui vise à préparer la "troisième révolution agricole", avec 877,5 millions d'euros à la clé, financés dans le cadre du quatrième programme d'investissements d'avenir. Il s'agit d'accélérer les mutations de l'agriculture en matière de robotique, numérique et génétique, soit les priorités définies par le président de la République le mois dernier pour le volet agricole du plan France 2030 qui prévoit 2 milliards d'euros de plus. 

"Je fais partie de ceux qui considèrent qu’est en train de se dérouler sous nos yeux une troisième révolution agricole", a déclaré le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, vendredi 5 novembre, à l’occasion du lancement des deux stratégies d’accélération agricole et alimentaire du Programme d’investissement d’avenir (PIA4). Après le machinisme de l’après-guerre avec le Plan Marshall et l’agrochimie développée il y a une quarantaine d’années, l’État entend débourser quelque 877,5 millions d’euros sur cinq ans pour "accélérer la recherche et le développement de technologies de rupture en vue de déploiements généralisés au service d’une alimentation de qualité", indique le gouvernement, dans un communiqué. Et ce à travers la robotique, le numérique et la génétique, soit les trois axes définis par Emmanuel Macron lors de la présentation de son plan France 2030, qui prévoit, lui, une enveloppe de 2 milliards d’euros supplémentaires (voir notre article du 12 octobre 2021). Au total, ce sont plus de 2,8 milliards d’euros ainsi investis dans la modernisation de l’agriculture.

"Impasses" pour la production

Selon le ministre, l’agriculture est confrontée à trois défis, nutritionnel, environnemental et de compétitivité, difficiles à concilier, et fait face à des "impasses" qui ont conduit,  au nom des transitions, à réduire la production au profit des importations. "On arrive à des cercles vicieux puisque ça se compense par des importations de protéines végétales, animales. C’est perdant pour tout le monde. Perdant pour notre souveraineté alimentaire, perdant pour l’environnement, et c’est un non-sens économique", a-t-il souligné lors d’une table-ronde organisée dans la Drôme, aux côtés de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie, des représentants des filières et du secrétaire général pour l’investissement, Guillaume Boudy (chargé de la gestion du PIA). Et de citer l’exemple de la Haute-Savoie qui importe des lentilles du Canada alors que la production hexagonale est en baisse. Ces craintes ont été réactivées par la stratégie européenne de la "Ferme à la fourchette" récemment adoptée par le Parlement européen (voir notamment notre article du 15 octobre 2021), qui vise notamment à réduire de moitié les pesticides. Certaines études d’impacts anticipent une baisse de 10 à 15% de la production européenne qui serait compensée par des importations.
"Dans les trois années qui viennent, 20 substances vont disparaître de la pharmacopée végétale sans aucune solution derrière", a alerté Anne-Claire Vial, présidente de l’Acta (le réseau des instituts techniques agricoles). "Quand on lit France Agrimer, en 2020, la France a importé 16 milliards d’euros de fruits et légumes. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?"

Deux enveloppes distinctes

Pour répondre à ces défis, le PIA4 comportera deux enveloppes. La première, dotée de 428 millions d’euros, cherchera à "développer des solutions innovantes au service de la résilience et de la compétitivité du monde agricole et de l’industrie agro-alimentaire dans la transition agroécologique". La seconde, dotée de 449,5 millions d’euros, visera à "concevoir et déployer les solutions pour une alimentation plus durable et favorable à la santé". "Start-up, PME et ETI : chacun pourra répondre aux appels à projets" lancés à partir de vendredi, précise le gouvernement. Les deux premiers s'intitulent "Innover pour réussir la transition agroécologique" et "Répondre aux besoins alimentaires de demain". Plus tard, un appel à manifestation d'intérêt (AMI) permettra de constituer un réseau de "démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires", autour de démarches innovantes. En matière de recherche, la stratégie financera deux programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) dotés de 95 millions d’euros et pilotés par l’Inrae et l’Inria. Le gouvernement lancera aussi des "Grands défis" sur la robotique, les protéines et les "ferments du futur".

"Nous avons besoin de bras, pas de drones"

"L’enjeu, c’est de positionner notre pays en leader sur le secteur stratégique de l’alimentation durable", dans le prolongement du plan de relance qui a permis une "centaine de projets de localisation ou relocalisation dans les entreprises industrielles de l’agroalimentaire", avec 6.000 emplois "créés ou confortés", a affirmé Agnès Pannier-Runacher. Alors que les effectifs agricoles ne cessent de diminuer, ces arguments ne passent pas partout. "La seule et véritable innovation est d'installer 1 million de paysans d'ici 10 ans, ceux-là même qui ont été broyés par leur 'modernisation' de l'agriculture en 40 ans", a réagi la section drômoise de la Confédération paysanne, dans un communiqué. "Nous avons besoin de bras et de cerveaux pour la révolution agricole, pas d'algorithmes et de drones !"