Quoi de neuf ? L'aménagement du territoire

Dans un monde en pleine ébullition (malaises territoriaux, crises écologique et énergétique...), l'aménagement du territoire est plus que jamais d'actualité. Pourtant la juxtaposition de mesures, plans et programmes le rendent aujourd'hui "introuvable". Le Cercle pour l'aménagement du territoire plaide pour son grand retour.

Soixante ans après la création de la Datar, le bien nommé Cercle pour l'aménagement du territoire (CPAT) tente de raviver la flamme. Pas dans un esprit de "refondation de ligues dissoutes", comme le dit en plaisantant son président, Nicolas Portier, mais parce que de nouveaux défis se posent aujourd'hui, qui appellent à un "renouveau", sur fond de "malaises territoriaux" que les urnes ne parviennent plus à contenir (crise des gilets jaunes, émeutes urbaines de l'été 2023…) et d'une "planification écologique" menée tambour battant, faisant parfois craindre l'avènement d'une sorte de Gosplan…

Or, noyée sous un empilement de contrats, d'appels à projets "en silo", de programmes (le dernier en date étant Villages d'avenir dont les lauréats devaient être dévoilés ce 21 décembre), cette politique nationale est devenue "peu à peu introuvable", estime le cercle de réflexion qui organisait, le 13 décembre, avec l'Institut CDC pour la recherche, un colloque sur le thème "Aménagement du territoire : l’urgence d’un renouveau", dans les locaux de la Caisse des Dépôts.

Une "politique de toute la ville"

Autour de la table, quelques grognards de l'aménagement du territoire, dont l'ancien maire d'Orléans et secrétaire d'État aux Collectivités locales, Jean-Pierre Sueur, auteur d'un ultime rapport sénatorial publié récemment : "Osons le retour de l'aménagement du territoire" (voir notre article du 12 juillet 2023). La foi semble intacte chez ce fidèle de Michel Rocard (à qui l'on doit les contrats de plan Etat-régions du temps où il était ministre du Plan et de l'Aménagement du territoire de François Mitterrand), qui plaide pour une "politique de toute la ville". "Il n’y a pas deux ministères de l’Agriculture, un pour l’agriculture qui va bien et un pour l’agriculture qui va mal", fait-il remarquer, alors qu'il existe un ministère de la Ville "qui ne s'occupe que de la ville qui va mal". Cette mise à l'écart est renforcée par la multiplication des "zonages". "Est-ce qu'il faut mettre les gens dans des zones pour faire leur bonheur ?", s'interroge-t-il, remettant aussi en cause le modèle de sectorisation des villes hérité du XXe siècle : "le centre patrimonial, les faubourgs, des périphéries verticales et horizontales (pavillons et barres d'immeubles, ndlr), des zones d'activité, des campus, des zones de loisirs, des magasins d'usines…" Et le pire, ces 500 "entrées de villes qui sont notre honte". Alors que les architectes des Bâtiments de France se montrent très tâtillons sur tel volet à proximité de sites classés, là, "ils ne sont pas compétents". Pourtant, ces "accumulations de parallélépipèdes, de cubes, de parkings", n'en constituent pas moins des verrues. Le sujet est aujourd'hui dans le viseur de l'exécutif. Mais "il faut une politique sur vingt ans" et "beaucoup de volonté", prévient-il…

Attention à mettre "les bonnes lunettes"

Nicolas Portier, lui, s'inquiète de voir se creuser les "disparités territoriales", ce que le préfet Philizot, directeur de l'Observatoire des territoires, confirme, cartes à l'appui : "U" de la croissance démographique (avec une rapidité jamais connue depuis un siècle, en opposition à des départements qui continuent d'être en déprise : Ardennes, Haute-Marne, Creuse, Cantal, Nièvre...), concentration de l'emploi, consommation foncière, dont la carte épouse plus ou moins celle de la croissance démographique, avec des exceptions de taille - la Normandie et les Hauts de France -, montrant qu'"il n'y a pas de relation directe entre les deux". "La question de l'efficacité foncière est tout à fait fondamentale aujourd'hui", souligne le préfet, jugeant "indispensable de nous armer beaucoup mieux méthodologiquement". "Est-ce que le vital n'est pas dans cette diagonale du vide ?", interroge Laurence Roux, responsable de Territoires conseils (Banque des Territoires), soulignant la vocation "contracyclique" de la Banque des Territoires.

