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Habitat - L'annonce surprise d'une baisse des APL brouille la lisibilité de la politique du logement

Dans une activité estivale qui commençait à faiblir, l'annonce d'une baisse de l'ensemble des aides personnalisées au logement (APL), à hauteur de cinq euros par mois pour tous les allocataires concernés, a fait l'objet d'une petite bombe et suscité un torrent de réactions. Cette annonce surprend d'autant plus qu'elle a été faite samedi à l'AFP par "une responsable du ministère de la Cohésion des territoires". Si l'effet recherché était la discrétion, difficile de dire que l'opération est une réussite en termes de communication, d'autant qu'il y a eu, dans un premier temps, des propos contradictoires sur le périmètre de cette réforme. Celle-ci concernera bien, au final l'ensemble des aides : aide personnalisée au logement, allocation de logement à caractère familial et allocation de logement à caractère social.

6,3 millions d'allocataires, mais en recul de 0,5% en 2016

Dans un numéro de juin de sa lettre "L'e-ssentiel", la Caisse nationale d'allocations familiales comptabilise 6,28 millions de bénéficiaires des aides au logement en 2016 (métropole et DOM) - 2,75 millions pour l'APL, 2,29 pour l'ALS et 1,24 pour l'ALS -, ce qui représente plus du double si on tient compte des conjoints et des enfants. Le nombre d'allocataires de ces prestations est en recul de 0,5% sur 2016 : +0,5% pour l'APL, -1,0% pour l'ALS et -1,8% pour l'ALF. En termes de dépenses, les aides au logement gérées et versées par les CAF représentent 18 milliards d'euros et sont financées par le budget de l'Etat.
Une partie de cette baisse s'explique par une double réforme mise en œuvre depuis moins d'un an, opérée par le précédent gouvernement, et qui est pourtant passée presque totalement inaperçue.

Une réforme passe, l'autre pas...

Cette réforme remonte à la loi de finances pour 2016 (voir notre article ci-dessous du 5 octobre 2015). Ainsi, depuis le 1er juillet 2016, est mise en œuvre une dégressivité des aides au logement à partir d'un certain plafond de loyer et même une suppression des aides au-delà d'un second plafond. La mesure peut sembler comporter une dimension sociale en visant les loyers les plus élevés (parmi les bénéficiaires des aides), mais elle a en réalité touché aussi des familles très modestes mais contraintes d'accepter des taux d'effort très élevés pour pouvoir se loger, notamment à Paris, en proche banlieue et dans quelques grandes villes.
En outre, depuis le 1er octobre 2016, le calcul des aides au logement prend en compte non seulement les revenus du demandeur, mais aussi son patrimoine, au-delà d'un seuil de 30.000 euros.

Les étudiants vent debout

A ces mesures ciblées entrées en vigueur depuis moins d'un an, le gouvernement ajoute donc une mesure généralisée touchant tous les allocataires. Les premiers à réagir ont été les syndicats d'étudiants - ces derniers comptant environ 800.000 bénéficiaires de l'APL - et les associations caritatives. La Fage (Fédération des associations générales étudiantes) demande ainsi au gouvernement et au président "de ne pas matraquer le portefeuille des étudiants", dont 25% vivent sous le seuil de pauvreté. Elle lui demande aussi "d'ouvrir une vraie réforme des aides sociales étudiantes et de lancer sans délai le plan de 80.000 logements annoncé dans le programme du président de la République" pour les étudiants et les jeunes actifs.
Pour sa part, l'Unef "rappelle que ces aides sont indispensables aux étudiants dans l'acquisition du logement autonome" et prévient que "toute baisse de celles-ci constituerait une attaque grave". A défaut d'une mobilisation directe - difficilement envisageable au plus fort des vacances -, elle appelle tous les étudiants à signer une pétition en ligne. On rappellera au passage qu'à l'automne 2015, le gouvernement de Manuel Valls avait dû renoncer, devant un début de mobilisation dans l'enseignement supérieur, à remettre en cause l'universalité de l'APL pour les étudiants en durcissant les critères d'accès (voir notre article ci-dessous du 6 novembre 2015).

