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Réduction de loyer de solidarité : la Cour des comptes apprécie les économies, mais pas la méthode

Dans un référé rendu public ce 4 mars, la Cour des comptes estime que le dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS) instaurée pour les bailleurs sociaux a pour le moment bien généré des économies budgétaires, bien que moindres qu'attendues. La mise en oeuvre aurait en revanche été trop peu concertée et n'a pas été dénuée de conséquences pour les bailleurs. La Cour préconise donc une mise à plat des impacts de la RLS dès cette année. Dans leur réponse, les ministres défendent le dispositif et assure que celui-ci est désormais "stabilisé".

Dans un référé rendu public ce 4 mars, la Cour des comptes se penche sur les "Premiers constats tirés de la conception et de la mise en œuvre du dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS)". Instaurée, un peu à la surprise générale, par la loi de finances pour 2018 du 30 décembre 2017, la RLS consiste en une remise de loyer financée par les bailleurs sociaux, pour les locataires éligibles sous condition de ressources, permettant ainsi à l'État de réduire, de façon quasi équivalente (entre 90 et 98% du montant de la RLS), le coût des APL (aides personnalisées au logement) versées aux locataires concernés (les fameux "cinq euros mensuels").

"Les cibles budgétaires successives ont été atteintes, voire dépassées"

La mise en œuvre de la RLS a créé de vives tensions entre le gouvernement et les organismes de logement social, notamment l'USH (Union sociale pour l'habitat) et la FOPH (Fédération des offices publics de l'habitat), avant le retour de l'apaisement en 2019. Les élus locaux, notamment via l'Association des maires de France, avaient eux aussi critiqué la mesure. L'impact budgétaire a été fluctuant. Initialement fixées à 1,5 milliard d'euros, les économies budgétaires attendues ont été ramenées à 800 millions en 2018 et 2019, puis fixées à 1,3 milliard par an jusqu'à 2022, dans le cadre d'une "clause de revoyure" signée entre le gouvernement et l'USH le 25 avril 2019.

Malgré ces à-coups, la Cour des comptes "a pu constater que ces cibles budgétaires successives ont été atteintes, voire dépassées pour les années 2018 et 2019, au prix toutefois de coûts supplémentaires induits par un certain nombre 'd'effets de bord' pour les bailleurs sociaux, qui pourraient atteindre 2,5% du montant total". Pour autant, le référé estime que "trois ans après le vote de la disposition, l'ensemble des impacts de la réduction de loyer de solidarité ne peut être encore complètement mesuré" dans la mesure où "cette réforme a été mise en place de façon progressive et son effet sur le financement du logement social ne peut être apprécié indépendamment de ceux des autres dispositions de la loi Élan" (la RLS ayant anticipé la loi Élan du 23 novembre 2018).

"Un dispositif conçu ex nihilo et sans concertation préalable"

Si la Cour décerne ainsi un satisfecit aux économies budgétaires engendrées par la RLS, il n'en va pas de même pour la méthode, mais aussi, dans une moindre mesure, pour les conséquences indirectes de ce dispositif. Côté méthode, le référé pointe "un dispositif conçu ex nihilo et sans concertation préalable". Pour la Cour, "cette insuffisance de préparation a eu deux effets notables, l'un d'une économie budgétaire moindre qu'attendue, l'autre d'une mise en œuvre moins efficace". A la décharge du gouvernement, l'étude d'impact de la mesure, commandée à l'Inspection générale des finances (IGF) et au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGDD), est arrivée après le dépôt du projet de loi de finances.

Conséquence de ces incertitudes, mais aussi des tensions avec les acteurs du logement social : "Il est apparu nécessaire, au-delà de la révision à la baisse de la cible d'économies d'APL, d'accompagner les bailleurs sociaux dans la mise en œuvre de ce nouveau dispositif, notamment en vue de maintenir leur niveau d'investissement". Le référé cite notamment le gel du taux du livret A, puis sa baisse à 0,5% et la mise en place de deux plans d'accompagnement pour soutenir l'investissement des bailleurs sociaux, obéré par l'impact de la RLS : le protocole d'avril 2018 entre l'État et le mouvement HLM et le pacte d'investissement pour le logement social 2020-2022 d'avril 2019. Soit un total d'environ 4 milliards d'euros.

Dans une démonstration un peu curieuse – tant elle mélange des plans et des impacts différents –, la Cour des comptes estime que la RLS "a permis une nette réduction des dépenses de l'État pour le financement des APL, concourant ainsi au respect de la trajectoire budgétaire de la France". Mais que "toutefois, ces économies sont en partie contrebalancées par une moindre recette fiscale, un rendement moindre pour les épargnants du livret A, un engagement financier accru de la Banque des Territoires et une prise en charge financière des baisses de loyer notamment par les bailleurs publics (offices publics de l'habitat)".

Quelques "signaux d'alerte"

La Cour des compte juge également la réforme "peu lisible et complexe". Sa mise en œuvre a effet entraîné une charge de travail supplémentaire, pour les bailleurs sociaux, mais aussi pour les CAF et les caisses de MSA, qui gèrent et versent les APL (financées par l'État). Ces difficultés tiennent notamment à la variabilité des APL – et donc de la RLS – en fonction de l'évolution des revenus. Certains cas de figure, comme la colocation, se sont également révélés particulièrement complexes.

