Quand Terra Nova cherche à se réconcilier avec le périurbain
Loin des anathèmes habituels, un rapport de Terra Nova invite à voir dans le périurbain un espace "stratégique" pour la transition écologique et l'aménagement du territoire. Il propose aux différents niveaux de collectivités de jouer une nouvelle partition.
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"Vive le périurbain !" L’approche des élections municipales n’est sans doute pas étrangère à ce cri du cœur lancé par Terra Nova, dans une note publiée le 3 décembre. De l’eau a coulé sous les ponts, depuis que ce même "think tank progressiste" appelait, en 2011, la gauche à abandonner les classes populaires, les ouvriers et les employés pour se concentrer sur l’électorat urbain, les diplômés, les jeunes, les femmes, les "minorités visibles". Désormais, l’heure est à la compréhension. Mieux, à la dénonciation d’une vision "parfois condescendante" du mode de vie des habitants de cette frange qui regroupe environ 30% de la population. "La terra incognita la plus habitée de l’Hexagone", qui a connu la plus forte croissance démographique de ces dernières décennies (+63% entre 1968 et 2011).
Il convient de "mettre à l’agenda politique ces grands oubliés des interventions catégorielles, coincés entre villes et campagnes" et de "comprendre le périurbain comme territoire stratégique de la transition écologique", considère l’auteur de cette note Jean-Marc Offner, président de l'École urbaine de Sciences Po. Par sa grande diversité (zones pavillonnaires, zones agricoles, familles modestes, cadres télétravailleurs, anciens villages et nouvelles zones d'activités...), cet "entre-deux" souvent caricaturé en "France moche" (depuis une Une de Télérama datant de 2010), associe "les territoires les plus stratégiques de la transition écologique", affirme-t-il.
Un "impensé politique et social"
Seulement les espaces périurbains restent un "impensé politique et social" (c’est déjà ce que Terra Nova disait dans une autre note datant de 2014), décrété "dangereux pour la société et mal habité" et qui concentrerait toutes sortes de tares : dépendance à la voiture, habitat énergivore, étalement urbain... "Un non-sens écologique, économique et social", pointait la ministre du Logement Emmanuelle Wargon au sujet des lotissements pavillonnaires, en 2021. Le jugement moral n'est jamais très loin.
"Le périurbain est là, il faut faire avec, sans arrière-pensée", en "commençant par l’organiser, pour le rendre à la fois plus agréable pour ceux qui y vivent et plus vertueux dans son fonctionnement collectif", rétorque Jean-Marc Offner. Il serait excessif de dire que les pouvoirs publics sont restés les bras croisés. Mais leur réponse s’est avérée trop parcellaire, juge l'auteur. À l’issue de la crise des gilets jaunes – cette révolte de la "France des ronds-points" - il y a bien eu l’Agenda rural, chargé de répondre au "sentiment d’abandon ressenti dans les zones les plus éloignées des services publics". Sentiment qui reste prononcé malgré le déploiement des maisons France services (lire notre article). Mais cet agenda, "peu en phase avec les problématiques périurbaines contemporaines", s’est trop limité aux centres-bourgs et aux "villages en quête de revitalisation". Sont venus s'ajouter toutes sortes de programmes catégoriels : "après les métropoles (attractives), les villes moyennes (et leur coeur), les petites villes (de demain), les villages (d’avenir)"… "Mais cette partition par taille, en miroir à l’organisation des associations d’élus locaux, présente deux limites : ses effets d’entraînement sont faibles ; elle évacue les potentiels de mutation liés aux interdépendances territoriales", soutient l’auteur. C’est d’ailleurs pour cette raison que les sénateurs Nicole Bonnefoy (PS, Charente) et Louis-Jean de Nicolaÿ (LR, Sarthe) plaident pour la création de "Territoires de demain" (lire notre article).
Laboratoire de transformation
"N’y a-t-il pas un raisonnement et un récit à élaborer, qui postulent une convergence entre impératifs écologiques et aspirations sociales ?", interroge Jean-Marc Offner qui invite à voir le périrubain comme un espace "stratégique" de la transition écologique et de l'aménagement du territoire. Le rapport insiste ainsi sur la nécessité d'en faire un "laboratoire de transformation", en misant sur la densification douce de l'habitat pavillonnaire, les mobilités alternatives, la requalification des zones d’activités, la relocalisation des services et la sobriété foncière… L’État et chaque échelon de collectivité aurait un instrument à jouer dans une orchestration plus harmonieuse de l'aménagement. Cheffes de file de l’aménagement du territoire, les régions pourraient ainsi créer des "COP des sols vivants et productifs" afin de planifier l’usage du foncier. Les départements, propriétaires et gestionnaires de près de 400.000 kilomètres de route, seraient appelés à jouer un rôle central dans la transition des mobilités en transformant leur réseau routier en "infrastructure multimodale" (voitures partagées, cars express, vélo, marche). Les intercommunalités élaboreraient des "agendas périurbains et les schémas de mutation des espaces ouverts". Les métropoles noueraient de nouvelles coopérations avec leur "arrière-cour", en allouant un "1% périurbain" à des projets de coopération. Les communes "restent un acteur légitime" en matière d’urbanisme et "doivent pouvoir peser dans les décisions structurantes (ZAN, EnR, planification foncière)", estime l'auteur. Quant à l'État, son rôle est de "déclencher une prise de conscience périurbaine (...) sans attendre les requêtes de l’une ou l’autre des associations d’élus locaux".