Redémarrage de MaPrimeRénov’ : la contre-attaque s’organise pour sauver la politique de rénovation énergétique du logement

Face à la multiplication des fraudes à MaPrimeRénov’, dont le guichet "parcours accompagné" vient de rouvrir ce 30 septembre, avec des règles ajustées, après plusieurs mois d’interruption, Intercommunalités de France porte la proposition d’expérimenter sur deux ans la décentralisation des aides à la rénovation énergétique des logements aux intercommunalités et aux départements volontaires. Une proposition de loi à vocation transpartisane vient d’être déposée en ce sens à l’Assemblée nationale par le président de l'association, Sébastien Martin. Dans une lettre ouverte, le collectif d’acteurs Rénovons appelle de son côté le Premier ministre à assurer une stratégie claire inscrite dans la durée.

Alors que le guichet de dépôt des dossiers MaPrimeRénov' "parcours accompagné" pour une rénovation énergétique d’ampleur - suspendu depuis fin juin - rouvre ce 30 septembre - selon de nouvelles modalités resserrées (lire notre article), Intercommunalités de France saisit la balle au bond pour présenter à la presse une proposition de loi visant à expérimenter la décentralisation du dispositif. Un contexte d’autant plus propice que les associations d'élus sont encouragées à faire leurs propositions, d'ici au 31 octobre, dans le cadre du nouvel acte de décentralisation annoncé par le Premier ministre, Sébastien Lecornu. 

La décentralisation de la rénovation énergétique de l’habitat pourrait selon Intercommunalités de France constituer une première pierre à ce vaste chantier avec en première ligne MaPrimeRénov’ en proie à des difficultés de gestion et des fraudes importantes (lire notre encadré ci-dessous). L’architecture globale de cette proposition de loi (PPL) portée par Sébastien Martin, fraîchement élu député (Droite républicaine, Saône-et-Loire), avait d’ores et déjà été dévoilée début juillet (lire notre article). L’association d’élus plaide en effet de longue date "pour simplifier un dispositif devenu illisible, peu efficace, et avec trop d’interlocuteurs".

Décentraliser "toute" la politique de rénovation énergétique du logement 

C’est bien le sens de ce texte "clé en main". Car la politique de rénovation énergétique du logement ne se résume pas à ma MaPrimeRénov’. L’objectif est de "la ramener au plus près du terrain, pour sans doute être plus efficace dans la lutte contre les fraudes, et coller beaucoup mieux à l'exigence, d'une part, d'avoir du conseil en proximité, que demandent nos concitoyens, et, d'autre part, de correspondre à ce qu'est la réalité de l'habitat dans les territoires", abonde Sébastien Martin. Le défi est double "celui de la transition écologique et de la maîtrise de nos dépenses publiques", ajoute-t-il. Un récent sondage Ifop pour Intercommunalités de France - réalisé entre le 10 et le 12 septembre auprès d’un panel de 2.000 personnes - confirme d’ailleurs qu’un Français sur deux (48%) fait davantage confiance aux collectivités pour gérer la politique de la rénovation énergétique. 

Le texte assez court comporte quatre articles. L’expérimentation prévue sur deux ans s'adresse aux intercommunalités et aux départements volontaires. "La compétence comprendrait vraiment toute la politique de rénovation énergétique", martèle Sébastien Martin. C’est-à-dire MaPrimeRénov’ mais également "la gestion de toutes les aides visant la rénovation énergétique des bâtiments, la définition des critères d'éligibilité, la faculté d'agréer les opérateurs et de leur retirer l'agrément, et l'information et l'accompagnement des ménages". Il ne s’agit pas "d'une énième délégation de la part de l'État vers les collectivités". "Pour moi, une vraie décentralisation, c'est une décentralisation où on donne l'exercice plein et entier de la compétence", appuie-t-il. "Cela n'empêche pas qu'on puisse avoir un objectif national. Et d’ailleurs, dans la PPL, on se réfère très clairement à la stratégie nationale bas carbone (…) Mais les voies et les moyens doivent être à la main de la collectivité à qui on donne la compétence." 

