Opéras : se réformer pour éviter le chant du cygne

Un rapport de la Cour des comptes attire l'attention sur les trente maisons d'opéra présentes dans les plus grandes agglomérations. Ces établissements, essentiellement financés par les collectivités locales, font face à des coûts croissants et connaissent des difficultés à diversifier leurs publics.

Des coûts croissants, une offre culturelle fragilisée ou encore une diversification des publics qui peine à s'affirmer, telles sont quelques-uns des constats dressés par la Cour des comptes dans son rapport consacré aux maisons d'opéra, publié le 17 juin.

La France compte trente opéras diffusant les œuvres lyriques et ballets du patrimoine et du répertoire contemporain. La région parisienne en concentre six, dont l'Opéra national de Paris, les autres étant implantées dans les métropoles urbaines. Au total, ils accueillent en moyenne deux millions de spectateurs par an.

Le premier phénomène marquant, souligné par la Cour des comptes, est leur grande hétérogénéité. Sur trente opéras, dix sont des régies communales ou intercommunales, trois (Lille, Rouen et Toulon) sont des établissements publics de coopération culturelle (EPCC), sept des établissements publics, cinq des associations, quatre des sociétés, deux des syndicats intercommunaux ou mixtes, deux des budgets annexes de communes et un (Vichy) un établissement public industriel et commercial (Epic).

Financement : les collectivités en chœur 

Sans surprise, les communes et intercommunalités sont les premières contributrices financières, que ce soit par les crédits budgétaires, les subventions ou la mise à disposition des locaux et, parfois, de personnels.

Selon les dernières données disponibles, les subventions publiques, hors Opéra national de Paris, s'élevaient en 2022 à 284,4 millions d'euros, soit 78% des ressources totales. La part du financement communal ou intercommunal va de 46,5%, à Lyon, à plus de 90%, en Avignon ou à Marseille. La participation des régions est généralement liée à celle de l'État – laquelle concerne vingt et un opéras, y compris en dehors de toute labellisation, appellation ou convention, et s'avère très inégale –,  tandis que celle des départements est limitée, à l'exception du Var et des Alpes-Maritimes, pour les opéras de Toulon et de Nice qui ne reçoivent aucune subvention de l'État et de la région. 

Investissements : la fausse note

Au chapitre financier toujours, la Cour des comptes insiste sur la "progression régulière" des dépenses depuis la crise sanitaire, "ce qui pose la question de la soutenabilité budgétaire de leur financement". Les dépenses de personnel constituent la principale charge (62% du total en moyenne), tandis que les dépenses d'énergie ont fortement progressé.

Mais ce sont surtout les "besoins d'investissement incontournables à la charge quasi exclusive des collectivités territoriales" pour la conservation du patrimoine, l'amélioration du confort des salles, l'accessibilité ou la sécurité qui inquiètent la Cour des comptes. Les budgets sont en effet conséquents et l'attente reste une option trop souvent choisie. Si la ville de Bordeaux a finalement relancé en 2022 un projet de rénovation, en attente depuis plusieurs années dans l'espoir d'un transfert de l'opéra à la métropole qui n'a pas eu lieu, à Marseille, aucune action n'a été menée après un chiffrage de la rénovation estimé en 2010 à 50 millions d'euros, "alors même que de nombreux équipements nécessaires sont en panne et que le théâtre ne répond pas aux normes d'accès pour les personnes à mobilité réduite".

Sur cette question, la Cour des comptes souligne que "les conventions signées avec l'État, lorsqu'elles existent, ne prévoient pas de financements spécifiques pour les investissements", et que "les subventions de l'État aux travaux sont ponctuelles et n'obéissent à aucune stratégie d'ensemble".

Rideau sur la diversification des publics

Parmi les conséquences des difficultés budgétaires, la Cour des comptes pointe l'érosion de la marge artistique qui "affecte la capacité de création". Dès lors, le recours aux coproductions ou aux achats de spectacle sont des réponses à la contrainte budgétaire avec, là  encore, une menace sur la création artistique.

Autre conséquence : alors que la diversification des publics et leur renouvellement figurent parmi les priorités de l'État et des collectivités, les obstacles à une meilleure diffusion territoriale persistent et les actions d'éducation artistique et culturelle ne concernent qu'une faible proportion d'élèves ou d'établissements. À titre d'exemple, le nombre de spectacles destinés au jeune public a diminué de moitié à Bordeaux entre 2017-2018 et 2021-2022, et à Dijon, la part du public scolaire est passée de 16,25% en 2017-2018 à 12,73% en 2022-2023. Quant au périmètre géographique du public de l'opéra, lorsqu'il est documenté, il reste le plus souvent limité à la ville principale et à son agglomération.

Ici, les moyens financiers sont moins en cause que l'absence de connaissance suffisante des publics. La Cour des comptes juge cette dernière "inégale et souvent lacunaire, alors qu'elle est essentielle aux choix de programmation des spectacles et à la mise en œuvre d'une politique tarifaire adaptée". 

L'EPCC appelé au pupitre

C'est donc l'amélioration "dans les meilleurs délais" de la connaissance des publics que demande en premier lieu la Cour des comptes dans ses préconisations, afin de construire des politiques tarifaires adaptées et une stratégie d'attractivité. Elle suggère par ailleurs de clarifier les critères retenus pour l'attribution des subventions et de prendre en compte le niveau d'exigences retenu par l'État pour le calcul de leur montant, au regard de la contribution des autres financeurs (ministère de la Culture).

Et c'est enfin – et surtout – l'adoption du statut d'EPCC par les maisons d'opéra que souhaite voir la Cour des comptes. Après avoir estimé que "la prédominance de la gestion en régie est aujourd'hui inadaptée aux besoins d'une gestion plus efficace et plus transparente, permettant d'associer pleinement l'ensemble des financeurs, autour de la mise en œuvre d'un projet artistique", elle demande au ministère de la Culture d'organiser dès 2025 une concertation avec la Réunion des opéras de France (ROF) et les collectivités concernées pour inciter à l'adoption de ce statut. Quitte à ce que les collectivités coupent "le cordon ombilical avec leur maison d'opéra et [...] se prive[nt] ainsi du pouvoir de décision dans un organisme dont elles sont les premiers financeurs". 

 

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