Ce travail de cartographie est utile mais attention à mettre "les bonnes lunettes", tempère Olivier Bouba-Olga, économiste et chef du service études et prospective de la délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale de Nouvelle-Aquitaine, car les conséquences d'une mauvaise lecture peuvent être "désastreuses". Ainsi en va-t-il des oppositions rural-urbain, métropoles-France périphérique qui s'avèrent souvent "caricaturales"… D'où la nécessité d'avoir une lecture très fine, à l'échelle infradépartementale. Le chercheur est un de ceux qui ont voulu creuser le phénomène d'"exode urbain" apparu pendant la crise sanitaire, montrant qu'il était très exagéré (voir notre article du 23 juin 2023). Il met également en garde contre les réponses trop sectorielles, comme le choix de réduire les allocations de chômage comme solution au problème de recrutement des entreprises. "Très vite, on a conscience d'un mélange de problématiques de formation, de mobilité, de logement, de garde d'enfants…" Ce qui implique une réponse "multi-acteurs" et "multi-échelles". Selon lui, il faut avant tout se "réinterroger" sur le but de l'aménagement du territoire. Plutôt que de toujours aspirer à l'augmentation de la population, par exemple, l'enjeu est aujourd'hui "comment assurer le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires".

Une planification écologique "truffée de conflits"

Ce pourrait être l'objectif de la planification écologique et des COP régionales en cours de signature. Pour le CPAT, "de nouveaux compromis, à diverses échelles, seront à construire rapidement pour répartir de manière équitable les efforts de sobriété et localiser les équipements énergétiques d’une société post-carbone". Mais cette planification "n'a pas de grand récit territorial sur lequel s'appuyer, ni d'échelle très claire", déplore Sandra Moatti, directrice de l'Ihédate (Institut de hautes études de développement et d'aménagement des territoires en Europe). Elle doute également de l'efficacité d'une "métrique unique" à travers les émissions de carbone. Si elle comporte une dimension de "révolution industrielle", à savoir "rapprocher la production énergétique qu'on a exportée depuis l'avènement de l'aire du pétrole", la transition en cours se double d'un versant "renoncement" : retrait des voitures thermiques, des chaudières au fioul, etc., occasionnant autant de pertes de pouvoir d'achat… "On est très loin de l'aménagement glorieux" de l'après-guerre.

Aujourd'hui, le ZAN (zéro artificialisation nette) fait ressurgir la concurrence entre les territoires, entre le rural et l'urbain, avec cette question sous-jacente : "Qui est vertueux, qui a le droit de consommer plus (de terre, ndlr) ?", pose aussi Olivier Bouba-Olga. Pour Sandra Moatti, cela renvoie au "partage du renoncement". "Le ZAN fait des gagnants et des perdants dans toutes les catégories de la population", considère-t-elle. Parmi les perdants, il y a par exemple ces agriculteurs qui comptaient sur la valorisation de leurs terres au moment de leur départ en retraite. "Est-ce qu'on peut réindustrialiser le pays avec le ZAN ? Dans certaines régions, cela va être extrêmement tendu", prévient-elle encore, estimant que de manière générale, la transition écologique est "truffée de conflits". "Il ne faut pas les mettre sous le tapis. Il faut arbitrer."

Acceptabilité sociale

"Le monde de demain va générer de plus en plus de conflits d'usages", abonde le député de la Meuse Bertrand Plancher, président de l'association Décider ensemble. Représentant d'un département qui a perdu 100.000 habitants en un siècle, il aspire à un "un choc très rapide de décentralisation", avec "un seul acteur qui coordonne et gère les moyens", que ce soit pour les transports ou la rénovation thermique… et "qu'on arrête d'éparpiller".

Pour sortir de ces conflits, "la participation du public est aujourd'hui un enjeu essentiel. Il faut débattre avec tous les publics et rendre compte de pourquoi on fait ça", souligne Marc Papinutti, président de la Commission nationale du débat public (CNDP).

Justement, pour le CPAT, l’aménagement du territoire peut devenir "un fil conducteur pour concourir à l’acceptabilité sociale des nombreuses décisions qui seront liées à la transition écologique (implantations d’énergies renouvelables, sobriété foncière, zones à faibles émissions…) en montrant qu’elles s’inscrivent davantage dans un nouveau modèle de développement que dans une logique punitive".

 

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