Accès aux soins - Les restrictions d'accès à l'aide médicale définitivement adoptées

La commission mixte paritaire a entériné le 5 mai l'article 17 ter du projet de loi relatif à l'immigration, qui restreint l'accès des étrangers à l'aide médicale de l'Etat (AME). Explications.

Sans surprise, la commission mixte paritaire (CMP), réunie le 5 mai, a entériné la rédaction de l'article 17 ter du projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité. Celui-ci, qui restreint l'accès des étrangers à l'aide médicale de l'Etat (AME), a donné lieu à d'âpres discussions (voir nos articles ci-contre) et à une opposition entre l'Assemblée nationale et le Sénat, qui souhaitait lever cette restriction et n'a finalement pas obtenu gain de cause. En l'occurrence, la CMP a repris la rédaction adoptée par l'Assemblée en seconde lecture du texte (voir notre article ci-contre du 15 mars 2011).

De la loi de 1998 à l'article 17 ter

Pour comprendre la mesure adoptée, il faut revenir à la loi du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile. Celle-ci a notamment autorisé la délivrance d'une carte de séjour temporaire à un étranger lorsque son "état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire". Dans ce régime, la décision d'admission au séjour est prise par le préfet - après avis d'un médecin de l'agence régionale de santé (ARS) territorialement compétente - ou, à Paris, du médecin chef de la préfecture de police. Les conditions de délivrance de cette carte de séjour temporaire en raison de l'état de santé faisaient l'objet d'une interprétation du Conseil d'Etat, selon laquelle "la circonstance que [le demandeur] serait originaire d'une région éloignée des structures médicales appropriées et qu'il aurait des difficultés financières à assumer la charge du traitement de sa maladie [dans son pays d'origine] est, en tout état de cause, sans incidence sur l'existence de soins appropriés à sa pathologie dans son pays d'origine". Ceci conduisait donc le juge administratif à fonder sa décision sur l'existence ou l'absence de soins appropriés à la pathologie dans le pays d'origine.

Dépenses d'AME et évolution de la jurisprudence

Mais, au-delà des considérations politiques, deux éléments ont joué dans la remise en cause de la disposition de 1998. Il s'agit, d'une part, de la forte croissance des dépenses d'AME, doublée - jusqu'à l'an dernier - d'une sous-évaluation systématique des inscriptions budgétaires. L'argument du dérapage des dépenses est toutefois contesté à la fois par le récent rapport de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances sur l'AME (voir notre article ci-contre du 6 janvier 2011), mais aussi par le rapporteur des crédits de la mission Santé au Sénat (voir notre article ci-contre du 3 décembre 2010). Ce dernier démontre notamment que "l'augmentation des dépenses liées à l'AME au cours des huit dernières années, soit 43%, [n'est] pas disproportionnée par rapport à celle de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), de 35%, d'autant que l'état de santé moyen des titulaires de l'AME est vraisemblablement moindre que celui de la population générale". Le second facteur explicatif tient à l'évolution de la jurisprudence de Conseil d'Etat. Dans deux arrêts du 7 avril 2010, celui-ci a en effet considéré que la condition d'accès "effectif" aux soins suppose que, si le traitement existe, il soit également accessible à l'ensemble de la population du pays concerné "eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement". Cette interprétation, plus généreuse que le texte de 1998 et son interprétation retenue jusqu'alors par la jurisprudence, a fait craindre un afflux de demandes impossibles à écarter. Thierry Mariani - auteur de l'amendement à l'origine de l'article 17 ter et qui était alors député avant de devenir secrétaire d'Etat aux Transports en novembre dernier - explique que l'objet de cette modification est de revenir à l'esprit et à la lettre du texte de 1998.

Un impact négatif sur la santé publique ?

Même s'il est difficile d'anticiper l'interprétation qui en sera donnée, l'article 17 ter va en réalité plus loin que le texte de 1998, puisqu'il remplace les mots "qu'il ne puisse effectivement bénéficier" par les mots "de l'indisponibilité". Or un traitement peut être disponible dans le pays d'origine, sans que la personne malade puisse pour autant y accéder pour diverses raisons (coût, absence de couverture sociale, ségrégation...). L'article 17 ter prévoit néanmoins une possibilité de déroger à cette nouvelle règle de l'indisponibilité en cas de "circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé".
Comme tout au long de la procédure parlementaire, les associations ont vivement réagi à la décision de la CMP. L'un des arguments avancés - au-delà de la dimension humanitaire - est que la mesure va conduire à ne pas soigner des étrangers présents sur le sol français et porteurs de maladies transmissibles (comme la tuberculose), ce qui risque de nuire à la santé de l'ensemble de la population. Dans un communiqué du 4 mai, Médecins du monde annonce ainsi qu'"en tout état de cause, nous, médecins, continuerons à soigner toutes les personnes nécessitant des soins, quels que soient leur nationalité et leur statut administratif, conformément à nos principes déontologiques".

Jean-Noël Escudié / PCA

Références : projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (texte élaboré par la commission mixte paritaire le 4 mai 2011). 

 

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