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Maltraitance des enfants : la CEDH condamne la France dans l'affaire Marina

L'affaire Marina remonte à 2009. À rebours de la position de la Cour de cassation en 2014, la Cour européenne des droits de l'homme vient de juger qu'il y a bien eu violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. C'est l'Etat français qui est condamné, même si la responsabilité était largement partagée, notamment par l'ASE. Après l'annonce de cette condamnation, Adrien Taquet est revenu sur les mesures prises depuis pour éviter ce type de drames, notamment grâce aux cellules départementales de recueil et de traitement de l'information préoccupante.

Dans un arrêt du 4 juin rendu à l'unanimité des sept juges, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) – saisie par les associations Innocence en danger et Enfance et partage – condamne la France pour violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (interdiction de la torture, des traitements inhumains ou dégradants). Plus précisément, la France est condamnée pour n'avoir pas su protéger une enfant de huit ans victime de maltraitances répétées de la part de ses parents, jusqu'à son décès survenu en août 2009, qui avait alors suscité une très vive émotion (sur les circonstances de l'affaire Marina, voir le communiqué et l'arrêt de la CDEH du 4 juin 2020 et nos articles ci-dessous du 2 juillet et du 9 octobre 2014).

Des dysfonctionnements multiples

L'enquête sur cette affaire, mais plus encore la mission confiée en 2014 par la Défenseure des enfants à Alain Grévot, spécialiste de l'aide sociale à l'enfance, ont révélé une incroyable et dramatique série de dysfonctionnements. Lors du procès des parents en juin 2012 - condamnés chacun à trente ans de réclusion criminelle -, l'avocat général avait d'ailleurs souligné le "manque de clairvoyance des professionnels chargés de la protection des mineurs, dans lesquels j'inclus bien évidemment le parquet". Ces dysfonctionnements ont touché quasiment tous les acteurs concernés : quatre services de l'ASE (la famille ayant vécu dans quatre départements différents), l'Éducation nationale (sauf les enseignants qui ont effectué plusieurs signalements), la médecine scolaire, la police et la gendarmerie, les hôpitaux, les médecins, la justice... Un seul exemple : Marina est née "sous X", mais sa mère s'est rétractée et l'a reprise au bout d'un mois sans que cela n'entraîne la mise en place d'un accompagnement et d'un suivi, alors qu'il s'agit d'une situation à haut risque.

Pourtant, le 8 octobre 2014, la Cour de cassation a rejeté les pourvois des deux associations qui poursuivaient l'État pour faute lourde (voir notre article ci-dessous du 10 octobre 2014). L'arrêt considérait en effet que l'État n'avait pas commis de faute lourde et tenait compte du fait que la petite fille, auditionnée par la gendarmerie et les services sociaux, avaient toujours défendu ses parents et que ceux-ci s'étaient toujours montrés coopératifs (réponse aux convocations, acceptation des visites...), endormant ainsi la méfiance de leurs interlocuteurs.

L'État condamné, les départements mis en cause

L'arrêt de la CEDH apporte une vision différente. Certes, la Cour reconnaît "le difficile exercice auquel sont confrontées les autorités nationales dans un domaine délicat ; elles doivent trouver un équilibre entre la nécessité de ne pas passer à côté d'un danger et le souci de respecter la vie familiale". Mais, passant en revue les faits jusque dans les moindre détails (l'arrêt fait plus de 30 pages), elle met en évidence les nombreux manques de coordination, délais, retards, absences de réactions, défauts de transmission d'informations, qui ont laissé la situation perdurer et ont conduit à son aboutissement tragique. Conclusion lapidaire : "La Cour conclut que le système a failli à protéger M. des graves abus qu'elle a subis de la part de ses parents et qui ont d'ailleurs abouti à son décès. Il y a donc eu violation de l'article 3 de la Convention."

On notera au passage que si la CEDH condamne l'État français, qui était visé par le recours, la longue description des faits auquel il se livre met aussi lourdement en cause, pour leur inaction et leur manque de discernement, les services de l'ASE des départements concernés par cette sordide affaire.

Ce qui a changé depuis

Dans un long communiqué du 4 juin, le jour même de l'arrêt, Adrien Taquet "prend acte de la décision de la CEDH de condamner l'État Français". Mais le secrétaire d'État en charge de la protection de l'enfance explique que "de nombreuses mesures ont été prises pour pallier les défaillances que ce drame avait mis en lumière et pour répondre aux préconisations de la mission Grévot demandée par le Défenseur des droits". Il rappelle ainsi que "dès 2012, la loi du 5 mars a permis la transmission d'informations entre le président du conseil départemental d'origine et celui du conseil départemental d'accueil en cas de déménagement de la famille notamment lorsque la famille est concernée par l'évaluation d'une information préoccupante".

De même, il rappelle que "les lois successives du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016 et le décret du 7 novembre 2013 ont permis de mieux définir l'information préoccupante et structurer progressivement les cellules départementales de recueil et de traitement de l'information préoccupante (Crip) pour repérer les situations d'enfants en danger ou en risque de l'être, et des équipes pluridisciplinaires pour les évaluer". Et il cite, bien sûr, le plan de lutte contre les violences faites aux enfants (2020-2022), qu'il a lui-même annoncé en novembre dernier à l'occasion du 30e anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant (voir notre article ci-dessous du 21 novembre 2019). Adrien Taquet réaffirme donc "son engagement total à poursuivre les chantiers en cours sur l'ensemble des volets de son action, qui visent tous l'amélioration concrète de la politique publique de protection de l'enfance dans son acceptation la plus large".

Références : Cour européenne des droits de l'homme, cinquième section, arrêt n°15343/15 et n°16806/15 du 4 juin 2020, Affaire association Innocence en danger et association Enfance et partage c/ France.
 

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