Maintien à domicile : une tutelle unique des départements fait craindre aux gestionnaires une amplification des inégalités territoriales

Dans un courrier adressé au Premier ministre, 18 organisations dont l'Unccas et l'Uniopss alertent sur les disparités territoriales déjà importantes dans le secteur en lien avec les politiques départementales. Elles appellent à préserver la cinquième branche de la sécurité sociale en tant que garante de la solidarité nationale, rejoignant en cela l'appel qu'avaient lancé onze anciens ministres de la Santé le 18 novembre dernier. Pour l'économiste de la santé Frédéric Bizard, il importe pourtant de remettre au centre l'objectif de "territorialisation de la santé", ce qui passe selon lui avant tout par un renforcement de l'échelon départemental.   

Les départements pourraient devenir l'autorité unique en matière de maintien à domicile des personnes en perte d'autonomie : c'est en tout cas le scénario souhaité par le Premier ministre Sébastien Lecornu, ce qu'il vient de confirmer par courrier aux départements (voir notre article). L'annonce a fait bondir 18 réseaux – du public, du privé et du non-lucratif - représentatifs des établissements et services médico-sociaux (ESMS), dont l'Uniopss, l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas), la Fédération hospitalière de France (FHF) ou encore la Fnadepa et l'UNA (1). 

Aide à domicile : les professionnels "les plus paupérisés" et les disparités territoriales "les plus flagrantes"

"Une telle décision constituerait une rupture majeure dans l’organisation de la protection sociale, avec des conséquences lourdes pour les personnes les plus vulnérables", alertent ces acteurs. Pour ces derniers, l'aide à domicile constitue déjà le "secteur où les professionnels sont les plus paupérisés, qui est le moins renseigné par des données robustes et où les disparités territoriales sont les plus flagrantes". Or, les organisations estiment que "les chiffres sont sans appel" : "les crédits de la branche Autonomie ont évolué au rythme des besoins et des coûts, et leur répartition a été équitable sur tout le territoire" depuis cinq ans, tandis que dans certains territoires "les financements départementaux – prestation dépendance, tarifs d’hébergement, aides individuelles – n’ont pas suivi l’inflation". 

Ainsi, "loin de réduire ces inégalités, le transfert envisagé les amplifierait", affirment ces réseaux, qui estiment également qu'ils doivent se battre pour que l'ensemble des départements financent bien les revalorisations salariales actées pour les établissements et services. Les organisations saluent à l'inverse l'expérimentation en cours du forfait unique confié aux ARS et fusionnant le financement des sections soins et dépendance, qualifiée à la fois de "simplification" et de mesure permettant de "corriger les inégalités territoriales". 

Une branche Autonomie vidée de son sens ? 

"C’est précisément pour garantir une solidarité nationale et rétablir l’équité que la cinquième branche de la sécurité sociale a été créée", ajoutent-ils, considérant que le transfert envisagé reviendrait à "vider de son sens" cette branche Autonomie en transformant la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) en "banque des conseils départementaux". Ce serait pour eux "[détourner] la sécurité sociale de sa mission première : protéger tous les citoyens, quel que soit leur lieu de vie". 

Les organisations représentatives des établissements et services rejoignent en cela les arguments mis en avant par onze anciens ministres le 18 novembre dernier dans une tribune au Monde (voir l'encadré à notre article). "En évoquant un transfert d’une part de contribution sociale généralisée et l’attribution parallèle d’une compétence santé aux départements, le premier ministre rompt avec un principe majeur de la Sécurité sociale de 1945 qui inscrit la 'Sécu' comme un système complet de protection sociale garanti par la solidarité nationale", ont-ils notamment alerté, appelant à "imaginer les inégalités territoriales qu’une telle approche pourrait induire, les effets de clientèles, de baronnies locales". 

"L’échec des ARS est aussi l’échec de la territorialisation de la santé"

C'est bien pour "unifier les politiques de santé" que les agences régionales de santé (ARS) avaient été créées en 2010, rappellent les anciens ministres. La double ambition de concilier coordination et prise en compte des spécificités territoriales "reste nécessaire, même s’il faut la faire évoluer pour être plus proche du terrain, en sachant déroger parfois à certaines normes nationales", estiment-ils, l'actuelle ministre de la Santé ayant exprimé peu ou prou la même idée devant les maires le 18 novembre. 

Pourtant, "le bilan objectif des ARS conduit à un constat d’échec", de l'avis de l'économiste de la santé Frédéric Bizard, qui s'est exprimé le 28 novembre dans La Tribune. L'échec est à la fois pour les usagers du système de santé – "dégradation de l'accès aux soins" et "faiblesse de la prévention" –, pour les professionnels et les élus locaux – "qui jugent [les ARS] globalement trop technocratiques et pas assez réactives", argumente le fondateur de l'Institut santé. Ce dernier en veut pour preuve "le stress-test de la crise Covid" pendant laquelle "les préfectures ont dû reprendre la main, reléguant les ARS au second plan et révélant leurs limites en santé publique". 

"L’échec des ARS est aussi l’échec de la territorialisation de la santé", pointe l'économiste, qui suggère de "faire du département l’échelon territorial de référence en santé". Tout en étant plus prudent sur le rôle du département, puisqu'il propose d'y "créer des Parlements départementaux de la santé - composés d’élus et de représentants des acteurs sanitaires -, chargés du pilotage opérationnel coordonné de la politique de santé", dans lequel l'État serait "stratège", c'est-à-dire "garant de l’équité républicaine" et "soutien technique". 

  1. Les 18 réseaux signataires du courrier au Premier ministre : Adédom, ADMR, APF, CNDEPAH, Collectif domicile, Fedesap, Fehap, FESP, FHF, FNAAFP/CSF, Fnadepa, FNMF, GEPSo, Nexem, Synerpa, UNA, Uniopss, UNCCAS

 

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