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Protection de l'enfance - Affaire Marina : les leçons à tirer d'une tragédie

A l'occasion des 7es Assises de la protection de l'enfance qui se sont déroulées à Lille, Marie Derain - la défenseure des enfants et l'une des quatre adjoints du défenseur des droits - a présenté, le 30 juin, les conclusions de la mission consacrée à l'affaire Marina. Il s'agit en l'occurrence d'une petite fille de huit ans, morte en août 2009 sous les coups de ses parents. L'affaire est exemplaire dans la mesure où elle témoigne d'une accumulation de dysfonctionnements et d'incompréhensions, qui ont abouti à la tragédie. Lors du procès des parents en juin 2012 - condamnés chacun à trente ans de réclusion criminelle -, l'avocat général avait souligné aussi le "manque de clairvoyance des professionnels chargés de la protection des mineurs, dans lesquels j'inclus bien évidemment le parquet".

Une compte-rendu remarquable de précision

La mission a été réalisée par Alain Grevot, spécialiste de l'aide sociale à l'enfance et qui fut notamment, de 2005 à 2014, conseiller sur les questions de protection de l'enfance à l'Odas (Observatoire national de l'action sociale décentralisée). Son compte-rendu de mission d'une centaine de pages, remarquable de clarté et de précision, est d'une lecture pénible, non seulement en raison des faits rapportés, mais aussi des nombreux signaux d'alerte et des multiples occasions manquées qui auraient dû permettre de changer le cours des choses.
Avec le recul, il est frappant de constater à quel point cette affaire cumule les situations à risques et les sources d'erreurs pour les services de l'ASE et, plus largement, pour tous les acteurs de la protection de l'enfance (professionnels de santé, enseignants, hôpitaux, médecine scolaire...). A ce titre, elle constitue malheureusement un véritable cas d'école, d'où la décision de la défenseure des enfants de s'en saisir.

La litanie des occasions manquées

Marina est ainsi née sous X, mais sa mère s'est rétractée un mois après l'accouchement, sans que cette volte-face soit accompagnée par les services sociaux. De 2001 à 2007, la famille a résidé dans quatre départements - Somme, Hauts-de-Seine, Mayenne et Sarthe -, compliquant ainsi la mise en place d'un suivi et la transmission des informations. Un signalement fait au 115 par la tante de Marina - dans un contexte familial, il est vrai, passablement brouillé - n'a pas été correctement décrypté et pris en compte. De nombreux témoins non professionnels de scènes dérangeantes - qui ont témoigné au procès - n'ont pas pris l'initiative de saisir le 115.
A l'école, la mobilisation des enseignants - inquiets de la situation - s'est heurtée à un "dialogue dissonant" avec le médecin scolaire, ce qui a retardé le déclenchement du dispositif de protection de l'enfance. Le signalement finalement effectué par une école en 2008 a donné lieu à de "sérieux manquements" de la part de tous les acteurs concernés : police, gendarmerie, services sociaux, justice... La conséquence dramatique est que ce signalement a finalement abouti "à un classement sans suite aux lourdes conséquences". En juin 2009, l'équipe pédiatrique du centre hospitalier du Mans a écarté l'hypothèse d'une maltraitance, malgré les constatations sur les blessures et l'état physique de l'enfant. Enfin, le traitement d'une information préoccupante en 2009 (avant la mise en place de la cellule de recueil et de traitement des informations préoccupantes de la Sarthe) a ignoré les interrogations et informations antérieures et évalué la situation sur la seule base des conditions de vie de la famille.
S'ajoute à cette litanie de dysfonctionnements l'attitude des parents, qui ont toujours pris soin de "collaborer" avec les services sociaux (accueil dans le logement, réponse aux convocations...), ce qui est précisément l'attitude attendue par ces derniers et déjoue leur vigilance, au point de leur faire accepter les explications "accidentelles" sur les blessures de la fillette. Sans oublier le plus tragique : le fait que Marina a toujours défendu ses tortionnaires et nié toute maltraitance.

Des propositions pour améliorer le dispositif

De ce gâchis, le rapport de mission tire un certain nombre de préconisations, comme la possibilité de mener - pour un temps limité - des investigations conjointes associant enquête de police ou gendarmerie et évaluation socio-éducative, la création d'une instance départementale pluri-institutionnelle et pluridisciplinaire pour analyser les situations complexes, ou encore la réalisation d'un référentiel national sur les informations préoccupantes (une proposition que l'Igas formulait déjà dans un rapport en... 2006).
Le compte-rendu de mission préconise aussi de développer des formations communes aux différents intervenants et d'étendre à tout le territoire la mise en place d'unités d'accueil médico-judiciaires, de mettre en place un accompagnement systématique - par les services sociaux des départements - des enfants nés sous X mais dont l'un des parents se rétracte. Il recommande également de rappeler l'importance du carnet de santé et de proposer systématiquement aux parents ayant égaré ce document de s'en procurer un nouveau auprès des services compétents.
En attendant la mise en place de ces mesures, tout acteur de la protection de l'enfance gagnera à lire le compte-rendu de la mission.

 

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