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Personnes âgées - Le médiateur pointe les lacunes de la protection contre la maltraitance financière en établissement

En octobre dernier, le médiateur de la République lançait une mission sur "la maltraitance financière à l'égard des personnes âgées résidentes en établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux" (voir notre article ci-contre du 13 octobre 2010). Celle-ci s'entend comme "tout acte commis sciemment à l'égard d'une personne âgée en vue de l'utilisation ou de l'appropriation de ressources financières de cette dernière à son détriment, sans son consentement ou en abusant de sa confiance ou de son état de faiblesse physique ou psychologique". Le rapport correspondant a été présenté par le médiateur le 9 février. Ses trois auteurs sont des professionnels du secteur : Véronique Desjardins, directrice du groupe hospitalier Charles Foix-Jean Rostand - dédié principalement aux personnes âgées - à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Alain Koskas, président du conseil scientifique de la Fédération internationale des associations de personnes âgées et Jean-Pierre Médioni, directeur d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Les trois auteurs se sont livrés à un travail approfondi, en auditionnant une soixantaine de personnes et en consultant par écrit environ 120 organisations ou personnalités.
Le rapport prend bien soin de ne pas stigmatiser les établissements en rappelant que la très grande majorité des faits de maltraitance financière se déroulent au domicile et engagent l'entourage immédiat de la personne âgée. De plus, la majorité des faits constatés en établissement constituent le prolongement de pratiques intrafamiliales abusives, mises en place lorsque la personne vivait encore à son domicile et perpétrées par un proche (le plus souvent un descendant).

Des vols "largement banalisés"

Ces précautions prises, il n'en reste pas moins que la question de la maltraitance financière en établissement - "phénomène discret et pernicieux" - reste posée. Certains abus sont d'ailleurs propres aux établissements, comme le vol d'argent ou d'effets personnels, qui "s'est largement banalisé dans de nombreuses institutions". Le rapport pointe en effet de nombreuses faiblesses dans le dispositif actuel et formule 35 propositions. Le premier point faible concerne la méconnaissance de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs (entrée en vigueur le 1er janvier 2009), qui justifierait le lancement de campagnes de sensibilisation du grand public et d'actions de formation pour les professionnels. Les auteurs pointent aussi le sous-dimensionnement de la prévention de la maltraitance financière au regard des enjeux (bien que le rapport ne soit pas en mesure de quantifier le phénomène). Ils préconisent donc la généralisation d'un "audit pluridisciplinaire" dans les situations d'alerte. Dans le même esprit, la mission estime que la détection de la maltraitance financière en institution n'est pas performante. Elle formule par conséquent une série de préconisations pour y remédier : inventaire sauvegardé et actualisé des biens à l'entrée en institution, mise en place de tiers référents et de personnes ressources, rédaction d'un code de déontologie... Cette formalisation doit s'étendre au "mandat de protection future", une des innovations majeures apportées par la loi de 2007. Ceci passe en particulier par l'obligation d'un acte notarié (actuellement il est possible d'enregistrer un tel mandat sous seing privé) ou - à défaut - par la systématisation de l'assurance responsabilité civile liée au mandat. Autre point faible relevé par la mission : le rôle insuffisant des médecins agréés. Sur ce plan, le nouveau formulaire mis en place par la réforme ne semble pas donner satisfaction, ce qui conduit à préconiser un retour à l'ancienne formule, mais aussi une meilleure formation et information des médecins inscrits sur les listes établies par les procureurs de la République.

Des mesures de protection à revoir

Le bilan n'est guère plus satisfaisant du côté des mesures de protection. Celles-ci ne sont pas suffisamment personnalisées et la situation se trouve encore compliquée par les difficultés de communication entre les directeurs d'Ehpad et les procureurs de la République, ainsi que par les délais de réponse de ces derniers. La solution passe par une limitation à 50 ou 60 du nombre de personnes confiées à chaque mandataire et par une augmentation du nombre et de la qualité des experts. Elle suppose aussi de clarifier la frontière entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit (il semble en effet que la signature de chèques pour le compte de la personne âgée n'est pas un fait isolé en établissement...). Dans le même ordre d'idées, le rapport préconise de professionnaliser le contrôle des comptes, en organisant des formations à la reddition des comptes (y compris pour les greffiers) et en généralisant l'outil de normalisation des rapports de gestion et d'aide au contrôle des comptes, initié par la Caisse des Dépôts en partenariat avec la Chancellerie.
Plus original : le rapport propose de revoir l'article 311-12 du Code pénal, qui prévoit que le vol commis au préjudice de son conjoint, de son ascendant ou de son descendant "ne peut donner lieu à des poursuites pénales" (sauf séparation de corps pour les conjoints). La mission estime en effet que cette immunité pénale devrait être levée au moins lorsque l'auteur a agi dans le cadre d'une mission judiciaire ou conventionnelle de protection. Enfin, le rapport propose à la fois de formaliser et de renforcer le devoir d'alerte des banques et des assurances et de mettre sur pied un véritable "tribunal des tutelles". Une mesure qui n'aurait rien d'un luxe, puisque Jean-Paul Delevoye rappelait, lors de la présentation du rapport, qu'"un tiers des demandes de mesures sont prononcées quand la personne est décédée"...