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Le Parlement adopte définitivement la loi "anticasseurs"

Fouilles, délit de dissimulation du visage, interdiction administrative de manifester, principe du casseur-payeur… La proposition de loi "anticasseurs" a été définitivement adoptée par le Sénat, mardi 12 mars. Le Conseil constitutionnel est cependant appelé à se prononcer. La polémique reste vive sur l'usage des lanceurs de balles de défense.

Les sénateurs ont définitivement adopté (par 210 voix contre 115 et 18 abstentions), mardi 12 mars, la loi "anticasseurs". En seconde lecture, le Sénat n’a apporté aucune modification à la version de l’Assemblée votée le 5 février. Le texte va toutefois devoir passer le crible du Conseil constitutionnel saisi par des groupes parlementaires de gauche. En se posant comme "garant des libertés publiques", Emmanuel Macron a lui-même annoncé qu’il saisirait la haute instance (ce qui ne s’est produit qu’une fois dans l’histoire de la Cinquième République, en 2015, au moment de la loi sur le renseignement), au risque que certaines dispositions soient annulées. Ce qui a valu cette pique de l’auteur de la proposition de loi, le sénateur LR Bruno Retailleau, vis-à-vis de l’exécutif : "En octobre, vous étiez plutôt contre. Récemment, vous étiez franchement contre. Mais, depuis quelques heures et l'annonce de la saisine du Conseil constitutionnel par le président de la République (...), on ne sait pas si vous êtes pour, contre ou tout au contraire", a-t-il tancé mardi, ironisant sur une "pensée complexe inaccessible". Mais pour le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, "cette saisine permettra de lever les doutes, elle permettra de lever tous les soupçons".
Adoptée par le Sénat en octobre, la proposition de loi "visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations" ciblait initialement les "black blocs". Elle avait par la suite reçu le soutien du gouvernement dans le contexte des manifestations des gilets jaunes et s’était vu largement réécrite par les députés. 

Interdiction administrative de manifester

Pour Bruno Retailleau, le principal apport est la création d’un nouveau délit de "dissimulation du visage" sur le lieu des manifestations et leurs abords, assorti d'une peine d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros (article 6). "Le texte ne vise pas les gilets jaunes, mais les cagoules noires, qui profitent d'un angle mort de notre droit pénal", a-t-il argué.
Mais le principal sujet de friction lors des débats (jusque dans les rangs LREM) est la création d’une interdiction administrative de manifester. Les préfets pourront d’eux-mêmes (donc sans passer par le juge) prononcer ces interdictions de manifester à l'encontre d'individus représentant "une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public", sous peine de six mois d'emprisonnement et 7.500 euros d'amende en cas d'infraction (article 3). La décision ne pourra pas dépasser un mois. Des "critères objectifs" ont cependant été ajoutés, via un amendement gouvernemental : la personne devra avoir commis des "atteintes graves à l'intégrité physique des personnes ainsi que des dommages importants aux biens" ou encore "un acte violent" lors de manifestations précédentes. Le préfet pourra aussi imposer une obligation de pointage dans les commissariats de police ou brigades de gendarmerie. 
"Selon le préfet de Paris, 80 à 100 personnes maximum seraient concernées en Île-de-France ; on est loin d'une atteinte massive à la liberté de manifester", a tenu à nuancer le rapporteur du texte, Catherine Troendlé (LR, Haut-Rhin). "Il y a un paradoxe à accepter qu'un préfet interdise une manifestation, mais pas qu'il interdise de manifestation une personne menaçant l'ordre public - car c'est bien de cela que nous parlons", a abondé le ministre de l’Intérieur.
La proposition de loi initiale prévoyait la création d'un fichier national des interdits de manifester, comme il en existe un pour interdits de stade depuis 2007. Les députés ont revu le dispositif : pas de fichier dédié, mais une inscription au fichier des personnes recherchées (FPR).

Casseur-payeur

Par ailleurs, les policiers et gendarmes pourront, sur réquisitions du procureur de la République, procéder à des fouilles de bagages et des visites de véhicule sur les lieux d’une manifestation et sur ses abords immédiats (article 2), afin de rechercher des "armes par destination" (marteaux, boules de pétanque…). Initialement, la proposition de loi prévoyait que les agents privés et les policiers municipaux puissent épauler les policiers et gendarmes dans cette tâche, mais cette disposition a été supprimée. Le sénateur Jean-Pierre Legrand (LR, Hérault) a tenté, sans succès, de réintroduire cette disposition. 
Le texte crée un principe de "casseur-payeur" (article 9). Nul besoin de condamnation pénale, l’Etat pour pourra exercer un recours sur le plan civil contre toute personne dont il sera prouvé qu’elle a participé à des dégradations ou des violences.
Enfin, le texte assouplit les conditions de déclaration préalable aux manifestations : il suffira qu’un des organisateurs (au lieu de trois aujourd’hui) réside dans le département du lieu de la manifestation (article 1). 

"Stratégie de la tension"

Christophe Castaner a défendu une loi de "protection" des manifestants, des journalistes, des forces de l’ordre et des commerçants, contre des "ultra-violents". "Depuis le 27 novembre, les brutes ont fait 1 .500 blessés parmi les policiers et les pompiers. Il fallait agir vite", a-t-il rappelé. La sénatrice communiste Eliane Assassi (Seine-Saint-Denis) - auteur d’une proposition de loi visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense lors des manifestations, rejetée par le Sénat jeudi dernier -, est montée au créneau pour dénoncer une "stratégie de la tension" orchestrée par le gouvernement. Ce dernier "tente d'étouffer les revendications des gilets jaunes en mettant en avant les violences commises par une infime minorité de manifestants. Les fonctionnaires de police ne sont pas responsables de la situation actuelle : vous les envoyez en première ligne avec des ordres qui ne permettent pas l'apaisement", a-t-elle lancé au ministère de l’Intérieur.
Dans son rapport 2018 présenté le même jour, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s'inquiète de son côté du "nombre jamais vu d’interpellations et de gardes à vue intervenues 'de manière préventive'", lors des manifestations récentes. Il s’interroge "sur le dispositif d’ordre public mis en place, le cadre juridique de ces interventions et les directives données qui semblent s’inscrire dans la continuité des mesures de l’état d'urgence". Il préconise à nouveau l’interdiction des LBD dans les manifestations.  À noter, l’initiative du maire de Phalsbourg (Moselle), Dany Kocher, qui a pris un arrêté municipal vendredi 8 mars interdisant l’usage des LBD sur sa commune.

Référence : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations.