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Tourisme - Le tourisme, un château de sable ?

La saison estivale a débuté en fanfare - avec une hausse des nuitées et du chiffre d'affaires de 4,5%, selon le cabinet Protourisme - et pourrait, si le mauvais temps ne s'en mêle pas, être la meilleure depuis trois ans. Les professionnels du tourisme, pourtant toujours prompts à la sinistrose, voient pour une fois la vie en rose. Le développement du tourisme international est élevé au rang de priorité nationale et sa responsabilité confiée au numéro deux du gouvernement. La France vient de classer deux nouveaux sites emblématiques au patrimoine mondial de l'Unesco (coteaux de Champagne et climats de Bourgogne). Même les intermittents du spectacle se contentent, cette année, d'être sur scène plutôt que de perturber les festivals de l'été !

La France avance...

Alors, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pas si sûr, car le tourisme français - notamment dans sa dimension internationale - ressemble un peu à un village à la Potemkine : la façade reste attrayante mais, derrière, les murs commencent sérieusement à se lézarder.
Certes, avec 84 millions d'arrivées de touristes internationaux en 2014, la France conserve son rang de première destination mondiale (voir notre article du 21 juillet 2015). Ce chiffre marque une progression de 13% par rapport à 2005. L'exploit n'est pas mince, car il faut se rappeler qu'au début de la décennie, le secrétaire général de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT) estimait que la Chine pourrait dépasser la France dès 2015 (voir notre article ci-contre du 8 avril 2010). Or, l'an dernier, la Chine a accueilli 55,6 millions de touristes internationaux (dont une bonne partie de Chinois de la diaspora). Elle reste classée au quatrième rang mondial et affiche même un recul de 0,1%.

...et recule

Mais la réalité est que si la France progresse, elle avance beaucoup moins vite que ses concurrentes et se fait donc rattraper. Au début de l'année, l'Alliance 46-2 tirait la sonnette d'alarme (voir notre article ci-contre du 18 février 2005). Cette structure informelle regroupe 21 grandes entreprises leaders dans le secteur du tourisme et les activités connexes (Accor, Aéroports de Paris, Club Méditerranée, Euro Disney, Groupe Pierre & Vacances, SNCF, Viparis, Galeries Lafayette, mais aussi la Caisse des Dépôts). Dans une note, l'Alliance 46-2 rappelait que "sur les dix dernières années, la croissance des arrivées de touristes étrangers en France a été la plus faible parmi les dix premières destinations touristiques mondiales".
Car, en face des 13% de croissance des arrivées de touristes internationaux en France, les autres pays du Top Ten affichent des progressions souvent très supérieures sur la même période 2005-2014 : +52% pour les Etats-Unis (deuxième destination mondiale), +17% pour l'Espagne (touchée par la crise), +55% pour la Chine, +32% pour l'Italie, +67% pour la Turquie, +18% pour le Royaume-Uni, +53% pour l'Allemagne...
La situation ne s'est pas améliorée en 2014, puisque la France a stagné (+0,2%), dans un contexte pourtant très porteur pour le tourisme international : +4,4% (dont +3% en Europe), avec un total de 1,135 milliard de touristes internationaux. Dans le même temps, les Etats-Unis voyaient leurs arrivées progresser de 6,8% et l'Espagne de 7,1%. Et, du côté des capitales, Paris se bat avec Londres pour conserver son rang de première ville touristique mondiale, même si nos amis anglais n'hésitent pas à jeter le fair-play aux orties pour biaiser la présentation de leurs résultats (voir notre article du 11 mars 2014).
Le résultat de ce déclin relatif ne s'est pas fait attendre. En 2014, la France a ainsi perdu son troisième rang mondial en termes de recettes tirées du tourisme international (voir notre article du 28 avril 2015). Elle est ainsi descendue du podium au profit de la Chine, les deux premières places restant occupées par les Etats-Unis et l'Espagne.

84 ou 70 millions de touristes internationaux ?

Le déclin relatif de la France en matière de tourisme international - pointé du doigt par l'Alliance 46-2 et d'autres acteurs du secteur - est donc bien réel. Mais quelles en sont les causes et, par conséquent, les remèdes possibles ? L'enjeu de la question n'est pas mince, alors que le secteur touristique représente désormais 7% du PIB.
Côté positif, les atouts de la France sont bien connus et demeurent constants : la diversité des paysages et de l'offre touristique (mers, montagnes, campagnes, grandes villes...), la richesse du patrimoine, la qualité des infrastructures de transports, le niveau d'équipements touristiques, la position géographique stratégique en Europe, l'image glamour...
Mais les faiblesses sont tout aussi connues et tendent également à devenir des constantes. La première est la difficulté chronique de la France à faire dépenser les touristes qui lui rendent visite. La première destination touristique mondiale ne pointe désormais qu'au quatrième rang en termes de recettes. Cette faiblesse française coûte cher - avec le niveau de dépenses par touriste de l'Espagne, les recettes augmenteraient de 15 milliards d'euros -, mais sa cause est en partie... géographique.
Du fait de sa position en Europe, la France est en effet aussi un pays de transit. De nombreux touristes des pays voisins la traversent sans s'y arrêter ou presque, et donc pratiquement sans dépenser. Ce qui n'est pas le cas des Etats-Unis, de l'Espagne et encore moins de la Chine. Si on ne prenait en compte que les "vrais" touristes étrangers - ceux qui viennent en France pour y séjourner, même pour une courte durée -, le nombre d'arrivées internationales serait de l'ordre de 70 millions par an. Mais la France se retrouverait alors derrière les Etats-Unis (75 millions de touristes internationaux) et talonnée par l'Espagne (65 millions)...

