La Cour des comptes épingle le recours par les collectivités aux cabinets de conseil
Motivations absentes ou floues, manque de pilotage, évaluation défaillante, intervention pour des missions qui pourraient être réalisées en interne… Dans un rapport publié ce 10 juin, les magistrats critiquent sévèrement l'utilisation par les collectivités locales des prestations des cabinets de conseil.

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Le recours croissant des collectivités locales aux prestations de conseil est "insuffisamment motivé" et il intervient alors que celles-ci pourraient souvent s'appuyer sur des ressources internes et publiques, critique la Cour des comptes dans un rapport publié ce 10 juin.
Réalisé en réponse à une proposition citoyenne, ce dernier porte sur 15 collectivités situées dans les régions Occitanie, Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Nouvelle-Aquitaine, ainsi que sur la Polynésie française. Parmi les collectivités enquêtées figure une majorité de grandes entités - comme la ville et la métropole de Toulouse, la ville de Marseille, le département de la Gironde ou la région Occitanie.
Les prestations des cabinets de conseil ne représentent qu'une "proportion modeste" des budgets des collectivités auditées, puisqu'elles se sont élevées à 195 millions d'euros pour les 15 collectivités de France métropolitaine concernées, sur la période 2019-2023. Mais elles "ont connu une croissance significative (de 37 millions d'euros en 2019 à 45 millions en 2023, soit +20%) au cours de cette période. Elles suivent ainsi la tendance que la Cour avait relevée pour l'État dans un rapport(Lien sortant, nouvelle fenêtre) de juillet 2023, mais "dans une bien moindre mesure", puisque les dépenses de l'État dans ce domaine ont doublé entre 2018 et 2022.
"Des motivations peu étayées"
La nouvelle enquête de la Cour révèle par ailleurs que les services "support" (numérique, ressources humaines, juridique, finances et administration générale) des collectivités contrôlées ont été les premiers commanditaires des marchés de prestations intellectuelles (29% des marchés passés), devant les directions chargées de l’aménagement, de l’urbanisme et de la voirie (27%).
Les raisons évoquées par les collectivités pour recourir à ces prestations privées - "défaut d'expertise en interne", "surcroit temporaire d'activités" ou encore "besoin d'un regard extérieur" - sont "dans leur grande majorité peu étayées", selon la Cour. "Aucune analyse explicite n’a, en général, été réalisée préalablement à la décision d’externaliser", critique-t-elle.
"Dans plusieurs cas", les collectivités contrôlées "n’ont pas démontré que les prestations commandées à des cabinets de conseil n’auraient pas pu être assurées en interne", pointe-t-elle. En outre, "dans bon nombre de situations, des tâches relevant de missions permanentes des collectivités, et pour lesquelles elles disposaient pourtant de services structurés, ont été externalisées". La Cour cite ainsi les exemples de collectivités ayant confié la gestion de la dette et de la trésorerie, ou encore des missions relevant de la gestion des ressources humaines à des sociétés privées. Les collectivités concernées "s’exposent à un risque de dessaisissement des services sur leurs fonctions d’expertise technique et de pilotage", alertent les magistrats.
Besoin mal défini
Ils estiment que les collectivités pourraient se tourner "davantage" vers l'expertise qu'offrent les agences d'urbanisme, les entreprises publiques locales ou les agences de l'État, d'autant qu'avec ces structures, "le recours à la mise en concurrence n’est pas toujours nécessaire".
Mais "dans la plupart des cas", les directions opérationnelles décident elles-mêmes si elles vont faire appel à des cabinets de conseil ou plutôt à des ressources internes ou publiques, aucune "validation au plus haut niveau" n'étant nécessaire.
Les procédures de recours par les collectivités aux prestations intellectuelles du secteur privé comportent de nombreux défauts, selon la Rue Cambon. D'abord, lors de la passation des marchés de prestations intellectuelles, les collectivités n'ont le plus souvent pas pris soin de définir précisément leur besoin, s'exposant "à ce que le produit livré par le prestataire soit très éloigné des attentes ou incomplet". Les collectivités pourraient aussi mettre davantage en concurrence leurs prestataires.
"Toutes les collectivités n’ont pas structuré une conduite de projets leur permettant de piloter leurs prestataires", constate en outre la Cour, qui insiste sur la nécessité de "définir des modalités de suivi de l’exécution des prestations dès la signature du contrat".
Des évaluations perfectibles
Autre point noir : les collectivités de l'échantillon sont nombreuses à ne pas évaluer les prestations réalisées par les cabinets de conseil. Les juridictions financières les appellent à "vérifier que la commande, les délais et le budget prévisionnel ont été respectés" et à "apprécier la valeur ajoutée de la prestation".
La Cour recommande par ailleurs aux collectivités de prévoir dans les contrats passés avec les prestataires extérieurs les possibilités de transferts de compétences au bénéfice de leurs services et de mieux diffuser, et donc faire connaître en interne les travaux ainsi réalisés.
"Quelques collectivités" - telles que la commune et la métropole de Toulouse ou le département de la Haute-Garonne - ont décidé récemment de "réinternaliser" des prestations précédemment confiées à des cabinets de conseil, indique le rapport.
L'Assemblée nationale a complété en février 2024 une proposition de loi(Lien sortant, nouvelle fenêtre) sénatoriale visant à accroître la transparence des prestations de conseil et encadrer leur recours par le secteur public, afin que le texte vise aussi les collectivités de plus de 100.000 habitants (voir notre article). Mais, trois mois plus tard, le Sénat est revenu sur cette décision, dans le cadre de la deuxième lecture (voir notre article). Aucune date n'a été fixée pour l'examen du texte en seconde lecture à l'Assemblée nationale.