Narcotrafic : "Il faut attaquer à tous les niveaux"

Lors d'un débat organisé par le Cercle des élus locaux, mardi 14 octobre, le vice-président de la région Île-de-France, Frédéric Péchenard, et le président de l’association Villes de France, Gil Avérous, ont discuté à bâtons rompus sur les enjeux de sécurité locale. Tous deux dressent le constat d'une désaffection des policiers et gendarmes du terrain et d'une dégradation de la situation.

Lors de sa déclaration de politique générale à l’Assemblée, le Premier ministre, Sébastien Lecornu, a parlé d’une "soif absolue" des Français pour la sécurité et la justice, avant de placer le projet de loi sur "les polices municipales et la sécurité du quotidien" au rang des "urgences" du moment (lire notre article du 14 octobre). Le texte préparé par le tandem Retailleau-Buffet dans le gouvernement sortant est "prêt", a-t-il dit. "On en attend beaucoup, il faut donner davantage de moyens aux élus locaux et davantage de moyens juridiques, de capacités à agir", a réagi dans la foulée Étienne Lengereau, maire de Montrouge, cofondateur du Cercle des élus locaux qui invitait, mardi soir, deux personnalités pour parler des enjeux de sécurité à quelques mois des élections municipales. Pendant une heure trente, l’ancien patron de la police nationale aujourd’hui vice-président de la région Île-de-France, Frédéric Péchenard, et le président de l’association Villes de France, Gil Avérous, maire de Châteauroux (Indre), ont débattu à bâtons rompus de ces enjeux. 

"Les dix dernières années ont été très mauvaises en termes de violences. Les homicides et tentatives avaient baissé de moitié entre 1990 et 2012. Et depuis 2014, ils augmentent de manière régulière", a avancé Frédéric Péchenard. L’une des explications réside selon lui dans "la désaffection de la police nationale et de la gendarmerie nationale sur la police de proximité". "Elles ont délaissé la rue et les incivilités. Elles ont énormément de mal à recruter pour les investigations, notamment parce que depuis les attentats de 2015 et la crise des gilets jaunes, tous les recrutements ont été mis sur le maintien de l’ordre." Et d’insister : "Plus de policiers et gendarmes et moins pour la sécurité du quotidien. Ce n’est pas un très bon signe pour notre démocratie."

La ville a profondément changé

Si la situation s’est dégradée, c’est aussi parce que la ville a profondément changé. "Depuis dix ans, les villes moyennes ont continué de subir la désindustrialisation", a exposé Gil Avérous : moins d’usines, plus d’entrepôts, poursuite de l’étalement urbain avec les grandes surfaces de périphérie, crise du commerce de centre-ville, remplacement des enseignes d’habillement ou d’équipement de la maison par de la restauration et des bars, déplaçant ainsi les activités le soir et la nuit, vie étudiante… "Dans le même temps, il y a eu la volonté de ramener des habitants en centre-ville, donc une population qui veut de la tranquillité", a rappelé l’élu. L’extension urbaine et des réseaux de transport a créé "des secteurs de plus en plus vastes à sécuriser". Gil Avérous a aussi pointé le doublement de la consommation de cocaïne en dix ans, la saturation des établissements psychiatriques (avec des patients potentiellement dangereux dans la rue), l’augmentation du nombre de sans-abri, l’immigration irrégulière et l’engorgement des tribunaux et les classements sans suite engendrant un sentiment d’impunité. Deux phénomènes attirent particulièrement son attention : l’explosion des violences intrafamiliales et les fraudes numériques. "L’environnement a beaucoup bougé en dix ans, les habitants attendent tout du maire et ont le sentiment que c’est le shérif", a-t-il déclaré. 

En contrepoint de cette demande des habitants, "on assiste à une paupérisation de la police nationale et de la gendarmerie nationale. C’est l'une des raisons pour lesquelles les policiers n’ont pas le moral", a tancé Frédéric Péchenard.

Bouclier de sécurité

Alors que le Premier ministre s’est félicité, mardi, que les budgets de la police et de la gendarmerie "ont augmenté depuis 2017", l’ex-DGPN conteste les arbitrages qui ont été faits, en privilégiant les effectifs sur les moyens mis à leur disposition. "Un certain nombre d’hommes politiques ne voient que le nombre de policiers et gendarmes. C’est une erreur fondamentale. On recrute du fonctionnaire mais pas forcément du policier (…). Il faudrait moins de fonctionnaires mais plus de policiers sur le terrain."