Sur le volet financement, la proposition de loi prend comme base de calcul, sur le modèle d’un transfert de charges, les dépenses mobilisées localement par l’État sur une moyenne des trois dernières années. Le texte prévoit pour ce faire que l’Anah puisse conventionner avec les territoires. Avec la certitude pour le député de Saône-et-Loire de "faire mieux avec autant, voire avec moins d’argent". 

Deux chemins législatifs s’offrent à la PPL. Soit Sébastien Martin fera "cavalier seul", soit le texte sera repris dans le projet de loi plus large de décentralisation. Et le congrès d’Intercommunalités de France qui se tiendra la semaine prochaine devrait faire émerger d’autres propositions pour alimenter cette feuille de route. 

Un dispositif dans l’impasse 

Avec la réouverture du guichet MaPrimeRénov’ dans des conditions dégradées, les réactions se multiplient. Afin de piloter au mieux la cible des 13.000 nouveaux dossiers qui pourront être acceptés d’ici la fin de 2025, "des objectifs par territoire seront publiés, avec un suivi hebdomadaire accessible aux acteurs de la rénovation", fait valoir le gouvernement. Les dossiers déposés entre septembre et décembre seront instruits et engagés au premier trimestre 2026, "sous réserve du vote de la loi de finances". "En résumé, premier arrivé, premier servi. Une fois les 13.000 atteints, le guichet ferme", fustige Intercommunalités de France.

"La note sur les modalités de suivi des objectifs est arrivée aujourd'hui", a indiqué à l'AFP Suzanne Brolly, vice-présidente de l'eurométropole de Strasbourg chargée de l'habitat, qui déplore un quota de 66 dossiers maximum pour son agglomération. "C'est une fausse ouverture" selon elle, "il n'y a plus rien pour cette année", les conditions d'octroi sont "très limitées", avec une "enveloppe ridicule" et "seulement pour les ménages les plus fragiles". Se sentant "abandonnée", elle craint une augmentation de la "vacance énergétique", les logements laissés vides car hors des normes du logement digne. En Loire-Atlantique, le président du conseil départemental, Michel Ménard, affirme qu'il n'a "pas les éléments" sur ces objectifs ni "d'indications sur les moyens financiers que l'État va accorder en plus", et la réouverture reste donc "très floue". "Au mois d'avril nous avions déjà assez de dossiers pour consommer l'enveloppe entière, il nous faudrait cinq millions d'euros de plus", a-t-il expliqué à l'AFP, ajoutant que 525 dossiers étaient déjà en attente à fin juin. Il calcule que les 13.000 dossiers au niveau national correspondraient à 260 dossiers pour la Loire-Atlantique, proportionnellement au nombre d'habitants.

Pour le réseau Cler, "ce sont les plus précaires et les locataires vivant dans des passoires énergétiques qui vont en payer le prix fort". Car le plafond de prise en charge des travaux a été divisé par deux et le bonus “sortie de passoire” est quant à lui supprimé. "L’enveloppe disponible ne permettra pas aux ménages aux revenus très modestes d’engager des travaux énergétiques suffisamment ambitieux pour changer la classe énergétique de leur logement et donc réduire le montant de leurs factures et améliorer leur confort", déplore le Cler, pour qui les aides sont en outre "mal ciblées". "Les gestes uniques de travaux sont toujours éligibles aux aides, comme l’installation d’une pompe à chaleur dans un logement non isolé. Pourtant il est prouvé que ces mono-gestes ne permettent pas de générer des gains énergétiques ambitieux contrairement aux rénovations énergétiques globales", note-t-il.

