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Services publics - Les députés cherchent à neutraliser l'échec français sur la directive Concessions

La réforme européenne des délégations de service public entraîne des conséquences qui auraient été sous-estimées par la France, dépassée par le puissant lobbying de Berlin.

S'il fallait illustrer une contre-performance française à Bruxelles, la directive sur les concessions aurait toutes les chances d'être citée dans le palmarès des revers les plus cinglants.
Proposée par un Français (le commissaire Michel Barnier), négociée par un Français (l'eurodéputé Philippe Juvin), elle offre un cadre sur-mesure pour l'Allemagne, qui a obtenu toutes les dérogations possibles pour ses "stadtwerke". Au final, le marché allemand de la distribution d'eau reste fermé, mais les entreprises d'Outre-Rhin pourront prospecter des contrats dans d'autres pays. Autant dire que les géants français du secteur, comme Suez ou Veolia, sont dans leurs petits souliers.

Curieuse récompense

Les collectivités françaises, de leur côté, ont dû s'adapter à la jurisprudence européenne en créant des structures entièrement publiques (SPL) ou en procédant à un appel d'offres pour confier une prestation à une société d'économie mixte. Mais elles sont curieusement récompensées. La directive leur permet théoriquement de revenir au système antérieur... réduisant à peu de choses les travaux menés ces dernières années (loi sur les SPL de 2010) pour ne pas fausser la concurrence.
Ce diagnostic n'est pas nouveau : pendant près de deux ans, un lent glissement s'est opéré. Le dossier a été fermement repris en main par Berlin, tout en échappant à la France, qui semble avoir seulement misé sur l'exclusion du secteur de l'énergie, qu'elle a obtenue, puisque les monopoles de GRDF et ERDF ne sont pas égratignés par le texte...
Mais des incertitudes fortes demeurent sur l'impact économique des nouvelles règles dans les autres secteurs. "L'affermage est mort", lâche le député Gilles Savary, co-auteur d'un rapport présenté le 4 février en commission des affaires européennes (le rapport devrait être prochainement en ligne sur le site de l'Assemblée). Ce type de contrat lie une collectivité à une entreprise, lorsque cette dernière n'a pas à procéder à d'importants investissements. Dans ce cas, la directive limite la durée du contrat à 5 ans, un délai qui rendrait l'affermage "trop risqué" estiment les députés, car insuffisant pour permettre aux opérateurs de vraiment rentabiliser leur activité.

Appel à la désobéissance

Pour les autres types de délégations de service public, la durée du contrat pourra excéder 5 ans, à condition d'être calculée à l'aune des investissements induits par la mise en place du service. Mais la directive demeure relativement floue sur le périmètre de ces coûts. Les députés proposent d'en donner une définition large, lors de la transposition du texte, afin d'englober les "investissements financiers, humains et de recherche". Problème, si des dépenses supplémentaires imprévues doivent être réalisées, la collectivité est vite amenée à devoir tout remettre à plat en lançant un nouvel appel d'offres, dès lors que l'investissement dépasse 5 millions d'euros. Un seuil "dérisoire", estime Gilles Savary, dès que l'on a affaire à de grosses infrastructures (usine de traitement des eaux, aqueduc…)
Autre ligne rouge : le devenir de la gestion en régie qui, en France, permet l'attribution directe de contrats, lorsque l'actionnariat de l'entreprise est entièrement public et que celle-ci opère seulement pour le compte de la collectivité à laquelle elle est rattachée. Innovation de la directive, les entreprises publiques pourront demain réaliser 20% de leur chiffre d'affaires auprès d'autres clients…
Pour une grosse Stadtwerke comme celle de Munich, l'activité pouvant être réalisée à l'extérieur atteindrait 800 millions d'euros, évalue Gilles Savary, qui préconise de "coller le plus possible à la loi Sapin", en lui faisant subir le moins de changements. Un appel à la désobéissance ? Presque.
Il faut que la France ait une "transposition d'assez mauvaise grâce, qu'elle soit un peu résistante", sourit Gilles Savary. Maintenir l'interdiction, pour une entreprise publique locale, de prospecter de marchés ailleurs ne devrait pas lui attirer les foudres de la Commission…

"Je n'ai jamais vu ça"

Ironiquement, la France se montre de fait plus exigeante en matière de concurrence. En agissant ainsi, elle cherche à éviter l'attribution de contrat sans appels d'offres au profit d'entreprises publiques qui jouent sur deux tableaux et peuvent même disposer d'une dose de capital privé…
Ces revendications sont défendues vigoureusement, mais bien tardivement, ce qui ne manque pas d'interroger la stratégie de la France sur ce dossier. "Je n'ai jamais vu ça", se désespère Gilles Savary, qui a fait ses gammes au Parlement de Strasbourg avant de siéger l'Assemblée. "Nous avons laissé les Allemands baisser le grammage de leurs véhicules automobile", au prétexte que leur industrie produit "de grosses cylindrées". Mais "la France a été incapable de dire qu'elle n'avait que des grosses cylindrées en matière de délégation de service public" et qu'il en relevait de sa "compétitivité mondiale".