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Transports - Libéralisation du transport interrégional par autocar : inquiétudes pour certaines lignes de train

Le projet de libéralisation des liaisons interrégionales par autocar, annoncé le 15 octobre par le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, a été comme on pouvait le prévoir diversement accueilli. Il suit pourtant en grande partie les recommandations de l'Autorité de la concurrence, qui prônait en février un développement de l'autocar complémentaire au train. Et soulignait que seuls 0,0005% des voyages longue distance en France sont effectués en autocar, contre 4% en Grande-Bretagne ou 5% en Suède. Eurolines (groupe Transdev) et iDBUS (SNCF) se partagent aujourd'hui ce marché en France. 61 villes françaises sont ainsi desservies via 175 liaisons, dont 10 représentent 75% de la demande, et sont parallèles à des lignes TGV.
Le développement voulu par le gouvernement devrait "redynamiser l'ensemble des territoires et plus particulièrement (...) ceux qui ne bénéficient pas d'une desserte en transports collectifs efficace et abordable", a noté dans un communiqué la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV), organisation professionnelle de ce secteur. Par exemple l'axe Lyon-Clermont-Ferrand-Bordeaux, cite son président Michel Sey. Pour lui, sur des "liaisons ferroviaires régionales chères et peu fréquentées, le car offre une réponse plus souple, plus pertinente, avec plus de fréquence. (...) Il ne faut pas concurrencer les modes, juste réfléchir à l'organisation de la mobilité".
Le transport par autocar "permet de couvrir des territoires où il n'y a pas d'infrastructure ferroviaire, à des prix intéressants", note également Laurent Mazille, directeur des relations institutionnelles de Transdev. Le groupe public, qui détient Eurolines, est un fervent supporteur de ce projet, et évoque un total de "plus de 40 liaisons" à créer pour l'ensemble des acteurs. Tous mettent cependant en avant la nécessité d'un régulateur, qui pourrait être l'actuel gendarme du rail, l'Araf.

Complémentarité jugée nécessaire avec les TER

Aujourd'hui, des trajets ne peuvent être effectués en autocar que si une collectivité locale signe une convention avec la société de transport, ou si le véhicule effectue un trajet international, quitte à ce qu'il desserve plusieurs villes françaises et aille terminer son trajet juste derrière la frontière. Edward Hodgson, directeur général de la compagnie megabus.com déplore, dans un communiqué, la "législation quelque peu archaïque" qui existe en France, et se satisfait du projet de loi annoncé par Emmanuel Macron, qui "va permettre de meilleures connexions entre les villes (...) (et) va booster le tourisme et l'économie locale". Les transporteurs brandissent aussi l'argument écologique car selon eux, il est bien loin, le temps du vieil autocar brinquebalant, bruyant et polluant. "Ce n'est pas vraiment un procès qu'on peut faire. Mieux vaut 50 personnes dans un autocar que 50 personnes dans leurs voitures", affirme Laurent Mazille. "Les autocars sont dotés de moteurs à la norme Euro 6, avec quasiment zéro émission de particules", explique Michel Seyt, décrivant des bus "d'un très grand confort, modernes, connectés" et un "taux d'accident mortel en France extrêmement faible".
Autorités organisatrices du transport express régional (TER) et très bientôt en charge de l'organisation des transports routiers interurbains, les régions sont plutôt circonspectes. Elles ont averti, via un communiqué de l'Association des régions de France (ARF), qu'elles "seront vigilantes à ce que les choix du gouvernement en faveur de la libéralisation des liaisons par autocar ne puissent se faire au détriment de l'action menée en faveur des TER depuis de longues années". Actuellement, sur l'ensemble des lignes TER, 260 sont ferroviaires, et 240 routières. Les régions insistent sur la nécessité de "maintenir la complémentarité avec le rail et les trains express régionaux (TER)". Selon l'ARF, l'évolution voulue par le gouvernement, "qui se traduira par un report vers la route, sera lourde de conséquences structurelles, à la fois pour le secteur ferroviaire et par rapport à la place de l'automobile dans les territoires." L'association relève que le secteur ferroviaire est "déjà fragile à cause du manque de financements publics, d'une dette abyssale, d'une faible productivité de la SNCF et de RFF, d'une baisse de fréquentation, pour partie déjà sous l'effet du covoiturage, et d'une baisse des recettes." Elle s'interroge enfin "sur la cohérence de la politique des transports de la France", qui "privilégie la concurrence du rail par la route, plutôt que la concurrence au sein du mode ferroviaire".

Méfiance des usagers

La Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) se montre aussi très réservée. Selon elle, des liaisons routières régulières sont nécessaires sur des itinéraires actuellement non desservis par le train. Mais si ces liaisons se multiplient à l'initiative des seuls transporteurs routiers, elle craint que l'autocar devienne "un concurrent et non un complément du train". "La libéralisation du transport par autocar ne doit pas menacer la pérennité des services ferroviaires, déjà fragilisés par la concurrence de l'avion à bas coût, de l'autocar caboteur et du covoiturage", prévient-elle. Pour la Fnaut, cette libéralisation est donc "prématurée" car "elle doit être précédée d'une forte amélioration de la qualité et de la productivité du système ferroviaire", amélioration "qui ne doit pas résulter d'une réduction de l'offre à une minorité d'axes à fort trafic mais d'une valorisation du réseau ferré classique". La Fédération formule donc plusieurs exigences : une libéralisation du transport par autocar "régulée par les pouvoirs publics" et "précédée de l'introduction de la concurrence dans le secteur ferroviaire sous forme de délégations de service public comme dans le transport urbain ou départemental", l'organisation par l'Etat et les régions, dans le cadre d'"un schéma national de mobilité" de l'ensemble des services de voyageurs à longue distance, ferroviaires et routiers, ainsi que l'attribution à l'Araf de fonctions intermodales.