Le collectif d’acteurs Rénovons - qui compte notamment dans ses rangs le réseau Amorce - a adressé, ce 30 septembre, une lettre ouverte au Premier ministre y dénonçant également une réouverture en "trompe-l’oeil" de MaPrimeRénov’ et "un abandon désormais limpide par l’État de la politique publique de rénovation énergétique dans son ensemble". Cette coalition, composée d’associations et d’entreprises, exige de Sébastien Lecornu qu'il inverse la tendance en la matière, notamment en prévoyant une loi de programmation pluriannuelle des travaux de rénovation énergétique. "Il est encore temps de renverser la trajectoire. Non plus en multipliant les annonces creuses, mais en assumant une stratégie claire inscrite dans la durée", insiste la missive, qui l’enjoint à "pérenniser et amplifier MaPrimeRénov’ pour des rénovations performantes, dans sa version issue du projet de loi de finances pour 2024".

› Rénovation énergétique : 34% d'irrégularités chez les entreprises contrôlées par la DGCCRF

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a indiqué ce 29 septembre avoir détecté des manquements graves chez 34% des 1.000 professionnels contrôlés en 2024 au sein du secteur de la rénovation énergétique, cible privilégiée d'escrocs qui tentent de détourner les aides MaPrimeRénov'. Elle a ainsi transmis à la justice "plus de 140 procès-verbaux pénaux pour des pratiques commerciales trompeuses et de démarchage agressif", passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende, précise un communiqué. "Par ailleurs, plusieurs saisies pénales à titre conservatoire ont été réalisées afin de prévenir la liquidation soudaine des sociétés avant le jugement, et la fuite des capitaux vers l’étranger, ajoute la DGCCRF. À Paris, une saisie immobilière de près de 5,3 millions a ainsi été réalisée cette année."

L’administration cite aussi le cas d’une entreprise d’Île-de-France qui a été sanctionnée en 2024 par une amende de 1,5 million d’euros, notamment pour non-respect de l’interdiction de démarchage téléphonique. L’enquête a également mis en évidence des pratiques commerciales trompeuses (fausse détention du label RGE, mentions abusives sur les aptitudes et les qualités du professionnel, fausse mention d’une adhésion à un médiateur de la consommation). Plusieurs jugements récemment prononcés ont aussi condamné les fraudeurs à de lourdes peines. Dans les Côtes-d’Armor, une enquête réalisée par la DGCCRF en cosaisine avec la police judiciaire de Saint-Brieuc a mis au jour de nombreuses pratiques commerciales trompeuses, ciblant particulièrement des personnes vulnérables, pour un montant infractionnel estimé à plus d’1 million d’euros, indique le communiqué. Le gérant a été condamné à 5 ans de prison dont 4 ans fermes, et les parties civiles seront indemnisées à hauteur de 1,1 million d’euros.

La DGCCRF a aussi infligé plus de 50 amendes administratives, "principalement pour du démarchage téléphonique illicite", et a ordonné une mise en conformité à 140 professionnels.

Le taux "élevé" de 34% de professionnels hors des clous "doit être relativisé car les contrôles réalisés par la DGCCRF sont effectués sur la base de plaintes et signalements ; ils ne sont donc pas représentatifs du secteur dans son ensemble", prévient toutefois le communiqué. Les enquêteurs ont constaté des collectes de données via des sites trompeurs, du démarchage téléphonique illicite, des opérateurs se présentant comme mandatés par l'État, des arguments commerciaux trompeurs, des clauses abusives dans les contrats, tout cela dans le but de duper le consommateur qui se retrouve à signer des documents sans en connaître la portée.

La Répression des fraudes a reçu 26.000 signalements via sa plateforme Signal Conso concernant la rénovation énergétique en 2024. En 2023, ce sont 23.000 signalements qui avaient été enregistrés, principalement pour du démarchage téléphonique abusif. La DGCCRF avait relevé des irrégularités chez 50% des 800 établissements contrôlés. Anne Lenormand/Localtis

 

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