Les associations relancent la demande d'un plan Pauvreté

Du côté des associations caritatives, la fondation Abbé-Pierre a aussitôt réagi. Son délégué général, Christophe Robert, dénonce une décision dont les motifs lui semblent "assez étranges" et qui pénalise "les plus pauvres". Elle rappelle que cette réforme fait suite à d'autres (cf. supra) "qui ont conduit depuis plus de quinze ans les aides à décrocher par rapport au coût du logement". Sur cette période, les aides au logement auraient ainsi évolué "deux fois moins vite que les loyers et trois fois moins vite que les charges".
La fondation Abbé-Pierre exige donc le retrait de la mesure et demande à être reçue rapidement par le gouvernement. Elle revient également à la charge - comme les autres associations de lutte contre l'exclusion - sur la nécessité d'une nouvelle loi cadre de lutte contre la pauvreté, qui devrait inévitablement aborder la question du logement (voir notre article ci-dessous du 28 juin 2017).
De son côté, la CLCV (Confédération du logement et du cadre de vie) dénonce une "première attaque sur les revenus des plus modestes, qui annonce la non indexation des aides au logement pour 2018". Elle voit dans la mesure "une volonté de casser le système des aides au logement en place depuis 1977, sous prétexte de leur caractère inflationniste". Elle invite elle aussi le gouvernement à rechercher plutôt des économies budgétaires du côté des "dispositifs fiscaux d'encouragement à l'investissement immobilier locatif pour un coût annuel de 2 milliards d'euros" (allusion transparente au dispositif Pinel), mais aussi du côté de la TVA à 5,5% sur les travaux dans un logement achevé depuis plus de deux ans.
Enfin, l'Union sociale pour l'habitat (USH), qui représente 740 bailleurs sociaux, s'est jointe aux protestation en considérant que la baisse annoncée "va porter préjudice à près de 6 millions de nos concitoyens". "Les aides personnelles au logement sont un outil indispensable à la solvabilisation de nombreux ménages modestes et leur baisse serait un très mauvais coup porté à leur pouvoir d'achat et à leurs conditions de vie", poursuit-elle.
"Pour les ménages les plus modestes, 5 euros peuvent représenter une journée de 'reste pour vivre', c'est-à-dire ce qu'il reste à une personne lorsqu'elle a assumé ses dépenses contraintes telles que le loyer, les charges, le transport, le crédit, les impôts", dit l'USH. Soulignant que les locataires HLM se sont nettement appauvris ces dernières années, elle relève que l'APL "est totalement au bénéfice des locataires car les loyers HLM sont plafonnés".

Quelles priorités pour le logement ?

Sans s'attarder sur la polémique qui s'est installée entre le nouveau et l'ancien gouvernement sur l'origine de cette décision de baisser les aides au logement, il reste que celles-ci étaient dans le collimateur du gouvernement, mais aussi de la Cour des comptes (voir notre article ci-dessous du 18 septembre 2015). Ces aides ne sont en effet pas exemptes d'un certain nombre de critiques, même si leur réforme ne figurait pas dans le programme électoral d'Emmanuel Macron.
Le 20 juillet - autrement dit la veille de l'annonce de la baisse -, Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics, a d'ailleurs très clairement indiqué lors du débat d'orientation budgétaire à l'Assemblée, que la réforme des aides au logement fait partie des trois chantiers prioritaires, avec la formation professionnelle et les "interventions sociales" (voir notre article ci-dessous du 20 juillet 2017).
Il reste que l'annonce précipitée de la baisse - même relativement modique pour certains allocataires - risque d'obérer sérieusement le débat sur le logement qui devait s'engager dans un cadre plus large, notamment autour du futur projet de loi annoncé sur le sujet (voir notre article ci-dessous du 30 juin 2017). Il est vrai qu'entre la baisse des aides au logement, l'annonce d'un "impôt sur la fortune immobilière", les incertitudes sur le sort de certains dispositifs comme le Pinel (voir notre article ci-dessous du 24 juillet 2017) et le contenu d'un projet de loi qui reste à préciser, la politique du logement commence à manquer de lisibilité...