Face à cette dégradation, les effectifs des polices des villes moyennes ont fortement augmenté ces dernières années. Elles sont de mieux en mieux équipées, comme le montre le 7e panorama publié par Villes de France au printemps dernier (lire notre article du 23 avril). "En contrepartie, il n’y a pas eu de retour de l’État, c’est une sorte de décentralisation des compétences mais sans les moyens", a dénoncé Gil Avérous. "Il faudra que les collectivités qui jouent le jeu soient financées", a-t-il déclaré. 

Avec son "bouclier de sécurité", la région Île-de-France a souhaité aider les communes à s’équiper. "En dix ans, plus de 800 communes en ont bénéficié", a indiqué l’élu régional. Seulement, ce dispositif, qui est sur une ligne de crête juridique (les régions n’ayant pas de compétence en la matière), est sous le coup d’une procédure (lire notre article du 2 juillet). "C’est dommage parce que ça fonctionnait bien", a déploré Frédéric Péchenard, rappelant toutefois que le projet de loi sur les polices municipales pourrait mettre fin à cette insécurité juridique (lire notre article du 3 juillet).

"Les maires demandent une boîte à outils"

Mais les deux élus sont tombés d’accord pour ne pas accorder de pouvoir de police judiciaire aux policiers municipaux. Sujet au coeur du "Beauvau des polices municipales" qui a présidé à l’élaboration du projet de loi. "Je suis tout à fait hostile à ce que la police municipale ait des compétences judiciaires, la troisième force de sécurité entrera en concurrence avec les deux autres et délaissera le terrain", a affirmé Frédéric Péchenard. 

Après des mois de controverse, le débat semble aujourd’hui tranché : la version du texte dévoilée au mois de septembre ne confère par le statut d'officier de police judiciaire aux policiers municipaux, comme certains élus le demandaient. Mais il prévoit que le maire puisse décider ou non de confier certaines tâches de police judiciaire à ses policiers municipaux, "sous le contrôle direct et effectif du procureur de la République". Il s’agirait de leur permettre "de constater certains délits limitativement énumérés" (squats, consommation de drogue, vente à la sauvette…) et de "mettre en œuvre la procédure d’amende forfaitaire" pour certains délits du quotidien. 

"Les maires demandent une boîte à outils", a déclaré Gil Avérous. L’idée de confier cette qualité d’OPJ aux municipaux "n’est pas du tout consensuelle". "Cela suppose que les policiers municipaux ne soient plus sous l’autorité du maire mais sous celle du procureur. Si l’OPJ veut faire des enquêtes, ce n’est plus de la police de proximité", met-il en garde. "Aujourd’hui, il n’y a que les policiers municipaux qui sont sur le terrain", a constaté Gil Avérous.

Les deux élus plaident aussi pour un meilleur accès des policiers municipaux aux fichiers (immatriculation, personnes recherchées), tout en assurant une "traçabilité" des consultations.

Le narcotrafic : "un risque fondamental pour la démocratie"

"Les narcotrafics sont probablement le sujet le plus important aujourd’hui", a alerté Frédéric Péchenard. "On a affaire à des équipes de malfaiteurs richissimes, d’une violence inouïe, prêts à n’importe quoi, à corrompre, à assassiner… On est à la veille de ce qui s’est passé en Italie avec les Années de plomb. (…) Il y a quinze ans c’était epsilon par rapport à ce que l’on connaît aujourd’hui. C’est un risque fondamental pour la démocratie et la République. S’ils s’attaquent aux politiques, aux policiers, aux gendarmes, qui va nous défendre ? C’est d’une extrême importance." Le vice-président de région a rappelé le constat alarmant dressé par le procureur de Marseille, Nicolas Bessone, qui vient de créer une cellule spéciale anticorruption au sein de son parquet pour endiguer le phénomène.

"Des cartels ont pris position, ils sont venus dans les villes moyennes pour remplacer les dealers de quartiers", a témoigné Gil Avérous, évoquant le meurtre d’un jeune de Châteauroux en 2024 par des individus extérieurs à la ville. Pour l'ancien directeur de la police, "il faut attaquer à tous les niveaux". "La police municipale peut faire de la présence, des passages, empêcher les clients. (...) Il faut aussi taper sur les consommateurs."

 

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