L'accueil, toujours

A cette faiblesse première s'en ajoutent d'autres. La France est mal placée en termes de rapport qualité-prix et certains de ses équipements nécessitent une sérieuse remise à niveau. C'est le cas notamment de l'hôtellerie, des résidences de tourisme ou des stations de montagne. Même si des efforts sont nécessaires - et souvent engagés dans certains secteurs -, la situation n'est toutefois pas catastrophique. En mai dernier, le World Economic Forum de Davos classait ainsi la France au second rang - derrière l'Espagne - de son "indice mondial 2015 de compétitivité des voyages et du tourisme".
Plus inquiétant : la qualité de l'accueil - telle qu'elle ressort notamment des nombreuses enquêtes internationales sur le sujet - laisse encore à désirer. Un récent rapport d'information de l'Assemblée nationale pointe d'ailleurs les faiblesses en la matière (voir notre article ci-contre du 24 juillet 2015). Parmi les nombreux points à améliorer, le rapport cite notamment la sécurité des visiteurs, la diversification de l'offre d'hébergement, l'amélioration des "lieux d'entrée" des touristes internationaux (gares, aéroports), mais aussi - vaste chantier - la nécessité de "faire évoluer le regard de la population française", autrement dit l'attitude des Français vis-à-vis des touristes.

Marketing et professionnalisation à revoir

Le rapport de l'Assemblée souligne également les carences du marketing touristique et de la professionnalisation du secteur, autre point faible traditionnel : manque de lisibilité de l'offre, moyens limités d'Atout France pour promouvoir la destination, dispersion des priorités et des messages, faible niveau moyen des travailleurs du tourisme - la moitié des salariés n'ont pas le bac - et maîtrise très aléatoire des langues étrangères par les professionnels et les autres secteurs concernés (les taxis, par exemple)...
On pourrait ajouter le désintérêt des grandes écoles et de leurs étudiants pour le secteur et, par voie de conséquence, le manque de cadres supérieurs et dirigeants de haut rang.

Priorité nationale ou état d'urgence ?

Ce tableau plutôt sombre peut sembler paradoxal, alors que le secteur du tourisme bénéficie, pour la première fois depuis très longtemps, d'un portage politique de haut niveau - du moins dans sa dimension internationale -, en la personne de Laurent Fabius, le numéro deux du gouvernement derrière Manuel Valls. Le ministre des Affaires étrangères s'est rapidement saisi du dossier et a fait du développement du tourisme international une priorité politique - le tourisme étant même qualifié de "trésor national" -, avec un objectif affiché de 100 millions d'arrivées (voir nos articles ci-contre du 19 et du 26 juin 2014).
Et les décisions n'ont pas manqué depuis lors (voir nos articles ci-contre du 19 juin 2014 et du 12 juin 2015) : création du Fonds d'investissement tourisme (FIT) géré par la Caisse des Dépôts, mesures de simplification législatives (voir notre article du 30 mars 2015), mise en place de cinq "pôles d'excellence", possibilité élargie d'ouverture des magasins le dimanche dans les zones touristique, création du site portail "Le bon guide" (voir notre article du 23 juin 2015), délivrance des visas en 48 heures dans plusieurs pays d'origine des touristes, campagne de communication sur la qualité de l'accueil et même le projet - apparemment au point mort - d'un "forfait taxi" entre Roissy et Paris...

Une course d'obstacles

Il reste que cet activisme bienvenu au regard des enjeux économiques se heurte à au moins trois obstacles. Tout d'abord, la faiblesse des budgets : pour ne prendre qu'un exemple, l'apport financier de l'Etat aux contrats de destination est dérisoire, comme Laurent Fabius l'a lui-même reconnu lors de la signature des derniers contrats (voir notre article ci-contre du 30 juin 2015).
Ensuite, la dichotomie qui se creuse entre tourisme international - porté au plus haut niveau - et tourisme national - qui n'est plus porté que par la direction générale des entreprises à Bercy - pourrait se révéler contreproductive à terme, tant les deux dimensions sont étroitement imbriquées sur le terrain.
Enfin, la gouvernance locale du tourisme laisse toujours sérieusement à désirer. La loi NOTRe (nouvelle organisation territoriale de la République) n'a rien tranché en la matière - même si les intercommunalités sont sans doute appelées à jouer un rôle croissant dans les prochaines années - et les guerres touristiques picrocholines se poursuivent entre collectivités...
A ce jour, on rangera sans conteste à l'actif du bilan la prise de conscience de l'urgence de redresser la barre. Il reste maintenant à savoir si les réponses politiques et la mobilisation de l'ensemble des acteurs - collectivités comprises - seront réellement à la hauteur des enjeux.

 

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