En revanche, il n'y a pas de doute sur le fait que la RLS "constitue une perte nette de recette locative pour les bailleurs". Elle représente "un prélèvement sur leurs produits d'exploitation sociaux et diminue mécaniquement leurs résultats". En l'absence de vision précise, la Cour des comptes invite donc à évaluer, "avant 2022", l'impact financier sur les acteurs du logement social. En attendant, elle constate, eu égard aux dispositifs d'accompagnement mis en place, que les rapports récents "concluent à un amortissement de la charge de la RLS par les bailleurs sans conséquence immédiatement visible" (voir notre article du 15 septembre 2020).

La Cour relève cependant quelques "signaux d'alerte" même si le lien avec la RLS ne semble pas vraiment évident. C'est notamment le cas "des engagements très en deçà des objectifs en matière de construction et de rénovation (respectivement fixés à 100.000 et 120.000 unités par an)", mais qui tiennent avant tout à la crise sanitaire et aux élections municipales étalées sur six mois. Le référé s'inquiète aussi de la baisse des dépenses d'entretien courant et de gros entretien (-7% en valeur) et estime que "s'il apparaissait que cette baisse a un lien direct avec la RLS, une telle réponse de gestion des bailleurs ne serait pas longtemps soutenable".

Un appel à "un dispositif plus lisible, moins complexe, mieux sécurisé"

En revanche, la Cour "souligne que la RLS est un dispositif également conçu en cohérence avec les impératifs de regroupement des bailleurs sociaux prévus par la loi Élan", même si la diminution attendue des coûts de fonctionnement sera difficilement perceptible avant 2022, voir 2023.

Au final, le référé insiste sur la nécessité d'une mise à plat des impacts de la RLS avant 2022, autrement dit cette année. Elle formule donc deux recommandations. La première consiste à "concevoir, dans le cadre du réexamen de la RLS prévu en 2022, un dispositif plus lisible, moins complexe, mieux sécurisé et réduisant son coût de gestion". On notera au passage que la Cour de comptes n'envisage pas une suppression de la RLS.

Seconde recommandation : préparer cette échéance en établissant, "dès 2021, les critères et outils d'analyse partagés pour mesurer les impacts réels de la RLS sur la situation financière et les capacités d'investissement des bailleurs sociaux". La Cour fait d'ailleurs remarquer que ces évolutions "paraissent d'autant plus nécessaires que la réforme de contemporanéisation des APL [entrée en vigueur le 1er janvier 2021] entrainera une prise en compte, en temps réel, des évolutions personnelles des allocataires et donc des régularisations de RLS encore plus fréquentes".

Pour le gouvernement, le dispositif de la RLS est "désormais stabilisé"

Dans leur réponse commune, assez cursive, Bruno Le Maire (Économie, Finances et Relance) et Olivier Dussopt (Comptes publics) rappellent que "la réforme n'a fait aucun perdant parmi les locataires du parc social, ce qui est à saluer pour une réforme d'une telle ampleur". Ils contestent l'absence de concertation sur la mise en place de la réforme, mais invoquent, à l'appui de la démonstration, le protocole d'avril 2018 et le pacte d'investissement d'avril 2019, tous deux postérieurs à la mise en place de la RLS. Enfin, les deux ministres "s'étonnent" de l'appréciation portée sur l'analyse de la soutenabilité financière de la réforme, "alors que, comme la Cour le rappelle, l'ensemble des études préalables à la RLS démontraient unanimement la solidité financière des organismes de logement social".

Pour sa part, Emmanuelle Wargon s'attache surtout, dans sa réponse, aux recommandations de la Cour. La ministre en charge du logement estime ainsi que "le dispositif de la réduction de loyer de solidarité est désormais stabilisé, et toute évolution qui pourrait être envisagée en 2022 nécessiterait une étude approfondie", ce qui semble fermer la porte à une réforme significative. Elle indique également qu'une transformation de la RLS en un prélèvement sur les bailleurs sociaux "n'est pas envisagée par le gouvernement" (notamment parce qu'elle constituerait une hausse des prélèvements obligatoires et de la dépense publique en ré-augmentant les APL). En revanche, la ministre se dit prête à examiner des pistes d'évolution du dispositif pour alléger les lourdeurs de gestion. L'une des hypothèses consisterait à restreindre la RLS aux seuls allocataires des APL. Sur la seconde recommandation de la Cour des comptes, Emmanuelle Wargon rappelle que "depuis l'instauration de la RLS, plusieurs analyses de ses impacts ont été produites" et qu'elles "aboutissent au constat d'une bonne absorption de la RLS par le secteur, pour le début de son application" (2018 et 2019). Elle souligne également que "le nombre d'organismes fragiles n'a pas augmenté significativement et que le nombre de demandes d'aides auprès de la CGLLS [Caisse de garantie du logement locatif social, ndlr] est resté stable".

 

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