Les effets attendus du "décrochage démographique" sur le marché du travail

Antoine Foucher, président du cabinet Quintet, publie une contribution dans la Collection du Plan proposée par le Haut-commissariat à la stratégie et au plan qui s’attache à décrypter l’impact du "décrochage démographique" sur le marché du travail.

Le décrochage démographique "fait entrer les entreprises et les salariés dans une nouvelle époque" avec pour horizon une contraction de la population active attendue dès 2035. Un phénomène, souligne l’auteur de l’étude, Antoine Foucher (cabinet Quintet), "inédit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale". 2035, c’est le pic au-delà duquel la population active va décroître. Après une période 1945-1960 où l’on recensait en moyenne 20 millions de personnes actives sur le marché du travail, celui-ci a connu jusqu’en 2010 une forte croissance (30 millions de personnes) avec près de 200.000 nouveaux arrivants chaque année sur le marché, combinée à un ralentissement de l’économie qui depuis le milieu des années 70 contribue à la hausse du chômage.

Le premier impact observable depuis 2014, c’est le ralentissement de l’augmentation de la population active dont le principal effet a consisté à faire diminuer le taux de chômage qui se situe actuellement autour de 7,5%. A l’horizon 2035, la raréfaction de la main-d’œuvre - "qui a déjà commencé à produire ses effets" - va changer "structurellement la donne sur le marché du travail", prévient ainsi Antoine Foucher qui anticipe "5 révolutions" à venir.

Sortie "définitive" du chômage de masse ?

Déjà, les enquêtes de besoins de main-d’œuvre produites par France Travail montrent que les tensions de recrutement augmentent. Des difficultés qui concernent tous les territoires (42% des entreprises franciliennes et jusqu’à 57% des entreprises de Nouvelle-Aquitaine), toutes les typologies d’entreprises (45% des grandes entreprises et 50% des TPE) et qui n’épargnent aucun secteur d’activité. Depuis un an, relève l’auteur, le ralentissement de l’activité a rendu ces tensions "provisoirement moins fortes", même s’il ne s’agit là que d’une situation transitoires, insiste-t-il.

Le second sujet, selon lui, c’est la sortie "définitive" du chômage de masse que la France est en train de vivre. L’effet du ralentissement économique puis la stagnation démographique ont comme conséquence que "dorénavant, l’économie n’a plus besoin de créer beaucoup d’emplois pour limiter ou faire diminuer le chômage", soit l’avènement d’une ère nouvelle dans laquelle "une faible croissance et un faible chômage peuvent aller de pair". Il cite à l’appui de sa démonstration le cas de l’année 2024 où le pays n’a pas créé d’emplois supplémentaires tout en connaissant une diminution du chômage qui est passé de 7,5 à 7,3% de la population active.

En parallèle, le rapport de force entre salariés et employeurs tend à s’inverser, constate Antoine Foucher. Depuis une quarantaine d’années, le chômage de masse a instauré chez les travailleurs un sentiment d’insécurité qui a largement "avantagé les employeurs". Désormais, les recrutements deviennent plus longs, plus difficiles aussi car les salariés hésitent moins à faire jouer la concurrence et à quitter un emploi en CDI pour un autre. Sur les quatre dernières années, on a ainsi enregistré 2 millions de démissions de CDI auxquelles s’ajoutent 500.000 ruptures conventionnelles. Une fois dit cela, Antoine Foucher bat en brèche l’idée selon laquelle les salariés, notamment les plus jeunes, "ne voudraient plus travailler". Il estime pour sa part que "cette impression ne résiste pas à l’analyse et aux données objectives" car lorsqu’ils démissionnent, c’est bien pour aller occuper un autre emploi : 80% d’entre eux sont d’ailleurs à nouveau en emploi six mois après leur démission.

Les générations actuellement en emploi ne travaillent pas moins que leurs aînés

L’autre révolution, c’est celle du temps passé à la retraite qui tend à diminuer. Certes, le temps de travail a lui aussi diminué de manière constante depuis l’après-guerre. Mais désormais, ce n’est plus le cas d’une génération sur l’autre, au contraire même : les générations au travail aujourd’hui sont les premières depuis 1945 qui ne travaillent pas moins que leurs aînés. Le temps passé à la retraite a ainsi commencé à diminuer sous l’effet de l’allongement de la durée de cotisation. En 1993, il fallait avoir travaillé 37,5 ans pour partir à la retraite ; en 2023 on est passé à 40 ans puis 43 ans prévus en 2027. L’espérance de vie à 60 ans a augmenté de 2,3 ans pour les femmes et de 3,3 ans pour les hommes. Les durées de cotisations augmentent donc légèrement plus vite que l’espérance de vie à 60 ans ; un phénomène qui devrait s’accélérer, prévient l’auteur.

La cinquième révolution à l’œuvre, c’est celle liée à la dimension économique de l’immigration. Selon l’Insee, plus de 50% de la population immigrée en France a entre 25 et 54 ans. Une population en âge de travailler qui affiche cependant un taux de chômage de 11%, soit 3,5 points au-dessus de la moyenne nationale. Au rythme des cinq dernières années, "l’immigration annuelle est équivalente, en force de travail, à une augmentation de 1,5 à 2 mois de durée de cotisation pour les travailleurs". Antoine Foucher en conclut que l’immigration, à son rythme actuel, apporte en 6 à 8 ans une force de travail équivalent à une augmentation d’une année de travail pour partir à la retraite. A l’inverse, une immigration zéro pendant la même durée nécessiterait une année de travail supplémentaire afin de combler le déficit.

Du point de vue du chômage, toujours au rythme des cinq dernières années, "une année d’immigration équivaut en force de travail supplémentaire à une réduction de 0,3 à 0,5 points de chômage". Cependant, "atteindre le plein emploi permettrait du strict point de vue de la force de travail, de se passer de 7 à 10 ans d’immigration au rythme actuel".

 

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